Ils se tutoient, François et Emmanuel. « Je t’ai fatigué avec toutes ces histoires ». « Tu ne m’as pas fatigué ». Telles furent les paroles échangées entre le Souverain Pontife et le Président de la République, le 26 novembre dernier. « Comment vas-tu ? ». Emmanuel Macron revoit le Pape. Il participe aux rencontres de la Communauté de Sant’Egidio, « le cri de la paix ».
Le Pape, le 25 mars 2022, un mois à peine après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, invitait tous les évêques du monde à prier pour consacrer la Russie à la Vierge Marie.
Drôle d’idée pour un prêtre argentin, qui vient de loin : Jean Paul II l’avait fait, un an après avoir survécu à un attentat du KGB. Pie XII, en 1943, l’année de Stalingrad. Ces papes répondaient à une « demande de la Vierge de Fátima », apparue en 1917 à trois enfants, juste avant la révolution russe. La répétition de la « consécration » souligne aussi l’échec d’associer la Russie à la voie romaine.
Associer la Russie à la voie romaine
On peut en rire : le Pape, combien de divisions ? L’influence du Vatican, avec son remarquable réseau diplomatique, se mesure du Nicaragua aux Philippines, en passant par l’Afrique. L’Eglise, c’est 210.000 écoles à travers le monde, 1700 universités, 1.3 milliards de catholiques (bientôt plus que de Chinois).
Qu’est-ce que vient faire la Vierge de Fatima en Ukraine ? C’est l’histoire longue : consacrer la Russie (et l’Ukraine) à la Vierge, c’est dire qu’elle est européenne. Elle est plus proche de Rome (qui croit à la Vierge) que New York et les Evangélistes, (qui n’y croient pas). Est-ce à dire que le Vatican, qui intègre l’Ukraine à la Russie, donnerait raison à Poutine ? « Quant à la guerre à grande échelle en Ukraine, initiée par la Fédération de Russie, les interventions du Saint-Père sont claires et sans équivoque pour la condamner comme moralement injuste, inacceptable, barbare, insensée, répugnante et sacrilège », tranche le Saint-Siège.
Poutine tente une alliance anti occidentale, avec la Chine, l’Iran, et quelques autres. Ces alliances sont de fausses alliances, éphémères. Et les conflits des saignements d’orgueil et des beuveries de puissance. Le Pape argentin, étranger à la géopolitique européenne (il n’est pas Jean Paul II), rappelle cette évidence : la Russie est européenne. L’Occident n’est pas qu’américain : il est aussi latin. Cette particularité se voit aussi dans le traitement différencié, au sein de l’Europe, entre le nord et le sud.
L’Europe doit garder une place pour la Russie
La voie européenne reste la voie traditionnelle de la Russie, évidente. En quelque sorte, l’Europe doit garder une place pour la Russie. Evidemment, la Russie doit changer. Espérer, non seulement la paix, mais une paix durable, fondée sur le respect des peuples, c’est à dire la liberté.
Il n’y a pas si longtemps, les Papes rejetaient les droits de l’homme. Aujourd’hui, c’est l’inverse. En Chine comme en Iran, la première demande de la diplomatie vaticane est la liberté religieuse. L’Eglise rappelle que le fondement de la civilisation occidentale est la liberté (parfois contre elle). C’est en œuvrant pour elle, en Russie comme en Asie, que se gagne la course, non à la suprématie, mais à l’influence, au mode de vie, au modèle. Une victoire repose d’abord sur des espérances, non sur des technologies.
La construction de l’Union Européenne, objet politique non identifié, est une nouveauté, la seule invention « moderne » dans le champ politique, parce qu’elle ne revendique ni domination ni suprématie. Organisation supra nationale plus qu’internationale, alliance d’Etats qui ne cherche pas à subjuguer, qui refuse de se fermer, obligée de cultiver le compromis jusqu’à la caricature.
Cet équilibre, cette modestie, est la seule voie d’avenir qui ne soit pas une régression vers les rêves de domination, contrairement au « rêve chinois » ou au néo-impérialiste russe. Le projet politique européen qui ne met pas en avant la force de tel ou tel Etat, de tel ou tel dirigeant, mais affiche comme principe le droit, celui du citoyen.
Deux vainqueurs provisoires de la guerre d’Ukraine : Chine et Etats-Unis
Pour intégrer la Russie à l’ensemble européen, il faut que naisse une autre Russie, une autre Europe, un autre monde. Alors les deux vainqueurs provisoires de la guerre d’Ukraine, Chine et Etats-Unis, n’auront peut-être pas l’occasion de figer le monde dans un nouveau face à face.
On peut se moquer du pape, on aurait tort. Dans la chute de l’URSS, l’Eglise ne fut pas innocente. C’est bien pour cela qu’il y eut un attentat. Jean Paul II répondit avec Fátima, déjà. Et Solidarnosc. L’Église a une diplomatie à long terme, ancrée dans l’histoire -et ailleurs : ce qui parle plus aux combattants, pour le meilleur et pour le pire, que le cours du gaz. Les chancelleries, à un moment ou à un autre, enregistrent les éléments du Vatican. Les États-Unis ne sont pas les derniers à le reconnaitre : en août 1917, le Pape faisait un Appel à la paix auprès des Chefs d’état en guerre. Cela eut un effet sur le nouvel empereur, Charles de Habsbourg. Le protestant Wilson en intégra les éléments dans ses fameux 14 points.
Vaincre la guerre suppose d’abord de vaincre
La guerre d’Ukraine est un enjeu vital pour l’Europe. Une défaite ukrainienne serait mortelle, une guerre longue un poison. Intégrer l’Ukraine sera aussi difficile ; presqu’impossible si une porte n’est pas ouverte avec la Russie. Il faut donc penser la paix -la victoire- en termes d’ouverture avec la Russie. Mais vaincre la guerre suppose d’abord de vaincre.
Paradoxalement, si on pense l’avenir de la Russie en Europe, il est impératif d’être plus audacieux. Pour l’instant on suit, derrière les Américains. Mais l’Ukraine restera, avec la Russie, le problème européen.
Intervenir de façon plus forte en Ukraine
C’est le moment d’intervenir de façon plus forte en Ukraine. Un peu comme la France libre s’immisça dans la victoire contre le nazisme, arracha une place pour la France à la table des vainqueurs. Préparer le règlement de la paix, suppose de s’investir plus dans la guerre. Dialoguer avec Poutine, (et il le faut), demande de montrer plus de soutien à l’Ukraine.
Si l’on veut que la Russie rejoigne la voie romaine, c’est-à-dire préfère l’Europe à une vassalisation chinoise, alors soutenir aussi tout ce que la Russie compte de démocrates, de dissidents, d’exilés, -à commencer par les déserteurs- et dialoguer, encourager, financer, préparer l’après Poutine. Car l’Histoire longue enseigne quelque chose : seuls les dictateurs se croient immortels. La géographie, elle, ne change pas. Dire au peuple russe que sa place est en Europe, que son destin est la liberté. Et que s’engager en Ukraine, c’est aussi s’engager pour lui.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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