« Tu ne tueras pas ». Longtemps l’Occident se tortura les méninges pour justifier la décapitation, le bûcher, et surtout la « guerre juste ». On peut se moquer : il s’agit de la seule civilisation à théoriser le droit de tuer. Des Chinois, aux Aztèques, en passant par les Berbères, aucun peuple ne se flagella beaucoup sur le sang versé. Ils ne commirent pas plus de massacres, car l’Occident repentant -et la France en particulier- sait faire preuve d’une redoutable efficacité militaire. Mais rarement les dirigeants, sauf les tyrans, ont considéré l’assassinat comme une des façons naturelles d’exercer le pouvoir. Comme l’Occident imposa sa vision au monde, cela ne se faisait plus qu’en cachette. C’est de moins en moins vrai.
L’assassinat ne serait plus une mauvaise manière
Donald Trump a tant valorisé le seul rapport de force que tout éthique semble désuète. En choisissant pour meilleurs amis Kim Jong Un ou MBS, deux princes héritiers qui se prennent pour des génies, en dénigrant la Chancelière allemande ou le Président français, chaque petit seigneur aura compris que l’assassinat politique n’était pas signe de mauvaise manière. Si l’on y ajoute l’isolationnisme, cela signifie que la voie est libre.
L’affaire Khashoggi l’a bien montré. Les empoisonnements de Sergei Skripal, Alexander Litvinenko, et Alexey Navalny, portent une signature en forme de revendication. L’assassinat devient un message, son impunité magnifie. Le crime paie. Le Prince d’Arabie fut-il affaibli ou conforté par l’assassinat de Khashoggi ? Le Hezbollah, qui a vu deux de ses militants, héros à ses yeux, condamnés par contumace pour l’assassinat de Rafiq Hariri et de 21 autres personnes, s’en trouve-t-il honteux ou plus menaçant?
Le seul critère de la force
Les milices pro chiites tuent en pleine rue en Irak. En Iran les manifestants sont exécutés, même quand ils s’exilent, comme ce juge tombé d’une fenêtre en Roumanie.
En Afrique, l’assassinat se perfectionne en prise d’otages : l’enlèvement permet de terroriser et de négocier, en même temps. Le nouveau pouvoir malien n’a-t-il pas libéré des djihadistes assassins, à la barbe de l’armée française, en échange d’otages ? Boko Haram n’est pas le seul à pratiquer ce type de dialogue.
L’assassinat s’inscrit dans une mode plus vaste qui juge les relations politiques au seul critère de la force. On le voit en Turquie, comme en Biélorussie, mais il serait injuste d’oublier que la Chine, l’Egypte, le Vietnam, l’Arabie saoudite, la Syrie restent les prisons les plus accueillantes des journalistes, (selon Reporters sans frontières).
Le cynisme sous couvert de realpolitik
Avec l’épidémie de Covid où seules les fausses nouvelles officielles sont autorisées, les disparitions de journalistes et d’opposants se multiplient, surtout en Asie.
Le critère « immoral » de l’intimidation, de l’assassinat semble avoir disparu sous le chapeau d’une realpolitik où le cynisme ferait figure de pragmatisme.
Bien sûr ce serait d’une grande stupidité de ne pas tenir compte des rapports de force. Certes, la plupart des discours sur les droits de l’homme sont à usage interne. Et pourtant.
La Chine explique à qui veut l’entendre, notamment en Afrique, qu’elle ne se mêle pas des affaires intérieures. Pas d’ingérence ! répètent les Russes, qui s’agitent en Ukraine, en Syrie, Lybie, Moldavie, Géorgie, Venezuela, etc…
Lors de la dernière session du Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Ambassadeur d’Allemagne a accusé la Russie d’avoir causé des milliers de morts en Syrie en refusant l’entrée de convois humanitaires. Russes et Chinois se sont moqués.
Si l’on veut être cynique, il faut l’être jusqu’au bout
Ils ont tort. Comme les Etats-Unis, grandement responsable de cette situation, par leur refus d’assumer un quelconque leadership.
Déjà, si l’on veut être cynique, il faut l’être jusqu’au bout.
1. Il est plus facile de tuer quand on le fait pour une bonne cause que pour un maitre sans foi ni loi. Demandez à Staline. Comme à Machiavel.
Le bien est une idée plus mobilisatrice que la force. Aucun Prince ne peut y renoncer. Remplacez la liberté par Allah ou la Révolution mondiale, mais prenez garde à ne pas paraitre comme un assassin sans idéal. Les mères ne le supporteront pas, un jour ou l’autre, leurs enfants non plus.
2. Le culte de la force brute et de l’assassinat le légitime, y compris contre soi. Les dirigeants qui pratiquent l’assassinat doivent se protéger du leur, enfermer et assassiner toujours plus.
Le leadership « moral » de l’occident reste une arme
Rares sont les pays, qui, dans la durée, conjuguent richesse et oppression. Un pays où Winnie l’Ourson est interdit parce qu’il ressemblerait au Génial Guide suprême aura un jour ou l’autre des problèmes avec l’intelligence artificielle.
3. Le leadership « moral » de l’Occident, que l’on moque abondamment, que l’on traite de cynique, d’hypocrite ou de naïf, reste oppressant pour les autres. Mais il vaut mieux l’utiliser contre ceux qui se prennent pour une alternative morale, comme la Chine, que contre les pauvres, comme les Egyptiens, qui ballotent entre une oppression et une autre.
Le plus cynique des princes gagnera à paraitre vertueux, ce qui est difficile quand on offre le visage d’un assassin. Le coût de l’oppression, est, de toute façon un coût exorbitant. C’est une erreur que d’abandonner l’argument moral, même d’un point utilitaire.
Une erreur d’abandonner l’argument moral
Faut-il ajouter qu’il peut aussi être sincère, et efficace. Quand on voit les efforts déployés par n’importe quel régime pour éviter d’apparaitre comme un despote, on comprend que, quelle que soit la latitude, les taches de sang ont du mal à partir.
La principale menace, pour les Etats-Unis, n’est pas l’industrie chinoise, elle serait d’abandonner le leadership de la démocratie, outil de maîtrise politique. Si la Chine était une démocratie, ils deviendraient les maîtres du monde.
Si la Chine était une démocratie, ils deviendraient les maîtres du monde
Les Européens, eux, doivent tenir cette ligne. Si ce n’est par conviction, au moins par intérêt. Si d’aucuns valorisent la force jusqu’à l’assassinat, ne jamais leur montrer de faiblesse.
Les réactions allemandes et britanniques aux pressions chinoises ou aux empoisonnements russes ne sont pas le signe de puissances faibles. Que l’Europe s’en inspire, à commencer dans son voisinage immédiat. Le réalisme politique l’y oblige.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France, A. Député de Paris
Editeur du site Lesfrancais.press
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