Anne Genetet, la députée de la Xème circonscription des Français de l’étranger dont l’Ukraine fait partie, a porté à l’Assemblée nationale une résolution portant sur la reconnaissance comme génocide de la grande famine de 1932-1933, qui eut lieu en RSS d’Ukraine et dans le Kouban (RSFS de Russie), en URSS. Connue sous le nom d’Holodomor, cette catastrophe organisée par Joseph Staline fit entre 2,61 et 5 millions de morts.
« En politique, les symboles comptent. L’Assemblée nationale s’affirme et s’exprime ainsi sur ce sujet au moment opportun et de façon consensuelle »
Anne Genetet, députée de la Xème circonscription des Français de l’étranger (Renaissance)
Le problème ukrainien de Staline
À la 3e Conférence du Parti ukrainien, qui se réunit à Kharkov du 6 au 10 juillet 1932, l’immense majorité des orateurs (secrétaires des comités de district ou de région) jugent « irréalisable » le plan de collecte imposé par Moscou. Néanmoins, Molotov et Kaganovitch, dépêchés pour l’occasion à Kharkov, interviennent dans les débats de façon particulièrement brutale, n’hésitant pas à affirmer que « toute tentative de faire baisser le plan est un acte fondamentalement anti-Parti et anti-bolchevique ». Sous leur pression, les délégués de la conférence finissent par entériner le plan réclamé par Moscou pour 1932 : l’Ukraine devra livrer 5,84 millions de tonnes de céréales !
L’opposition manifestée par les responsables ukrainiens ne passe évidemment pas inaperçue de Staline, comme le révèle la correspondance, récemment publiée, qu’il échange avec Kaganovitch. Au cours du mois de juillet 1932, premier mois de la nouvelle campagne de collecte, le blé ne « rentre pas » : fin juillet, à peine 48 000 tonnes ont été livrées, soit sept fois moins qu’en juillet 1931.
Les rapports de la police politique évoquent une vague de départs sans précédent des paysans des kolkhozes, mais aussi une montée inquiétante des troubles dans les campagnes ukrainiennes : alors que les rumeurs se multiplient sur la prochaine dissolution des kolkhozes, les paysans, par dizaines de milliers, reprennent leurs vaches et leurs chevaux, pillent les silos où sont stockés les blés, se partagent les outils et les machines, moissonnent des lopins qu’ils se sont distribués à titre individuel. L’Ukraine est clairement l’épicentre des troubles paysans : sur les 1 630 émeutes et manifestations de masse recensées, fin juillet, par l’OGPU dans l’ensemble du pays depuis le début de l’année 1932, 1 096 se déroulent en Ukraine et au Kouban, principalement à partir du mois de mai.
Pour Staline, l’Ukraine est vulnérable, non en raison de la famine qui menace de mort des millions d’Ukrainiens, mais politiquement : elle apparaît comme le maillon faible du système. Staline n’a pas oublié que, deux ans auparavant, le régime soviétique avait perdu le contrôle, plusieurs semaines durant, de dizaines de districts frontaliers, limitrophes de la Pologne, gagnés par la plus grande vague d’insurrections paysannes consécutive à la collectivisation forcée des campagnes ; que l’Ukraine, à elle seule, avait été le théâtre de près de la moitié des quelque six mille cinq cents émeutes et désordres paysans recensés par l’OGPU au cours du seul mois de mars 1930. Malgré la signature, en juillet 1932, d’un pacte de non-agression avec Varsovie, la hantise d’une instrumentalisation par les services secrets polonais de l’agitation ukrainienne, reste omniprésente.
L’indépendance à la cheville
En réalité, Staline s’inquiète de la « question ukrainienne » bien avant 1930. Elle est présente dès sa nomination à la tête du Commissariat du peuple aux nationalités dans le premier gouvernement bolchevique, à la fin de l’année 1917 : la question de l’indépendance de l’Ukraine, proclamée par la Rada centrale, est alors primordiale ; elle l’est encore dix-huit mois plus tard, au printemps 1919, lorsque éclate la grande insurrection paysanne qui brouille les plans de reconquête bolchevique de l’Ukraine. Il est important, pour comprendre la position de Staline vis-à-vis du « problème ukrainien » en 1932-1933 de l’inscrire dans la réflexion qu’il opère entre question paysanne et question nationale. À ses yeux, « la question paysanne est par essence une question nationale, la paysannerie constituant la force principale du mouvement national. Il ne peut y avoir de mouvement national puissant sans le soutien de la paysannerie. »
Briser la résistance de la paysannerie ukrainienne par l’arme de la faim a permis de briser dans le même temps le seul mouvement national capable de s’opposer au processus centralisé de construction de l’URSS tout en sécurisant une frontière particulièrement instable qui coupait des communautés ukrainiennes artificiellement séparées depuis le traité de Riga de 1920.
Continuité historique
Si c’est en 2023 que l’Assemblée nationale reconnaît ce génocide, ce n’est évidemment pas un hasard, la crise actuelle s’inscrit dans une continuité historique comme nous le rappelle Anne Genetet. Pour la députée des Français de l’étranger, la guerre totale menée en Ukraine par le Kremlin « replace l’Histoire sous notre regard, car ce que nous observons est une nouvelle tentative de négation du fait national ukrainien, qui prend la forme de l’annexion de territoires, de déportations d’enfants, de crimes de guerre commis contre la population, ou encore du Kholodomor, dont le nom fait écho à l’Holodomor et qui désigne le ciblage des infrastructures énergétiques civiles pour faire mourir de froid la population ukrainienne ».
A la tribune, avant le vote, elle a ainsi souligné que chacune des agressions russes était une atteinte « à nos valeurs les plus chères et fait ressurgir pour les Ukrainiens le spectre de ce traumatisme passé », avant d’exhorter tous les députés à voter pour cette résolution. Ce qui fut fait à la quasi-unanimité de l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement représenté par le Ministre Olivier Becht, le ministre délégué aux Français de l’étranger.
Que reconnaît la résolution ?
Par ce texte, l’Assemblée nationale reconnaît officiellement le caractère génocidaire de la famine forcée et planifiée par les autorités soviétiques à l’encontre de la population ukrainienne en 1932 et 1933.
Elle condamne, logiquement, ce génocide commis par les autorités soviétiques et affirme son soutien au peuple ukrainien dans son aspiration à faire reconnaître les crimes de masse commis à son encontre par le régime soviétique.
La résolution formule ensuite quatre invitations au Gouvernement français, pour qu’il reconnaisse officiellement et condamne publiquement le caractère génocidaire de ces crimes de masse commis à l’encontre du peuple ukrainien. Elle invite aussi l’exécutif à rendre hommage à toutes les victimes de l’Holodomor et exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien qui a souffert de cette tragédie.
Enfin, elle invite le gouvernement à poursuivre ses initiatives diplomatiques visant à la reconnaissance internationale du génocide et à encourager sur la scène internationale un libre accès aux archives relatives à l’Holodomor, plus particulièrement en Fédération de Russie, afin de permettre aux historiens de poursuivre leurs recherches visant à établir et documenter les faits.
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