Embarquez sur la Côte ouest des USA pour Providence Canyon. Un premier roman réussi.

Embarquez sur la Côte ouest des USA pour Providence Canyon. Un premier roman réussi.

Providence Canyon existe désormais doublement. Comme décor de l’action du premier roman de Corinne Cotereau et comme lieu désertique et authentique de la Californie du Sud. Cette zone éloignée des mythiques cités de Los Angeles et San Francisco est un point du globe où la fiction peut se déployer à loisir autour du grand désert de Danza Borrego et d’un petit camping le « Dry River Café and Resort » à l’écart des grandes routes touristiques.

L’expérience West Coast de Corinne Cotereau

L’écrivain a su dérouler un récit équilibré en s’appuyant sur une géographie qui sent l’expérience vécue : elle a habité San Diego une ville voisine de quelques centaines de kilomètres et maîtrise parfaitement l’expérience tour à tour spirituelle ou oppressive du désert comme la beauté vertigineuse de la nature encore sauvage de l’ouest américain

Le prétexte de la fiction est fourni par la rénovation d’un pont et d’une voie ferrée autour du canyon – titre et s’incarne dans la personne de Paul Carter un personnage de dur à cuire qui habite les première pages de sa présence agaçante et inquiétante. 

Un thriller épuré

Nous déambulons dans le récit entre le thriller épuré, garanti sans rajout excessif de giclées de sang, et le portrait d’une galerie de personnages « bigger than life » comme JB, ce français égaré et dont la présence californienne se révèle d’emblée énigmatique.

Le style est direct et efficace avec des accents d’humour et de tendresse pour des personnages que l’écrivain a su incarner sans en rajouter trop sur les tempéraments et les stéréotypes (Huntington le promoteur rapace du projet ou Sharon la jeune bimbo…) ce qui aurait pu constituer une des limites d’un récit qui évite au final ce piège. 

Roman
©Marie Flacassier

Une double narration efficace

Le procédé de la double narration entre le récit chronologique et la correspondance passée d’une jeune française embauchée pour faire le ménage d’un complexe touristique stimule également le récit comme le découpage en chapitres courts et rythmés. Cette Stephanie Bertillot dont on découvre le journal, va ainsi devenir « la fille du tunnel » objet d’une lutte entre Paul et JB et le personnage central d’une enquête bien menée. On n’en dira pas plus pour ne pas spoiler le récit.

"Les gagnants n'abandonnent jamais. Ceux qui abandonnent ne gagnent jamais"

Cette formule qui sent bon l’Amérique des vainqueurs et qui apparaît dans le texte pourrait servir de symbole à un roman qui ne laissera pas ses lecteurs sur le bord du chemin fort d’un format qui autorise une lecture agréable et rapide. 

Une auteur à suivre qui a réussi son premier essai et devra offrir à son lectorat une deuxième traversée réussie du Canyon de la littérature.  

L’écrivaine a accepté de répondre à nos questions et se confie sur les sources de son inspiration et sur son rapport à l’écriture.

Boris Faure : “Voilà un premier roman qui puise dans votre expérience de vie et d’écriture californienne. Vous avez vécu à San Diego. Pouvez-vous nous livrer les clés de son inspiration ?”

Corinne Cotereau : San Diego est ma ville de cœur. J’y ai habité trois ans en famille. Après un retour en France en 2009, je m’y réinstalle en février 2020. Rapidement, le COVID s’invite à la fête.  Quand les pays se referment, ce n’est pas pour moi que j’ai peur, mais pour mes enfants de 18 et 20 ans. L’un vit en France et l’autre au Canada, sans famille sur qui compter et je n’ai aucune idée de quand je vais pouvoir à nouveau les serrer dans mes bras. Impossible de sublimer en peinture mes émotions comme je le fais d’ordinaire. Cette incertitude me déchire, me coupe souffle et envie. En d’autres termes, je suis au fond du seau. 

La découverte du pont de chemin de fer le plus long du monde

Un matin ensoleillé d’avril, pour m’occuper l’esprit, je traîne sur google maps. (On s’évade comme on peut pendant un confinement).  Dans un coin de désert que je connais pour y être allée plusieurs fois camper, une voie de chemin de fer attire mon attention. Je la suis jusqu’à tomber sur un symbole indiquant un point de vue intéressant. Je clique sur le lien et découvre en photo un pont en bois. Mais pas n’importe quel pont. Le pont de chemin de fer le plus long du monde ! 

C’est vraiment la providence qui le met sur mon chemin. Ce pont enflamme mon imagination. Je n’ai plus qu’une obsession, aller le découvrir, marcher au-dessus du vide et traverser ce pont superlatif. Perdu dans une chaîne de montagne aride et désertique, il ne mène désormais nulle part, car la ligne est désaffectée. L’ouvrage en lui-même est de toute beauté. Je trouve ça fascinant qu’il soit toujours debout et complètement ignoré.

Roman
©Marie Flacassier

C’est avec des « et si » que se construisent les romans

Cette nuit-là, deux petits mots tournent en boucle dans ma tête : et si ? Et si la ligne était réouverte à des fins touristiques ? Le lendemain matin, comme des graines de haricots magiques, ces deux petits mots m’obsèdent toujours et ils ont même continué à germer pour former une trame. Une échelle avec des barreaux à grimper pour me sortir de ma réalité.  Et si, en réouvrant un tunnel muré, quelque chose ou quelqu’un était retrouvé à l’intérieur ?  En fait, c’est avec des « Et si » que se construisent les romans.”

Boris Faure : “C’est un premier roman qui s’appuie sur une intrigue en forme de thriller doublée d’une immersion historique et géographique dans cette partie de la Californie faite de déserts et de tunnels. Comment s’est bâtie la structure de ce récit ?”

Corinne Cotereau : La partie chemin de fer m’a demandé tout un travail de recherche, de lecture, de visionnage d’images. Pour moi, une bonne histoire repose sur un décor avec des personnages inoubliables mais aussi sur sa crédibilité. 

Avant de passer à l’écriture, j’ai continué à tirer des fils dans ma tête en imaginant une trame, des personnages. Et si un Français tombait sur le carnet d’une jeune femme ? Et si cet homme, volontairement coupé du monde, était le seul à comprendre le contenu de ce carnet écrit en français ? Et si, Jean-Baptiste, mon héros cabossé se retrouvait au pied du mur. Et si, poussé par les écrits d’une certaine Stéphanie, il sortait de sa caravane et décidait d’affronter l’existence.

Une formation en ligne pour maîtriser l’art de la narration plus tard, je me suis lancée avec un début et une fin. Je savais dès le départ que j’allais alterner deux histoires aux styles très différents.

Pour mes personnages, je me suis inspirée de traits de caractère de personnes dans mon entourage, mais pas seulement. Le rire bien particulier de Paul Carter par exemple, je l’ai découvert en faisant la queue à une caisse de supermarché. Quand l’homme devant moi, plutôt charmeur, s’est mis en tête de se faire remarquer par la caissière. Lorsqu’on s’immerge dans un processus créatif, c’est comme si l’univers entier se mettait à comploter autour de vous pour vous permettre de trouver l’inspiration. Observer son environnement, tenter le mieux possible de retranscrire impressions, odeurs, couleurs, textures. Cela devient un jeu puis un réflexe. 

Une ambiance à la Bagdad Café

Derrière la structure se trouve beaucoup de réécriture. Et toute une sensibilité que j’ai souhaité faire passer à travers une ambiance à la Bagdad café. Dans cette nature aride, ce décor en technicolor, j’écorne le mythe du rêve américain et j’aborde également la question de la résilience. J’ai écrit le roman que je voulais lire, sans chercher à plaire à une maison d’édition. Il a correspondu à une nécessité et j’ai adoré me perdre dans mon désert en pensée.”

Boris Faure : “Un deuxième roman est-il déjà en projet ?”

Corinne Cotereau : Alors oui. Il s’est passé beaucoup de temps avant la sortie de ce premier roman. L’expérience m’a tellement séduite que j’ai repris la plume. Mon deuxième roman est en réécriture, mais je n’en dirai pas plus pour le moment.”

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