La santé, une digitalisation à marche forcée

La santé, une digitalisation à marche forcée

La crise sanitaire occasionnée par le coronavirus a souligné dans de très nombreux pays le retard technologique des systèmes de santé. Ces derniers, par leur complexité, par la présence d’un grand nombre d’acteurs, par conservatisme aussi parfois, sont restés en retrait de révolution digitale. 

Les relations difficiles entre professionnels de la santé et les administratifs de ce secteur ont également contribué à retarder l’arrivée des nouvelles technologies, du moins dans les domaines de la prévention et de la gestion. La priorité a été longtemps donné aux matériels lourds comme les scanners ou les IRM. La médecine du quotidien a peu évolué au cours de ces trente dernières années.

Toujours des dossiers « papiers »

Dans une étude récente, le McKinsey Global Institute indique que la santé n’entre que difficilement dans la révolution digitale. Elle est à la traîne par rapport aux autres secteurs d’activité. Les banques, l’assurance, les voyages, la vente au détail, la construction automobile ont mis en œuvre des plans de digitalisation depuis une vingtaine d’années. L’assurance est en train de combler son retard. 

En revanche, 70% des hôpitaux américains envoient toujours des fax et des dossiers de patients. L’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris gère également des dossiers « papier ». 

En France, le dossier médical numérique n’est pas réellement exploité même si huit millions de Français l’ont ouvert. En Espagne, aucun partage électronique de documents de santé entre les différentes régions n’existe.

La pandémie, un accélérateur pour doctolib et Ping An Good Doctor

 La pandémie a permis la réalisation de nombreuses avancées. Les médecins ont accepté la réservation en ligne et la téléconsultation. Les patients ont modifié leurs habitudes. Le recours à des ordonnances envoyées par mail s’est imposé. McKinsey estime que les revenus mondiaux de la santé numérique – provenant de la télémédecine, des pharmacies en ligne, des appareils portables – passeront de 350 milliards de dollars en 2019 à 600 milliards de dollars en 2024. 

Doctolib, une entreprise française, affirme que ses consultations vidéo en Europe sont passées cette année de 1 000 à 100 000 par jour. Ping An Good Doctor, un portail de santé en ligne chinois qui dépend d’un assureur, se développe en Asie du Sud-Est. Depuis le début de l’année, sa capitalisation boursière a progressé de 50 %. Cette société a passé des accords avec plus de 28 opérateurs de téléphonie mobile. Elle a noué des partenariats avec des hôpitaux, des laboratoires et dispose de son propre réseau de médecins. Elle intervient comme un système organisé de santé, du diagnostic jusqu’à la livraison des médicaments à domicile. Le service est disponible 24 heures sur 24. Elle s’appuie également sur des médecins internationaux pouvant être consultés à la demande des patients. Ping An Good Doctor propose désormais ses services aux entreprises afin de couvrir leurs collaborateurs.

Plus de 1000 services de télémédecine

Dans les premières semaines de la pandémie, en Chine, cette société a géré plus d’un milliard de visites. De son côté, la plateforme WeDoctor, reliée à WeChat (propriété de Tencent) associé plus de 7 200 hôpitaux à sa plateforme de téléconsultations. L’entreprise chinoise, JD Health, filiale du site JD.com, est passée de la vente de médicaments en ligne à des consultations de télémédecine. La firme a notamment lancé un service numérique de médecine de famille. Sa capitalisation boursière a progressé depuis le début de l’année de 75 %. 

Avec la crise sanitaire, le nombre de services de télémédecine est passé, à l’échelle mondiale de 150 à près de 1000. Une décantation aura certainement lieu, mais cet essor prouve que le secteur de la santé bascule du côté numérique de la force. 

Le secteur de la santé attire de plus en plus de start-up qui proposent des solutions numériques pour épauler le personnel médical. Sur le seul troisième trimestre, aux Etats-Unis, ces entreprises ont bénéficié d’un apport de 9 milliards de dollars de la part des investisseurs. Google comme Apple multiplient les prises de participation dans le secteur de la santé numérique considérant que le potentiel de croissance est élevé.

La moitié des diabétiques suivis en temps réel avec des capteurs

Avec le déploiement de la 5G, le secteur des capteurs permettant de suivre en temps réel l’état de santé se développe rapidement. Ainsi, des entreprises spécialisées comme Livongo et Onduo fabriquent des appareils pour surveiller en permanence le diabète et d’autres maladies. Aux Etats-Unis, la moitié des patients atteints par de diabète sont déjà équipés. Des hôpitaux s’associent, outre-Atlantique, avec des entreprises digitales pour améliorer la délivrance des soins aux malades. 

Ces systèmes permettent de doser plus finement les médicaments et réduisent les besoins en personnel soignant. Les pouvoirs publics font pression sur les prestataires de soins de santé pour qu’ils ouvrent leurs systèmes cloisonnés, condition préalable au développement de la santé numérique.

Vers une norme électronique commune en Europe 

La France est en retard en la matière en raison de la tradition jacobine de la Sécurité sociale. L’Union européenne défend l’idée d’une norme électronique commune applicable à tous les dossiers médicaux afin de faciliter la transmission au sein de tous les pays membres. Cette volonté d’ouverture n’a pas que des opposants qu’en France. Ainsi, le gouvernement chinois est contraint de se battre contre les hôpitaux qui n’entendent pas opter pour des dossiers médicaux ouverts de peur de perdre leurs patients au profit de la concurrence. Malgré tout, l’harmonisation est en voie d’être réalisée permettant à Yidu Cloud, une plate-forme big data pour les hôpitaux, de disposer du plus grand nombre de données médicales au monde. 

Les données médicales constituent un nouvel eldorado que ce soit pour les entreprises digitales chinoises ou américaines. L’entreprise américaine Epic, l’un des principaux fabricants de logiciels de gestion des dossiers de santé électroniques, a accepté le principe de l’ouverture en partageant 40% des données gérées par son entreprise, avec des nonclients.

La mine des données médicales  

Outre-Atlantique, une interconnexion entre les dossiers médicaux et les assureurs a été opérée. Change Heathcare gère plus de 1,5 milliard de dollars de réclamations d’assurance médicale américaine par an. Cette entreprise fait le pari d’une interopérabilité accrue entre les entreprises dans les prochaines années. 

La médecine devient de plus en plus une science de données associant des médecins et des informaticiens. La filiale santé de Siemens, Healthineers, travaille avec Geisinger, une chaîne hospitalière américaine, pour étendre la surveillance à distance des patients afin de faciliter leur suivi à domicile. 

L’assistant numérique d’Amazon, Alexa, peut désormais à partir de l’écoute de la toux déterminer si la personne est susceptible d’avoir la covid-19 ou non. 

Les Gafas aux petits soins

Dans le contexte actuel, il n’est pas surprenant qu’Amazon entre sur le marché de la santé. Elle a, à ce titre, décidé de vendre, aux Etats-Unis, en ligne des médicaments. En Chine, AliHealth, une division d’Alibaba, le champion chinois du commerce électronique, fait de même. Ses revenus ont augmenté de 74 % de mars à septembre 2020. Apple et Alphabet, la maison mère de Google, sont un peu en retrait sur le plan de l’e-santé tout en disposant de sommes considérables soit pour investir sur des projets en direct, soit pour racheter des start-ups. Néanmoins, la montre d’Apple compte près de 50 000 applications de santé iPhone. 

Les assureurs veulent récompenser la vertu 

La division sciences de la vie de Google Verily, vient d’annoncer qu’elle interviendrait dans le domaine de l’assurance à travers une filiale dénommée « Coefficient Insurance Company » qui s’appuiera sur le big data et des algorithmes pour proposer des assurances de santé personnalisées aux entreprises. Google s’est associée avec l’assureur Swiss Re pour proposer ses solutions. Verily étant également positionnée sur les objets médicaux connectés, certains craignent la mise en place d’un système intégré avec une exploitation des données individuelles des assurés. Vérily est en train, par ailleurs, de passer de la rémunération à l’acte à des contrats fondés sur les risques. L’assuré se voit récompenser s’il adopte des comportements dits vertueux. Ainsi, les diabétiques qui contrôlent leur glycémie régulièrement bénéficieront de rabais sur leur forfait tout comme les personnes qui accepteront d’aller deux fois par an chez leur dentiste. 

Optimiser des coûts de plus en plus chers

La bataille des prochaines années en matière de santé est celle des coûts. Avec le vieillissement de la population, les dépenses de la santé augmentent de manière exponentielle. Les traitements sont de plus en plus onéreux. Les pouvoirs publics recherchent des solutions pour économiser en gestion et en soins. Jusqu’à maintenant, les plans mis en œuvre ont été avant tout centrés sur la régulation et sur le transfert des charges sur les complémentaires santé. 

Les gains de productivité du secteur de la santé ont été relativement faibles au regard des sommes consacrées. Le poids du personnel dans les dépenses explique en grande partie cette situation. Les associations des structures de soins avec des start-ups ainsi qu’avec des assureurs se multiplient en Asie et aux Etats-Unis. Les experts en capital risque du secteur de la santé estiment que seule la coopération entre les différents acteurs permettra une mutation en profondeur des systèmes de santé et débouchera sur une meilleure efficience.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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