Les décideurs politiques européens doivent prendre des mesures urgentes pour éviter que l’économie de l’UE ne devienne considérablement plus petite que celle des États-Unis, a averti le secrétaire d’État du ministère hongrois des Finances, Tibor Tóth. Au risque de voir l’autonomie stratégique de l’UE s’effacer.
M. Tóth, dont le pays a pris la présidence tournante du Conseil de l’UE le 1er juillet, a déclaré lors d’un évènement organisé par Bloomberg mercredi (17 juillet) que la croissance du PIB américain était supérieure à celle de l’Europe depuis la crise financière de 2008.
L’économie américaine, qui était plus petite que celle de l’UE avant 2008, est aujourd’hui environ 50 % plus grande en dollars.
« Si ce type d’écart [de croissance] continue à augmenter jusqu’en 2030, l’écart entre les États-Unis et l’Union européenne sera aussi important que l’écart entre le Japon et l’Équateur aujourd’hui », a déclaré M. Tóth. Avec une production totale de 4,21 billions de dollars en 2023, l’économie nippone était environ 35 fois plus grande que celle de l’Équateur.
Les commentaires du fonctionnaire hongrois s’inscrivent dans un contexte d’inquiétudes croissantes concernant la baisse de la compétitivité de l’Europe et sa capacité à conserver son indépendance économique stratégique face à l’essor économique de la Chine, à la guerre russe en Ukraine et à l’éventuel retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que l’économie de l’UE connaîtra une croissance de 1,1 % cette année, contre 2,7 % pour les États-Unis. Le FMI s’attend également à ce que la croissance américaine dépasse celle de l’UE jusqu’en 2029, soit la dernière année pour laquelle il propose des projections.
« Si nous ne changeons pas la situation rapidement, le principal problème est que l’Europe ne pourra pas établir son autonomie stratégique dans de nombreux domaines », estime M. Tóth.
Union des marchés de capitaux
Selon le secrétaire d’État hongrois, pour inverser cette tendance, il faut renforcer l’industrie de la défense de l’Union, accroître l’indépendance énergétique du bloc et apporter un soutien financier global aux start-ups technologiques.
Des mesures fiscales « favorables aux familles » seront également nécessaires pour relever les défis démographiques posés par le vieillissement de la population européenne, a-t-il déclaré, faisant écho à la récente promesse de la présidence hongroise de libérer le « potentiel de main-d’œuvre inexploité » de l’UE.
Il a également souligné la nécessité d’accélérer les efforts visant à approfondir l’Union des marchés de capitaux (UMC) — un sujet qui a gagné en importance parmi les dirigeants de l’UE ces derniers mois.
Reprenant une observation faite par l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta dans son rapport récemment publié sur l’avenir du marché unique, M. Tóth a noté que la « fragmentation » des marchés de capitaux européens signifie que 300 milliards d’euros d’épargne des citoyens européens quittent le continent chaque année, la majeure partie de cet argent atterrissant aux États-Unis.
« Nous devons trouver une solution pour que cet instrument du marché des capitaux, le cadre et la règlementation soient harmonisés de manière à ce que ces 300 milliards d’euros d’épargne annuelle, qui partent aux États-Unis, restent ici », a-t-il soutenu.
En ce qui concerne les mesures spécifiques de l’UMC, le fonctionnaire a déclaré que si l’assouplissement des restrictions sur le marché de la titrisation obtiendra un « fort soutien de la part des États membres », le passage à une supervision financière centralisée sera probablement plus difficile.
« La supervision unique dans l’UE est quelque chose qui semble être un peu plus problématique parce que de nombreux États membres, y compris la Hongrie, ne sont pas vraiment prêts à abandonner leurs marchés de capitaux et leur propre supervision [nationale] », a-t-il noté.
Le rapport de Mario Draghi
Tibor Tóth a également exprimé sa « grande déception » quant au fait que la publication d’un rapport très attendu sur la compétitivité, rédigé par l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, et qui devait initialement être publié ce mois-ci, sera probablement repoussée jusqu’en septembre.
Il a ajouté que le rapport de M. Letta constituera une base de discussion suffisante pour les ministres de l’UE au sein du Conseil au cours des prochains mois. « Pour l’instant, nous pouvons nous fier au rapport M. Letta et, à mon avis, les deux rapports n’auront pas trop de différences », a-t-il ajouté.
Dans un discours prononcé en Espagne le mois dernier, Mario Draghi a laissé entendre que l’UE devrait remédier à ses pénuries de compétences en encourageant l’entrée sur son territoire de travailleurs hautement qualifiés en provenance de l’extérieur de l’Union. Une option qui avait également été envisagée par certains États membres, dont l’Allemagne.
Le secrétaire d’État hongrois — dont le pays a fait de la lutte contre l’immigration illégale une priorité clé de sa présidence du Conseil — désapprouve cette suggestion. Revenant sur le programme officiel de la présidence hongroise, il a déclaré que l’accent devrait plutôt être mis sur l’incitation d’un plus grand nombre de citoyens de l’UE à entrer sur le marché du travail.
Il a noté que la Hongrie, qui a augmenté son taux d’emploi d’environ 10 % au cours de la dernière décennie, représente un « exemple » potentiel à suivre pour les autres pays européens.
« En Hongrie, nous essayons d’augmenter le taux d’activité de la population. Et pour être honnête, nous y sommes parvenus […] Cela pourrait également être un exemple pour l’Europe, mais cela nécessite une discussion stratégique au niveau européen », a-t-il déclaré.
La communication est la clé
La présidence hongroise du Conseil a été marquée par une controverse suite à la visite unilatérale et non annoncée du Premier ministre Viktor Orbán à Moscou pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine au début du mois. Cette visite s’inscrit selon lui dans le cadre d’une « mission de paix » au cours de laquelle il s’est également rendu en Ukraine, en Chine pour rencontrer Xi Jinping et aux États-Unis pour discuter avec Donald Trump.
L’initiative hongroise a conduit plusieurs États membres et la Commission européenne à décider de boycotter les futures réunions informelles du Conseil pendant les six mois de la présidence hongroise.
Dans son discours lors de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg jeudi (18 juillet), la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a par ailleurs ajouté : « Il y a deux semaines, un Premier ministre de l’UE s’est rendu à Moscou. Cette mission qui se disait une mission de paix n’était rien d’autre qu’une mission d’apaisement. À peine deux jours plus tard, les avions de [Vladimir] Poutine larguaient leurs missiles sur un hôpital pour enfants et une maternité à Kiev ».
M. Tóth, quant à lui, n’a pas désavoué son Premier ministre.
« Je pense qu’il existe un consensus [parmi les États membres de l’UE] sur le fait que l’objectif ultime est de parvenir à la paix. La seule différence entre nos approches est la suivante : comment pouvons-nous atteindre cet objectif ultime ? »
« Vous pouvez dire que c’est une erreur, mais nous pensons que seule la communication peut mener à un résultat », a-t-il conclu.
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