Les années 2010 furent une décennie en or pour l’Allemagne avec, à la clef, l’absence de chômage, des excédents commerciaux sans précédent, et une croissance supérieure à celle de ses partenaires. Depuis la crise Covid, le modèle allemand qui repose sur l’industrie et les exportations s’enraye.
Les échanges avec la Chine qui est devenue son premier client sont remis en cause par la multiplication des sanctions commerciales et par le ralentissement de la croissance de ce pays. L’industrie est confrontée à la montée des prix de l’énergie et des matières premières. Cette dernière doit, en outre, gérer le défi de la transition énergétique.
Quelques années après avoir été qualifiée d’Etat malade de l’Union européenne, l’Allemagne a vécu à partir de 2003 un deuxième miracle économique après celui des années 1950/1960. La crise financière de 2008/2009 a, à peine, entravé sa croissance. Ce miracle a été imputé, en partie, aux réformes du marché du travail initiées par Gerhard Schröder, chancelier de 1998 à 2005, associées à la restauration des comptes publics.
Le PIB allemand a progressé de 24 %, contre 22 % pour celui du Royaume-Uni et 18 % pour la France.
L’économie allemande a profité du décollage des pays de l’Asie du Sud-Est. Sa spécialisation coïncidait avec les besoins de ces pays en biens d’équipement et en voitures de luxe. 7 millions d’emplois ont été créés pour satisfaire la demande en provenance des pays émergents. Du milieu des années 2000 à la fin des années 2010, le PIB allemand a progressé de 24 %, contre 22 % pour celui du Royaume-Uni et 18 % pour la France.
Cette période a été marquée par un consensus important au sein de la population avec une convergence de vue entre les employeurs et les syndicats. Angela Merkel a représenté pendant une dizaine d’années cette Allemagne qui gagne avec comme symbole la victoire de la Mannschaft à la Coupe du monde de football en 2014. C’est l’époque où l’on se plaît à définir le football comme un sport se pratiquant à onze contre onze avec un ballon, et à la fin c’est l‘Allemagne qui gagne.
L’Allemagne supplante tous les autres Etats de l’Union européenne au point qu’outre-Atlantique, de nombreux experts en géopolitique estiment que l’Europe est désormais allemande. Lors du début de l’épidémie de Covid, l’Allemagne, dont les finances publiques sont saines, ne connaît pas les mêmes problèmes que l’Italie ou la France. Moins touchée par la première vague, elle n’est pas confrontée au problème du manque de lits.
Les autorités ne décident pas l’instauration d’un confinement strict, ce qui permet d’éviter un arrêt brutal de l’économie. Le pays sera, en revanche, plus durement frappé par la Covid à l’occasion des deuxième et troisième vagues. Les confinements locaux perdureront plus longtemps que dans la moyenne des pays de la zone euro. Nul n’imagine alors que la réussite allemande puisse être rapidement remise en cause.
Une expansion moins rapide que la France ou l’Espagne sur ces cinq dernières années
A l’image de l’équipe d’Allemagne de football qui connaît déconvenues sur déconvenues depuis huit ans, les atouts de l’économie allemande se fissurent les uns après les autres. En 2023, cette dernière est entrée en récession et connaît une expansion moins rapide que la France ou l’Espagne sur ces cinq dernières années.
Une industrie fragilisée par l’augmentation des prix de l’énergie
Avant la guerre en Ukraine, près de la moitié du gaz naturel consommée par le pays provenait de Russie et un quart du pétrole. L’industrie allemande a prospéré dans les années 2000 grâce à un accès abondant et relativement peu coûteux à des énergies carbonées. En quelques mois, elle a dû trouver de nouveaux fournisseurs au prix d’un surcoût non négligeable. La Russie était hors Union européenne le quatrième pays d’exportation pour l’Allemagne. Celle-ci absorbait 2,5 % des importations allemandes. L’industrie allemande dont l’intensité énergétique est élevée a été contrainte de diminuer sa production en 2022 en raison du doublement du prix de l’énergie. Des usines ont été forcées à fermer. Face à l’augmentation des coûts, des entreprises des secteurs de la chimie, du verre, de la céramique ou du papier ont décidé de fermer des usines.
Le gouvernement allemand s’est résigné à verser 2 milliards d’euros au sidérurgiste ThyssenKrupp, afin qu’il maintienne ses aciéries en activité, tout en les rendant plus vertes. Intel est en négociation avec les fournisseurs d’électricité locaux afin de stabiliser le prix à 100 euros le mwh pendant deux décennies afin de continuer à fabriquer des microprocesseurs. L’indice manufacturier des directeurs d’achats est au plus bas depuis les premiers mois de la Covid. Des enquêtes telles que l’indice IFO montrent que les chefs d’entreprise allemands ne croient guère à un renversement de tendance. Le FMI estime que l’économie du pays ne croîtra que de 8 % entre 2019 et 2028, à peu près aussi vite que la Grande-Bretagne, mais moins vite que la France (+10 %), les Pays-Bas (+15 %) et les Etats-Unis (+17 %).
L’Allemagne face à un nouvel ordre international
Le premier défi auquel l’Allemagne est confrontée est d’ordre géopolitique. Les Etats-Unis et de nombreux Etats membres de l’Union européenne souhaitent repenser les chaînes d’approvisionnement afin d’être moins dépendants d’un seul fournisseur non-occidental, en particulier la Chine. Cette dernière, en réaction, entend également limiter l’accès à son marché aux entreprises occidentales. L’Allemagne risque d’être la principale perdante, à terme, de cette segmentation du commerce international. En 2022, les exportations vers la Chine représentaient 3,2 % du PIB, contre 2,2 % du PIB pour les Pays-Bas, 1,8 % du PIB pour le Royaume-Uni et 1,4 % du PIB pour la France. Le ralentissement de la croissance de l’économie chinoise freine les importations allemandes.
Par ailleurs, la Chine entend réduire ses achats en Occident et développe des productions de substitution. L’électrification du parc automobile qui s’effectue à grande vitesse a changé le rapport de force. La Chine qui dispose d’un quasi-monopole sur la production de batteries en profite pour imposer ses voitures à l’exportation. En parallèle, les importations de véhicules à moteur thermique, la spécialité allemande, se réduisent.
L’Allemagne réagit face à la concurrence chinoise. Des entreprises implantent sur son territoire des usines de microprocesseurs ou de batteries. Le fabricant américain de véhicules électriques Tesla, a déjà construit une usine près de Berlin et prévoit de l’agrandir. Intel a accepté de créer un centre de fabrication de microprocesseurs à hauteur de 30 milliards d’euros à Magdebourg, dans le centre de l’Allemagne. Le constructeur taïwanais TSMC et trois autres fabricants de microprocesseurs ont annoncé le 8 août dernier un projet de construction d’une usine de 10 milliards d’euros à Dresde. Ces implantations sont obtenues en contrepartie d’importantes subventions de la part des pouvoirs publics. L’Etat allemand a offert 10 milliards d’euros de subventions à Intel et 5 milliards d’euros à TSMC sans espoir de pouvoir les récupérer sur le terrain fiscal.
Le difficile virage de la transition énergétique
L’Allemagne est une économie qui a toujours reposé sur les énergies carbonées, le charbon, le pétrole ou le gaz. Au XIXe siècle, le pays tire sa richesse de la sidérurgie et de la construction navale. Au XXe siècle, l’industrie automobile et la chimie ont pris le relais. Son empreinte carbone est élevée ; elle est supérieure de 50 % à celle de la France. Si depuis des années, des politiques d’économies d’énergie sont mises en place, elles n’ont pas réussi à changer la donne. La guerre en Ukraine a nécessité la réouverture de centrales au charbon qui ont accru les émissions de gaz à effet de serre.
L’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050 constitue pour l’Allemagne un réel défi. Le plan initial, imaginé dans les années 2010, était de remplacer l’énergie nucléaire par des énergies renouvelables et du gaz russe bon marché. Le gaz russe a disparu et les investissements dans les énergies renouvelables ont été insuffisants. L’interconnexion des réseaux électriques demeure imparfaite, les Länder d’Allemagne du Nord et de l’Est ne souhaitant pas financer ceux du Sud jugés riches et consommateurs (Bavière, Bade Württemberg). Comme dans le reste de l’Europe, les populations locales s’opposent à l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires, et déposent de multiples recours pour retarder les projets en cours. Or, quatre à six éoliennes terrestres devraient être installées par jour pour atteindre l’objectif officiel de 80 % d’électricité renouvelable d’ici 2030.
Les constructeurs automobiles allemands – BMW, Mercedes, Porsche, Volkswagen – ont pris du retard en matière d’électrification de leur gamme. Ils sont concurrencés par les constructeurs chinois et par l’entreprise américaine Tesla. La capitalisation boursière combinée des quatre sociétés représente désormais moins de la moitié du fabricant américain.
La Chine a vendu 2,7 millions de véhicules à l’étranger en 2022, contre moins de 400 000 en 2015. Les deux cinquièmes étaient électriques ou hybrides. Les entreprises allemandes en acquièrent de plus en plus. Sixt, une société de location de voitures allemande, a récemment commandé 100 000 véhicules au constructeur automobile chinois Byd.
La contrainte aiguë du vieillissement démographique
Plus que tout autre pays de l’OCDE, l’Allemagne est confrontée au problème du vieillissement de sa population. Sa population en âge de travailler représente 64% du total, soit la même proportion qu’aux Etats-Unis, mais l’âge médian y est de 45 ans, contre 39 pour les seconds. En raison des restrictions imposées après la Seconde Guerre mondiale et des décès occasionnés par celle-ci, l’Allemagne n’a pas bénéficié d’un baby-boom aussi puissant qu’au sein des autres pays de l’OCDE.
Depuis une dizaine d’années, à l’exception de la brève période de la Covid, l’économie allemande souffre d’un manque de main-d’œuvre. Compte tenu de la pyramide des âges, le marché du travail perdra 7 millions de ses 45 millions de travailleurs d’ici 2035.
Le pays ne peut plus compter sur l’immigration en provenance des pays d’Europe de l’Est qui sont également confrontés à des pénuries de main-d’œuvre. L’Allemagne multiplie les lois en faveur de l’immigration extra-européenne afin de permettre aux entreprises de recruter. Le pays est devenu en quelques années le premier pays d’accueil d’immigrés en Europe, loin devant la France, l’Italie ou l’Espagne.
Un retard marqué dans le numérique
Les Allemands ne sont pas des adeptes du digital. Pour les paiements, ils préfèrent le numéraire. Ils sont nombreux à avoir demandé à Google Maps à flouter leur maison. Selon les statistiques d’Eurostat, seuls les Bulgares, les Italiens et les Roumains utilisent moins les services gouvernementaux numériques que les Allemands. Cette faible appétence au numérique est un frein aux gains de productivité. Elle est aussi une contrainte compte tenu du déficit de main d’œuvre. L’intelligence artificielle fait l’objet, dans le pays, de beaucoup de réserves.
Une administration à faible efficience
Le poids de la bureaucratie est de plus en plus perçu comme un handicap. Manfred Bischoff, l’ancien Président d’Airbus, soulignait avec délice que l’administration allemande avait par rapport à celle de la France un atout indéniable : sa médiocrité. Elle n’attire pas les meilleurs étudiants et rechigne à se moderniser. Cela avait, à ses yeux, comme avantage de permettre au secteur privé de diriger l’économie quand en France, l’administration s’est emparée de cette mission. La faible efficacité de l’administration semble se retourner contre l’économie allemande. Les permis de construire prennent 50 % de plus que la moyenne de l’OCDE à être délivrés. Les essais cliniques sont presque impossibles à réaliser en Allemagne, obligeant les entreprises de biotechnologie à ouvrir des centres de recherche à l’étranger. Les demandes d’agrément d’installation produisant de l’énergie peuvent s’étaler sur plus d’une année. A raison, 70 % des Allemands pensent que l’État, faute de s’être modernisé, est incapable de répondre aux demandes des particuliers ou des entreprises.
L’inertie administrative devient un véritable goulet d’étranglement. L’opposition croissante entre les Länder et l’Etat fédéral pèse sur l’économie, les décisions étant lentes et pouvant donner lieu à des remises en cause. Angela Merkel a ainsi éprouvé d’importantes difficultés à imposer ses vues durant la crise sanitaire. La structure fédérale allemande a créé un patchwork de fiefs numériques farouchement gardés. Les systèmes informatiques ne sont pas interconnectés et ne facilitent pas les transferts de données.
L’effritement du consensus
Sur le terrain politique, l’Allemagne doit gérer la montée de l’extrême-droite au sein des Länder de l’Est. Alternative für Deutschland (AFD), a recueilli à certaines élections 20 % des voix. L’effritement du consensus, s’il est moindre que dans d’autres pays comme la France ou l’Italie, constitue une nouveauté pour l’Allemagne. Des dissensions apparaissent au sein de la majorité qui associe le SPD, les Verts et les Libéraux. Certains veulent relancer l’économie en multipliant les aides quand d’autres restent fidèles à l’orthodoxie financière.
L’Allemagne reste l’Allemagne
Les succès du pays ont longtemps masqué l’insuffisance de ses institutions et de son administration. Malgré tout, l’Allemagne dispose d’atouts indéniables. Son taux d’endettement public demeure inférieur à celui des autres grands pays européens, tels la France, l’Italie ou l’Espagne. Même s’ils ont été rognés, elle continue à dégager d’importants excédents commerciaux. Les entreprises soutenues par leurs banques et leurs actionnaires disposent de capacités d’investissement élevées leur permettant de relever le défi de la transition énergétique. L’Allemagne grâce à son industrie est capable de générer facilement des gains de productivité à la différence de la France qui est un pays tertiaire.
Les revenus sont Outre-Rhin bien plus élevés qu’en France. L’écart est de plus de 15 % et les prélèvements obligatoires sont de 5 points plus faibles. Si l’Allemagne est un pays blessé, elle est loin d’être défaite.
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