L’Allemagne face au changement systémique de l’économie

Les Français estiment que le cycle économique qui s’achève était par nature favorable aux Allemands car reposant sur la fourniture de biens d’équipement et de voitures. La remise en cause du modèle de croissance qui s’appuie sur industrie est donc censée mettre en difficulté notre partenaire d’Outre-Rhin.

L’Allemagne est confrontée à plusieurs défis : la contraction des industries du passé mais aussi à la nécessité de sortir de la production électrique par le charbon. Par ailleurs, la moindre croissance du commerce international est une source de danger pour un pays dont la croissance repose avant tout sur les exportations. Le chantier de l’énergie L’Allemagne doit relever le défi de la transition énergétique. Du fait de ses choix énergétiques, son électricité est déjà plus chère de plus de 20 % de celle produite en France. Or, le Gouvernement a pris l’engagement de fermer les centrales au charbon d’ici 2038. Ces fermetures suivront celles des centrales nucléaires qui doivent intervenir d’ici 2022.

En 2016, la production électrique via le charbon représente 43 % du total de la production. La part du nucléaire est de 13 % en 2016 contre 30 % en 1998. Les énergies renouvelables sont passées de 1 à 18,4 % durant la même période. L’éolien avec 12,4 % de la production est la première énergie renouvelable pour la production d’électricité. La part du gaz naturel dans la production électrique était de 13 % en 2016 contre 10 % en 1998. Cette transformation énergétique exige des investissements importants qui peuvent générer des surcoûts non négligeables et éroder un temps la compétitivité économique de l’industrie.

Un affaiblissement de la compétitivité allemande

Le modèle allemand reposait sur une intégration de biens intermédiaires à faibles coûts et sur des exportations haut de gamme dégageant des marges importantes. Une monnaie forte permettait de réduire le coût des importations et de valoriser les exportations. Pour maîtriser les coûts, les entreprises ont, ces dernières années, opté pour la rigueur salariale. Ce modèle a vécu. Les importations sont de plus en plus coûteuses, d’autant plus que l’euro a eu tendance à se déprécier en raison de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Depuis trois ans, les salaires progressent plus rapidement en Allemagne que chez ses principaux partenaires du fait du plein emploi et de l’instauration d’un salaire minimum national.

La régionalisation du commerce international

Les exportations dans des pays éloignées progressent moins vite que celles à destination des pays proches, ce qui n’était pas le cas au début du XXIe siècle. Plus un pays est développé, plus il a tendance à commercer avec ses voisins. Les pays d’Asie du Sud Est obéissent à cette loi. Les contraintes environnementales amplifient cette tendance. Ces dernières années, L’Allemagne a amplement profité de la croissance de la demande en provenance des pays émergents. Aujourd’hui, elle doit compter davantage sur les États de la zone euro mais dont la demande interne révolue faiblement.

Des atouts pour réussir cette transition

Les entreprises industrielles allemandes doivent tout à la fois revoir leur offre, faire face à la transition énergétique et se repositionner à l’international. Pour le moment, elles encaissent les chocs extérieurs sans pour autant réduire leurs effectifs, ce qui conduit à une baisse de la productivité. Pour s’adapter à la nouvelle donne économique, l’Allemagne dispose d’indéniables atouts. Les capacités financières des entreprises, des ménages, des administrations publiques sont importantes.

Le taux d’épargne des ménages dépasse 18 % de leur revenu disponible brut. Le solde budgétaire est positif d’environ un point de PIB et la dette est en passe de revenir en-dessous de 60 % du PIB. Par ailleurs, le pays dégage d’importants excédents au niveau de sa balance des paiements courants, plus de 7 % du PIB. Le taux d’autofinancement des entreprises dépasse 110 %, ce qui leur permettrait d’investir plus fortement. Cet excédent d’épargne pourrait servir à l’Allemagne à préparer le futur avec notamment une augmentation des investissements dans les énergies renouvelables, dans l’intelligence artificielle ou dans les technologies de l’information.

Pour le moment, l’Allemagne est peu présente dans le secteur d’Internet et dans les industries des énergies renouvelables à l’exception de l’éolien. Dans ce dernier secteur, les parts de marché de l’Allemagne dépassent 10% pour la production des biens d’équipement. La capacité de production en batteries électriques est de 726 MWh contre 217 GWhs pour la Chine, 49,6 GWH pour les États-Unis et 1,1 GWh pour la France. Elle arrive en onzième position à l’échelle mondiale et cinquième position au sein de l’Union européenne (source : Bloomberg Energy). Face à cette évolution de la donne industrielle, les entreprises allemandes répondent pour le moment avec lenteur. L’investissement productif outre-Rhin qui se tasse depuis deux ans est désormais inférieur à celui des autres pays de la zone euro. L’investissement public reste faible même s’il est en légère progression depuis 2016. Il est de 0,5 point de PIB inférieur à celui des autres pays de la zone euro (respectivement 2,5 % en Allemagne contre 3 % du PIB en moyenne au sein de l’eurozone – source Datastream). L’épargne de l’Allemagne est affectée à des placements sûrs avant tout des obligations d’État. Depuis la crise des dettes souveraines, l’Allemagne a réduit ses placements au sein de la zone euro et privilégie les acquisitions d’obligations aux États-Unis. Grâce essentiellement aux excédents d’épargne de l’Allemagne, la zone euro remplace la Chine comme créancier des États-Unis, permettant à ses derniers de conserver leurs déficits extérieur et budgétaire.

Le ralentissement économique en cours contraint les entreprises allemandes à revoir leur modèle. Comme en 2008 ou en 2011, elles ont décidé de placer en temps partiel une partie de leurs salariés et d’engager des processus de formation afin de faciliter la réorientation de leurs activités. Ainsi, des entreprises dans le secteur des machines-outils se spécialisent dans la fabrication de matériels lourds pour les salles d’opération qui intègrent de plus en plus des équipements à forte intensité technologique dont le laser.

 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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