En ces temps d’élection, il faut apprécier les Pères Noël. Chacun y va de ses cadeaux. S’il reste des dupes, tant pis pour eux. Pourtant, la politique peut vraiment faire des miracles.
A regarder l’histoire et l’actualité, la misère, la maladie, la guerre sont le pain quotidien de l’humanité. Si une immense partie de l’humanité vit pieds nus, boit une eau incertaine, s’épuise à survivre, fuit les massacres, des milliards d’êtres humains sont sortis de la pauvreté, l’espérance de vie a augmenté, les guerres meurtrières ont reculé, la science et la médecine s’imposent d’exploit en exploit : l’humanité vit plutôt un âge d’or.
Avec l’accroissement incroyable des biens, des technologies, des ingénieries financières qui les accompagnent, forcément, les inégalités explosent. Combien de mondes entre les tycoons du Net et les mendiants des Indes ? Pourtant, le rattrapage technologique est plus rapide qu’il ne l’a jamais été. Le réseau Huawei s’impose en Afrique, Internet est au Ganesh café. La pauvreté persiste, elle n’est déjà plus la même. L’accélération de la diffusion des outils et savoirs est partout.
Est-ce parce que les pays sont riches qu’ils peuvent se permettre d’être démocratiques ?
La plupart des pays sont sortis de la pauvreté avec de bêtes et classiques investissements capitalistiques. Et l’accroissement des salaires suit celui du capital, ou l’inverse. Mais pourquoi en Corée du sud et non en Corée du nord, au Costa Rica et non au Nicaragua, en Uruguay plus qu’en Argentine, en Colombie mieux qu’au Venezuela ?
Pourquoi l’accumulation là plutôt qu’ailleurs ? On mettra toujours en avant l’investissement dans l’éducation, la qualité de la formation, l’ouverture sur le monde, et le commerce international. Mais ces atouts ne sont-ils pas les conséquences d’autre chose ?
Les pays les plus riches sont aussi, curieusement, les pays les plus démocratiques. Est-ce parce qu’ils sont riches qu’ils peuvent se permettre d’être démocratiques ? A regarder les « foules » arabes, asiatiques, africaines, beaucoup pensent qu’elles ne seraient pas « prêtes » pour la démocratie. Chirac l’avait dit en Afrique. On répète la même chose à propos des Russes, des Biélorusses, des Kazakhs ou des Azéris.
Il est tout à fait possible que les structures sociales, familiales, religieuses ne le permettent pas : il est toujours difficile de sortir de son aire. Mais on peut aussi se demander par quel miracle les Coréens du sud ont été « prêts » et pas ceux du nord ? Pourquoi les Ukrainiens ont été gagnés par la démocratie occidentale, avec tous ses défauts, et pas les Biélorusses ? Pourquoi les Géorgiens sont démocrates et pas les Tadjiks ? Pourquoi les Estoniens sont-ils devenus riches et démocrates, et non les Russes de l’enclave de Kaliningrad ?
Contrairement à ce que l’on croit, discipline et démocratie vont justement ensemble.
La clé est ailleurs. Le Costa Rica est riche parce qu’il s’est débarrassé de ses généraux à la mode Tapioca. Le Nicaragua voisin ne peut l’être avec Ortega. La Finlande était pauvre en 1945, elle est devenue riche, comme ses voisins nordiques, en s’appliquant un modèle de démocratie exigeante et novatrice. Contrairement à ce que l’on croit, discipline et démocratie vont justement ensemble.
La Turquie, débarrassée des généraux, avait réussi son décollage économique avec une démocratie qui commençait à faire figure de modèle dans le monde musulman. Elle se ruine avec la démocrature d’Erdogan. Malgré l’emprisonnement des opposants, peut-être un prochain vote populaire l’obligera à quitter le pouvoir. La démocratie n’est pas que le vote, mais elle n’est pas sans lui.
En ces heures d’élection en France, malgré le désabusement et les jérémiades, se rappeler que la richesse des Européens ne vient pas d’un surplus d’efforts. Les Allemands ne travaillent pas plus les autres. Ils ne sont pas plus disciplinés que les pauvres Russes. Lors des confinements de la Covid, Italiens et Espagnols ont fait preuve de plus de discipline qu’eux. En revanche, l’Allemagne est une démocratie exigeante (contrecoup des horreurs de l’antidémocratisme culminant avec le national-socialisme). Plus un pays fonctionne démocratiquement, plus il est ordonné, plus il est équilibré, juste, actif, inventif. Mieux il lutte contre la corruption, la pauvreté, parce qu’il est un système de droit, avec des règles acceptées par les citoyens, généralement appliquées par les juges et les institutions, sans passe-droit, pots de vin, arrangements politiques et personnels.
En ces heures d’élection, se rappeler que la richesse des Européens ne vient pas d’un surplus d’efforts.
La démocratie n’est pas un luxe, elle ne vient pas de la richesse : elle crée les conditions de la richesse. Beaucoup de sociétés la refusent, d’autant que les forces les plus actives dans ces sociétés la récusent. Elles préfèrent rester dans leur position de prébendes, même si elles seraient plus riches dans un système ouvert. Les Japonais n’étaient pas plus faits pour la démocratie que les Chinois. Imagine-t-on une Chine à la coréenne ou à la japonaise, depuis 1949 ? C’est Taïwan. Multipliée par la taille de la Chine. Elle dominerait effectivement depuis longtemps le monde.
Aujourd’hui, la Chine voudrait vanter son modèle de développement. Chou-En-Laï disait, quand on l’interrogeait sur la Révolution française, « Il est encore trop tôt pour en juger ». Il est encore bien trop tôt pour dire que la Chine est un modèle.
Le modèle démocratique est en difficulté parce que l’on n’en voit que les crises. C’est naturel : c’est un système qui expose ses crises. Pourtant la guerre d’Ukraine révèle qu’un système autoritaire, fermé, est inefficace même pour une armée ; et à ce point mensonger qu’il se ment à lui-même. Pourtant l’interruption des circuits du commerce a précipité la faim et la misère dans les pays pauvres. Pas de développement sans commerce. Alors que dans les pays riches, notamment en Europe, les miracles du crédit ont préservé sinon l’économie, du moins les revenus.
Nous sommes à l’aube, et non à la fin, de nouveaux miracles économiques.
Nous vivons à crédit : crédit financier, écologique, et beaucoup disent, à l’encontre du matérialisme occidental, spirituel. En fait nous vivons peut-être une parenthèse heureuse dans l’histoire de l’humanité. La misère est le lot commun de l’humanité, l’abondance l’exception. Se rendre compte de cette chance oblige à tout faire pour que cette exception dure. Heureusement, c’est plus que probable.
Nous sommes à l’aube, et non à la fin, de nouveaux miracles économiques. A regarder, même de loin, les découvertes scientifiques, les promesses de l’ordinateur quantique, les vertiges de l’intelligence artificielle, les ressources des nouvelles énergies, la révolution des capacités d’apprentissage, il est possible, plus que possible, que l’humanité soit victorieuse de ses asservissements à la misère, à la guerre, à la maladie. Ce ne sont pas des utopies. Aujourd’hui c’est la guerre qui étonne, c’est l’épidémie qui surprend, la famine qui choque. Il y a moins d’un siècle c’était la règle en Inde, en Chine, en Afrique, en Amérique latine… en Europe !
Ce n’est pas le peuple qui doit être contrôlé, ce sont les dirigeants.
Préserver le miracle est la seule question politique, à la fois générale, locale, nationale et universelle. Les miracles ne sont pas économiques, ni techniques, ils sont d’abord politiques. Ou encore culturels. Voilà pourquoi la politique est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls dirigeants : principe même de la démocratie. Ce n’est pas le peuple qui doit être contrôlé, ce sont les dirigeants qu’il faut garder sous surveillance. Par le vote, et après. Ouvrez l’œil !
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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