Régulièrement, le Brésil est annoncé comme une future grande puissance devant prendre place aux côtés des États-Unis et de la Chine. Or, à chaque fois, l’espoir retombe brutalement. Malgré des richesses importantes, une population en croissance, le pays retombe dans ses travers, parmi lesquels figurent la corruption, le protectionnisme et les inégalités.
Membres des BRICS, le Brésil semble de plus en plus attiré par les régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine. Or, ce pays aurait tout avantage, en matière de complémentarité, à renforcer ses relations avec les États de l’OCDE. Le Brésil est, après les États-Unis, la deuxième puissance démographique et économique des Amériques. Il comptait, en 2022, 215 millions d’habitants dont plus des quatre cinquièmes habitent en milieu urbain. Il est le cinquième pays du monde par sa superficie (8,5 millions de km²). Son PIB s’élevait à 2 127 milliards de dollars en 2023 selon les dernières projections du FMI, ce qui place le pays au 9ème rang mondial devant le Canada et juste derrière l’Italie.
Troisième exportateur agricole mondial
Le Brésil peut compter sur une économie diversifiée même si l’agriculture constitue un vecteur important de sa croissance. Le Brésil est le 3e exportateur agricole mondial avec 7 % des parts de marché, tout en ne représentant, de manière globale, que 1,4 % du commerce mondial. L’agroalimentaire et le négoce agricole pèsent 20 % du PIB.
Le pays est, en effet, le premier producteur mondial de café, de jus d’orange et de sucre ; le 2e producteur de soja et de viandes bovines et le 3e en ce qui concerne les volailles et le maïs.
Le Brésil est également un important producteur d’énergie et de matières premières. Il dispose de réserves importantes pour le fer, l’aluminium et pour de nombreux métaux précieux.
Le Brésil est le 10e producteur de pétrole mondial avec une production de plus de 3,7 millions de barils/jour en 2023. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, le pays pourrait devenir le 6e producteur mondial de pétrole d’ici 2035.
Le Brésil dispose également d’un puissant secteur industriel (machines outil, énergie, matériels de transport, automobile, aéronautique, électronique).
Le pays peut également compter sur un secteur tertiaire dynamique en particulier dans les domaines de la banque, l’assurance et de la distribution.
Les hauts et bas du Brésil
Les cycles économiques, au Brésil, sont violents, les phases de forte croissance et de forte récession se succèdent à un rythme forcené. Les tensions inflationnistes sont permanentes dans un pays soumis à un interventionnisme public important et se traduisent par une dette publique élevée. Elle dépassait, en 2023, 88 % du PIB. Cette dernière s’élevait à 57 % en 2014.
Hormis la période covid, la dernière grande crise date de 2015/2016. Le PIB du pays avait reculé en deux ans de plus de 6 %. La récession s’était nourrie des scandales politiques à répétition et a été accentuée par la chute des cours des produits agricoles et des matières premières. Durant la première partie des années 2010, l’inflation a provoqué une baisse du pouvoir d’achat des Brésiliens et une fuite des capitaux. La croissance au Brésil en 2023 a été d’un niveau élevé (+3,1 %), proche de celle de 2022 (+2,9 %). En 2021, dans le cadre du rebond postpandémie, le taux de croissance avait atteint 5 % faisant plus que compenser le recul de 2020 (-3,3 %).
Le PIB brésilien est désormais supérieur à son niveau prépandémie (+7,7 % en 2023 par rapport à 2019 en termes réels).
Le Brésil semble être entré dans un nouveau cycle d’expansion même si plusieurs facteurs pourraient entraver cette dernière : la faiblesse de l’épargne et de l’investissement, l’inflation, la qualité des infrastructures publics, l’insécurité, les inégalités et le positionnement géopolitique.
Le problème de l’investissement et de l’épargne
Un pays émergent se caractérise, en règle générale, par un taux d’investissement et un taux d’épargne élevés. En 2023, le taux d’investissement était, au Brésil de 18 % du PIB, contre 25 % au Mexique, 32 % en Inde et 42 % en Chine. Toujours en 2023, le taux d’épargne s’élevait à 18 % du PIB au Brésil, contre 22 % au Mexique, 30 % en Inde et 45 % en Chine. Un faible taux d’investissement est synonyme, sur moyenne période, d’une croissance faible.
Les gains de productivité sont depuis une vingtaine d’années faibles et plus proches de ceux des pays occidentaux que de ceux des pays émergents. Ces faibles gains constituent un handicap majeur pour l’enclenchement d’un cycle vertueux de croissance. L’inflation sur moyenne période tourne autour de 6 % tout comme l’augmentation des salaires. Cette dernière en étant nettement supérieure aux gains de productivité (entre 1 et 2 %), les entreprises sont contraintes d’accepter des baisses de taux de marge et d’augmenter leurs prix. Cela induit une dégradation de la compétitivité des entreprises brésiliennes.
Les gouvernements successifs ne favorisent pas une recherche accrue de compétitivité et la maîtrise des salaires en privilégiant des politiques protectionnistes. Pour lutter contre l’inflation, la banque centrale est contrainte de maintenir des taux directeurs élevés. Au début de 2024, le taux SELIC (taux directeur brésilien) était de 12 % soit près de trois plus élevé que les taux de la BCE. Hormis pendant la période covid, les taux directeurs au Brésil évoluent entre 10 et 12 % ce qui pénalise l’investissement des entreprises.
La population active continue à augmenter au Brésil (+0,4 % par an) quand elle décline au sein de l’OCDE et en Chine. La proportion des 15/39 ans dans la population totale est de 39 % contre 33 % en Chine et 38 % dans les pays de l’Asie du Sud Est. En Inde, ce ratio est de 42 % et au Mexique de 40 %. La proportion des 15/30 par rapport à la population âgée de 15 à 64 ans est de 56 % au Brésil.
Une dépendance croissante vis-à-vis de la Chine et de la Russie
Depuis 2015, le Brésil a joué la carte des Brics en se détournant des États-Unis et de l’Union européenne. Les exportations vers la Chine et la Russie sont passées de 20 à 120 milliards de dollars entre 2010 et 2023. Celles vers les États-Unis sont, sur la même période, passées de 20 à 40 milliards de dollars et celles vers l’Union européenne de 20 à 50 milliards de dollars. Les importations en provenance des États-Unis et de l’Union européenne sont relativement stables quand celles de Chine et de Russie progressent rapidement. Ces dernières se sont élevées en 2023 à plus de 70 milliards de dollars, contre 40 milliards de dollars tant pour celles des États-Unis ou de l’Union européenne.
Les importations de Chine et de Russie ont été multipliées par quatre en quinze ans. La Chine comme la Russie ne sont plus ou pas des marchés porteurs compte tenu de l’évolution de leur population. L’Europe et les États-Unis demeurent les zones commerciales les plus dynamiques.
Les difficultés commerciales entre l’Union européenne et le Mercosur – dont le Brésil est membre – ne facilitent pas une réorientation des échanges. Vus du Brésil, l’Europe comme les États-Unis mettent en œuvre des politiques protectionnistes visant à exclure de leurs marchés les pays émergents.
Malgré ou plutôt à cause des mesures protectionnistes, l’industrie brésilienne recule au sein de la valeur ajoutée depuis une dizaine d’années. Le pays se spécialise de plus en plus dans l’agroalimentaire et dans les services. Le secteur tertiaire représente 60 % du PIB quand les autres secteurs pèsent moins de 10 points de PIB.
La production d’électricité par habitant est de 3 000 kilowatts en 2022, contre 6 200 en Chine, 2 900 au Mexique et 1 200 en Inde. Cette production est stable depuis une quinzaine d’années quand elle augmente en Chine et en Inde. Le Brésil dispose d’un réseau correct pour le ferroviaire mais, au vu de la superficie du pays, il demeure insuffisant.
Des inégalités persistantes
Le Brésil est un pays émergent principalement en raison de la persistance d’importantes inégalités sociales. En retenant l’indice de Gini, les inégalités sont deux fois plus importantes au Brésil qu’au sein de la zone euro. Elles sont 40 % plus importantes qu’aux États-Unis. L’indice de développement humain des Nations unies du Brésil est inférieur à celui de la Chine et est plus proche de celui de l’Inde que de celui des États-Unis. Le niveau de formation reste faible au Brésil même s’il est supérieur à celui de la Chine. Un cinquième des actifs sont diplômés de l’enseignement supérieur au Brésil contre la moitié aux États-Unis.
Un endettement public et extérieur élevé
Le Brésil accumule des déficits publics élevés depuis de nombreuses années. En 2023, ce déficit a dépassé 8 % du PIB. Cette accumulation conduit à une dette de 88 % du PIB et a comme conséquence des taux d’intérêt élevés. Malgré les exportations de produits agroalimentaires et d’énergie, la balance courante du Brésil est déficitaire. Le pays importe une part croissante des biens industriels consommés. La dette extérieure a atteint, en 2023, 45 % du PIB.
Le Brésil a d’indéniables atouts dont la jeunesse de sa population active et la force de son agriculture. En revanche, il est pénalisé par la déficience de ses infrastructures et l’insuffisance de l’investissement. L’insécurité juridique constitue également un handicap.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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