La vague wokiste n’atteint pas la Méditerranée

La vague wokiste n’atteint pas la Méditerranée

Est-ce parce que les Méditerranéens, de la rive nord comme de la rive sud, de la Turquie à l’Espagne sont d’atroces machos ? Ce serait une explication simple, mais simpliste. La Méditerranée est la mère des cultures européennes, arabes, musulmanes, etc., par un mélange qui a brassé tant de modes de vies, de religions et de systèmes de « domination » qu’on peut les comparer aux autres. 

La Méditerranée est la mère de tout l’Occident. Y compris de la culture dite « anglo-saxonne », chrétienne. La Méditerranée est aussi la mère d’une grande partie de l’Orient, du monde arabe jusqu’à la Russie (Tsar, c’est César, Kandahar c’est, Eskandar, Alexandrie). 

La Méditerranée est la mère de tout l’Occident

Qu’est-ce que la culture méditerranéenne ? La pluralité, la diversité, des langues, des peuples, des dieux, du droit. Le wokisme dénonce dans l’Occident le colonialisme, le néo-colonialisme, l’esclavage, l’oppression des femmes, le racisme, le pouvoir. La Méditerranée, c’est tout cela. Elle commence par la colonisation, de Tyr à Tartessos, de Phocée à Marseille, jusqu’à Strasbourg et Londinium. Mais n’est-ce pas le cas des Chinois ? Que font les Turcs, tribus de l’Altaï, à Constantinople ? Les Arabes à Tunis ? Les Zoulous, en Afrique du Sud ? Les Russes à Vladivostok, les Hongrois à Budapest ? Les Celtes en Écosse ? Les Aztèques à Mexico ? Ce qui marque les élites américaines, c’est qu’elles n’ont pas colonisé l’Amérique, elles en ont exterminé les occupants. Tout comme le racisme institutionnel, malgré la guerre de Sécession, s’est maintenu jusque dans les années soixante. Il y eut un Président noir aux États-Unis en 2008 ; en France, Gaston Monnerville était ministre en 1937, Président du Sénat de 1948 à 1968. La Méditerranée a tout connu, comme les autres, sauf, peut-être, le racisme.

Les Hilotes de Sparte, étaient grecs, vaincus soumis à l’esclavage, règle quasiment universelle. L’origine des castes en Inde vient-elle d’une hiérarchie de races ou de tabous religieux ? Le racisme semble présent, de la Bible au Japon, des Incas aux Papous, mais ne semble être théorisé qu’à partir du dix-huitième. Sur les centaines de sociétés étudiées à travers le monde, l’esclavage est quasiment universel. Il existe en Asie comme chez les Précolombiens, chez les Indiens de Californie comme en Arabie, chez les Juifs comme chez les Peuls. L’esclavage n’est pas une particularité occidentale.

L’esclavage est quasiment universel. Ce sont les Européens qui y mirent fin, parfois à coups de canon.

Les Européens n’allaient pas chercher les esclaves africains à l’intérieur des terres. Rois et marchands les leur amenaient sur les côtes, comme ils le faisaient depuis des siècles, pour les Arabes vers les côtes orientales de l’Afrique, vers les côtes méditerranéennes par les routes du Sahara. Et les Barbaresques réduisaient les Chrétiens en esclavage.

En revanche, ce sont les Européens qui mirent fin à l’esclavage, Français et Britanniques en tête. Après en avoir profité, comme les autres, peut-être mieux que d’autres. Ils le firent à coup de baïonnettes et de canons : ce fut le cas au Dahomey, en Algérie, à Oman, en Arabie, dans les Indes occidentales. S’il y a une caractéristique de l’Occident, ce n’est pas l’esclavagisme, mais l’anti-esclavagisme. La dénonciation de l’esclavage n’existe dans aucune autre « civilisation ». 

D’où cela vient-il ? Du christianisme, qui considère tous les hommes comme « égaux ». Du droit, qui invente la notion juridique de la « personne ». Dans la plupart des sociétés, la « personne » en tant que telle n’existe pas. Sa vie, ses droits, sont définis par sa famille, son clan, sa tribu. D’où l’importance du nom, généralement « fils de ». L’esclave n’a pas de nom, pas de parents. À Rome, personna est le masque que l’on sort lors des funérailles, qui représente les ancêtres, le lignage. Mais le « masque » devint une notion juridique : c’est « quelqu’un », qui a des droits. À l’individu, qui a sa place dans la famille et la société, se superpose une « personnalité juridique ». Le père de famille (paterfamilias) a tous les droits, certes, mais n’est, en fait, que le gestionnaire, provisoire, de la famille. Il a ses ancêtres avant lui, et ses héritiers. Lesquels ne sont pas que les siens : la femme existe. Elle a aussi des droits, qui lui viennent de sa famille. Même le droit de divorcer (ce que fit Messaline).

L’invention de la « personne » juridique est parallèle à celle du citoyen.

L’invention de la personne juridique est parallèle à celle du citoyen. Le droit de la personne est une spécificité méditerranéenne, inséparable de la notion de liberté. Parmi les mille explications de la disparition de la civilisation antique, celle d’une tyrannie impériale, qui niait ces droits, ne serait-ce que par l’obligation de reprendre le métier de son père, d’où l’interdiction de quitter la terre, origine du servage. 

L’esclavage est aboli assez vite sur la terre européenne. Notamment en France : dès 1315 , Louis X le hutin proclame : « selon le droit de nature, chacun doit naître franc », « partout notre royaume les serviteurs seront amenés à franchise ». Le 8 février 1815, lors du Congrès de Vienne, tous les belligérants approuvent une « déclaration sur l’abolition de la traite des Nègres ». 

Le droit de propriété des femmes est reconnu depuis longtemps. L’interdiction du divorce est aussi une protection des femmes (et des enfants), l’homme ne peut répudier son épouse. En Islam, le mari divorce en disant trois fois : « Je te répudie, je te répudie, je te répudie ». Évidemment, l’Occident est paternaliste, patriarcal ; quelle société ne l’est pas ? La Chine ? L’Islam ? Les Aborigènes ? les Guaranis ? Toutes. En revanche, dans quelle société les femmes ont les mêmes droits que les hommes ? Tardivement, seulement, les sociétés occidentales. 

Le wokisme, anglo-saxon, vient de cultures protestantes, où, certes, le féminisme parut en avance sur les sociétés catholiques, mais où, aussi, le culte de la Vierge n’existe pas. 

Le sentiment de culpabilité du wokisme s’épanouit plus volontiers en l’absence de miséricorde, puisque le wokisme est un sentiment de culpabilité sans pardon. Mais ce n’est pas le protestantisme qui génère le féminisme. L’idée d’une égalité entre les femmes et les hommes surgit au moment de la révolution industrielle, du capitalisme. Soit, c’est en Amérique et en Angleterre que naissent les « suffragettes ». On dirait que la Méditerranée y est étrangère. La Méditerranée était en avance. En Corse, avec Pascal Paoli, les femmes, celles qui étaient chefs de famille, ont eu, les premières dans l’Histoire, le droit de vote.

Le féminisme est la conséquence directe de la révolution capitaliste.

Nulle part, avant le XXème siècle, les femmes n’eurent les mêmes droits que les hommes. Historiquement, culturellement, politiquement, seule la « domination coloniale » occidentale a imposé l’égalité. Le capitalisme y est pour beaucoup, puisque le capitalisme est anti-aristocratique. Le « règne de l’argent », celui des marchands, de la « vile bourgeoisie », nie le « statut ». Le droit de propriété anciennement reconnu aux femmes, permet, avec l’avènement de la bourgeoisie, à celles-ci d’être, logiquement, propriétaires et « libres ». Le féminisme est la conséquence directe de la révolution capitaliste. Même s’il ne faut pas oublier que la révolution est, avant d’être économique, culturelle, philosophique, politique : révolution humaniste, révolution des Lumières, révolution libérale. 

La Méditerranée, c’est l’invention de la liberté : « Thalassa », s’exclamèrent les Grecs de l’expédition des Dix mille perdus dans l’Empire perse. « Salamine », chantait Byron lors de la guerre de Grèce. L’invention du « peuple » et du « citoyen », c’est la Grèce et Rome. Le wokisme, s’il est un éveil politique de libération, s’inscrit dans la continuité occidentale. S’il n’est qu’un dogme dénonciateur, il passera comme toutes les modes.

Le wokisme, s’il est un éveil politique de libération, s’inscrit dans la continuité occidentale.  

Aujourd’hui, ce « néocolonialisme idéologique » s’exprime à travers l’ONU, la FMI, l’Unesco, la Banque mondiale, avec les Droits de l’homme et celui des minorités. Beaucoup d’États s’en plaignent. À commencer par la Chine, la Russie, l’Iran ou les Talibans, mais pas seulement. Au Cameroun, l’ambassadeur LGTB+ a été invité à faire une conférence par l’Institut de France, sur les droits des LGTB+. L’homosexualité est interdite au Cameroun, comme dans la plupart des pays d’Afrique et du Moyen-Orient. L’ambassadeur de France a été déclaré personna non grata et expulsé.

Anti-racisme, anti-esclavagisme, anti-classisme, égalité, féminisme, droits des minorités, droits des LGTB, marqueurs de l’Occident.

Le wokisme serait-il un néocolonialisme qui s’ignore ? Les valeurs qu’il prône : anti-racisme, anti-esclavagisme, anti-classisme, égalité, féminisme, droits des minorités, droits des LGTB, sont considérées par beaucoup de pays comme la marque de l’Occident décadent. 

Ces valeurs, droits de l’homme, droits des femmes, ont été imposées aux pays « colonisés », ou impactés par la puissance de l’Occident. Certains les ont franchement adoptés, d’autres pas à pas, peu à peu, ou de moins en moins. D’autres les récusent, au nom d’une morale autonome, dans une lutte en forme de libération de la domination culturelle occidentale. 

Le wokisme est le fruit de la civilisation occidentale, qui se caractérise par la critique systématique de ce qui précède. La philosophie cartésienne est celle du doute. La science, celle de la recherche qui remettra en cause la théorie admise provisoirement. « Ce que l’Occident propose de plus profond, ce n’est pas la puissance, c’est l’interrogation. L’Occident est une mise en question devenue folle, la puissance la renforce et ne la guérit pas », écrivait Malraux, il y a soixante ans. Le wokisme fait partie de cette tradition occidentale de tout remettre en cause, à commencer par soi-même. Cet esprit critique, cet excès, ce procès intellectuel « moral » est la marque de l’Occident bourgeois. 

Manifestation suite au meurtre d’un jeune homme afro-américain en 2019 aux USA ©SIPA/AFP

Si le wokisme n’atteint pas la Méditerranée, c’est parce que la culture méditerranéenne, depuis les Grecs et les Romains en a l’habitude. Les hérésies ont commencé en Afrique chrétienne, colonisée par les arabes. Le wokisme est anglo-saxon, il le restera, ne troublera pas des cultures qui cultivent la raison autant que l’irrationnel, le culte comme la rébellion, l’esclavage antique comme la liberté, qui ont inventé le scepticisme avant le dogmatisme. 

L’éveil wokiste n’en est qu’à ses premiers pas. Ses militants les plus lucides s’apercevront, que ce soit pour la lutte des femmes, contre l’esclavage, le racisme, que l’Occident et sa misérable démocratie, son terrifiant matérialisme capitaliste, valent mieux que les traditions du Moyen-Orient, d’Afrique ou d’Asie.

Une perpétuelle remise en cause par une jeunesse avide de faire mieux que la génération précédente.

Nulle part le wokisme ne pourrait y naître. Ils s’apercevront qu’il y a un vrai combat à mener, car l’anti-occidentalisme se répand, de la Chine à l’Iran, du Venezuela à la Russie, de l’Afrique à la Turquie, ce qui en sort n’est pas vraiment en faveur des femmes, ni antiraciste, ni anticolonial. Il suffit de regarder l’Éthiopie, le Soudan, le Niger, l’Algérie, la Côte d’ivoire, le Bangladesh, la Birmanie, l’Inde, la Chine, l’Ukraine, la Bolivie, le Brésil, pour s’apercevoir que les « racisés » y sont discriminés « légalement ». Que les immigrés y sont chassés, les minorités expulsées, par les armes. 

Les valeurs occidentales, malgré tous les défauts du capitalisme et de la démocratie, méritent, pour le bien de l’Humanité, d’échapper à la destruction. Mais cela n’arrivera pas. Parce que la force de l’Occident, c’est d’être en déclin depuis toujours. Si le wokisme est une forme de déclin, de révolte, c’est aussi une énergie qui permet de réclamer à cette culture occidentale « plus d’Occident » : plus de force au droit, plus de justice et de liberté. Et cela n’est en rien néfaste. Telle est la nature de la culture occidentale, le surplus d’énergie de sa perpétuelle remise en cause par une jeunesse avide de faire mieux que la génération précédente.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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