Les économistes estiment que le soutien public à la recherche et développement (R&D) permet d’accroître le niveau de la croissance potentielle.
Sur le plan empirique, la coïncidence, dans les années 50, d’une augmentation des dépenses publiques en faveur de la R&D et d’excellents taux de productivité et de croissance du PIB ont légitimé cette corrélation. Les travaux théoriques réalisés par l’économiste Kenneth Arrow dans les années 1960 soulignaient que le secteur privé ne peut pas fournir la quantité d’innovations dont les économies ont besoin pour maximiser leur croissance.
À l’échelle mondiale, les États financent la R&D en moyenne pour un peu plus de 0,5 % de leur PIB. Dans les pays avancés, ce ratio peut dépasser 1 % du PIB. En France, il atteint 0,7 % du PIB. Au sein des pays de l’OCDE, l’effort public en matière de R&D est en recul depuis 40 ans. En France, depuis 1990, il est passé de 1 à 0,7 % du PIB. En 2018, au sein de l’OCDE, les dépenses publiques en R&D sont néanmoins en augmentation de 3 % en termes réels après une période de forte baisse imputée à la crise financière de 2008.
Amazon investit plus que la France et le Royaume-Uni
Dans tous les pays, les gouvernements décident d’accroître les dépenses publiques en faveur de la recherche. En France, en 2020, le gouvernement a pris l’engagement de les augmenter de 30 % sur dix ans. Le gouvernement japonais a également décidé d’augmenter leur financement. Aux États-Unis, le nouveau Président s’est prononcé en faveur d’une forte augmentation du budget en faveur de la recherche.
Les GAFA deviennent des acteurs de plus en plus importants de la recherche. Amazon a ainsi indiqué avoir dépensé, en 2020, 36 milliards de dollars, en technologie et contenu, soit plus que les budgets scientifiques de la Grande-Bretagne et de la France réunis.
Au sein de l’OCDE, le soutien public à la R&D passe, de plus en plus, par le canal des aides fiscales. En 2018, elles représentaient 56 % du volume total de l’aide publique, contre 36 % en 2006. Avec la crise sanitaire, les États sont tentés d’être plus directifs et de vouloir réduire les incitations au profit d’aides ciblées.
1.8 Milliards pour l’informatique quantique en France, la Chine en pointe.
Les pouvoirs publics souhaitent une réorientation des dépenses de R&D au profit de la santé, de la transition énergétique et des technologies de pointe dont l’informatique quantique qui, en France, vient de bénéficier d’un appui de 1,8 milliard d’euros de la part du gouvernement.
La remontée des dépenses de recherche et développement est liée non seulement à la crise sanitaire mais aussi à l’émulation avec la montée en puissance de la Chine qui est devenue en quelques années un acteur incontournable dans ce domaine. Elle se place désormais au deuxième rang mondial. En 2018, sa recherche représentait 80 % de celles des États-Unis.
Une étude publiée en 2019 par Elsevier, un éditeur scientifique indique que la Chine a publié plus d’articles de recherche à fort impact que l’Amérique dans 23 des 30 domaines de recherche les plus importants. La crainte de la dépendance à la Chine est vive tant sur le plan de la santé que dans le domaine de la transition énergétique.
Recherche et baisse de productivité
L’augmentation des dépenses de R&D n’amène pas automatiquement celle de la croissance. Les gains de productivité sont en baisse depuis vingt ans au sein de l’OCDE. En Chine, ce processus est également constaté depuis une dizaine d’années. Les tenants de la théorie de la stagnation séculaire comme Robert Gordon (The Rise and Fall of American Growth, publié en 2016) indique clairement que le rendement de la recherche est décroissant.
La croissance exceptionnelle de la productivité américaine de 1870 à 1970 a été provoquée par une rupture technologique qui ne peut pas se reproduire. L’enchainement de grandes inventions – moteurs à combustion interne, électrification, plomberie, antibiotiques, télécommunication, etc. – a permis un passage ponctuel d’une société agraire à une société de consommation industrialisée. La substitution des moteurs électriques aux moteurs à combustion est certes nécessaire sur le plan environnemental mais ne constitue pas une révolution et ne peut être assimilée à celle qui a amené à remplacer les chevaux par des voitures.
Un article d’Ashish Arora de l’Université Duke et de ses collègues affirme que les gains des innovations dépendent de l’état d’esprit qui transcende les sociétés. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion publique, les investisseurs, les entrepreneurs étaient réceptifs au rôle du progrès comme facteur positif de changement.
Aujourd’hui, les doutes sur l’intérêt du progrès, la remise en cause de la science ralentissent la diffusion des innovations et dissuadent les meilleurs éléments de s’investir dans la recherche. La science d’entreprise serait en déclin, les grandes entreprises choisissant de plus en plus d’octroyer des licences de recherche aux universités plutôt que de les effectuer elles-mêmes, l’affichage primant sur le résultat.
Le nombre de publication, de brevets ne crée pas automatiquement une révolution industrielle. Les innovations actuelles seraient avant tout des sources de confort et ne provoqueraient pas de réelles mutations économiques majeures.
La révolution digitale est encore devant nous
L’économiste Robert Solow, en 1987 avait énoncé le paradoxe suivant «on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Or, dans les années 1990, les gains de productivité s’accélèrent aux États-Unis avec la large diffusion des ordinateurs personnels. Les technologies de l’information et de la communication n’auraient pas encore donné l’ensemble de leur potentiel. L’exploitation des données n’en serait qu’à ses balbutiements. La digitalisation provoque des modifications importantes dans les processus de production qui n’ont pas été intégrés par l’ensemble des secteurs. La constitution de rentes par les entreprises du digital ralentit la marche du progrès. La crise sanitaire a révélé les avantages générés par la digitalisation que ce soit avec le télétravail ou pour la modélisation qui a permis l’élaboration d’un vaccin contre la covid-19 en quelques mois quand, auparavant, il aurait fallu plusieurs années.
La recherche bureaucratisée
L’objectif de retrouver un niveau de recherche développement public équivalent à celui de 1970 supposerait un effort de 400 milliards d’euros au sein du G7, ce qui est en soi réalisable sous réserve d’une modernisation préalable des dispositifs de soutien qui ont peu évolué au cours de ces cinquante dernières années.
Les agences de recherche ont eu tendance à se bureaucratiser. Aux États-Unis, la NASA préfère désormais passer des contrats avec des sociétés privées comme SpaceX en lieu et place de développer ses propres programmes. Dans les années 1950 et 1960, aux États-Unis, l’État fédéral a consenti un effort important, dans le cadre de la guerre froide, en faveur de l’aérospatial, de l’aéronautique et de l’électronique. Les résultats des recherches menées sont à l’origine des grandes innovations développées lors de ces quarante dernières années.
Surmonter le blocage de croissance
En France, dans les années 1970 et 1980, les pouvoirs publics avaient mis l’accent sur l’énergie nucléaire au nom de l’indépendance nationale et sur le train à grande vitesse. Pour le nucléaire, les équipes françaises avaient travaillé avec celles des États-Unis. Certains appellent de leurs vœux que les gouvernements soutiennent la recherche développement en matière de transition énergétique en prenant exemple sur l’Allemagne qui a subventionné la production de panneaux solaires et de ses éoliennes.
La pandémie accélère la diffusion d’innovations existantes depuis déjà plusieurs années mais qui mettaient du temps à percer. Les paiements numériques, la télémédecine et l’automatisation industrielle se sont banalisés comme le recours aux moyens de vidéos à distance pour les réunions et les conférences.
La recherche ne peut pas tout mais apparaît indispensable pour surmonter le blocage de croissance que les pays occidentaux connaissent depuis une dizaine d’années. La décarbonisation de l’économie ne stimulera pas la croissance à long terme tant que l’énergie verte sera plus chère que les combustibles fossiles. Des innovations que ce soit en matière de solaire ou d’hydrogène sont attendues afin de réduire l’écart.
Le vieillissement de la population conduit à une forte augmentation des services à la personne qui, à l’exemple des soins de santé et d’éducation, se caractérisent, pour le moment, par de faibles potentiels de gains de productivité.
À terme, la biologie synthétique, l’intelligence artificielle et la robotique pourraient conduire à une forte progression de la productivité. Les États ont une réelle influence sur la vitesse de diffusion des innovations dans l’économie. Ils doivent veiller à ce que la réglementation et le lobbying ne ralentissent pas leur diffusion. Une application rigoureuse des lois antitrust apparaît indispensable tout comme un assouplissement des régimes de propriété intellectuelle.
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