Le 7 mars 2024, la capitalisation du groupe pharmaceutique danois Novo Nordisk a dépassé 512 milliards d’euros et s’arroge ainsi la première place en Europe en dépassant LVMH grâce à ses médicaments contre l’obésité. Au cours des trois dernières années, la capitalisation boursière de ce groupe a plus que triplé. Au sein du groupe Novo Nordisk, le secteur « diabète et obésité » représente 90 % de l’activité de cette entreprise dont les ventes ont atteint sur le seul quatrième trimestre 2023 près de 5,5 milliards d’euros.
Au début du mois de mars 2024, son concurrent américain, Eli Lilly, également en pointe dans la lutte contre l’obésité, est évalué en bourse, à 740 milliards de dollars, soit plus du double de ce qu’elle était début 2023. Ces deux groupes sont désormais les deux plus grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux en termes de valeur marchande. L’action du laboratoire danois a augmenté après l’annonce de ses derniers résultats.
L’obésité, fléau mondial
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2022, 2,5 milliards d’adultes (18 ans et plus) étaient en surpoids. Sur ce total, 890 millions étaient obèses. En 2022, 43 % des adultes âgés de 18 ans et plus étaient ainsi en surpoids et 16 % étaient obèses. 37 millions d’enfants de moins de 5 ans étaient en surpoids. Face à ce problème, les laboratoires pharmaceutiques se sont engagés dans des recherches afin de trouver des traitements.
Près de la moitié de la valorisation de Novo Nordisk repose sur un portefeuille de nouveaux médicaments expérimentaux sur ce créneau. Ce laboratoire a déjà lancé deux médicaments, le Wegovy et l’Ozampic. Ils appartiennent à une classe de médicaments connue sous le nom de GLP-1 conçus à l’origine pour traiter le diabète de type 2. Ces médicaments réduisent l’envie de manger en stimulant la production d’insuline. Certains médecins prescrivent, par exemple, l’Ozampic à des patientes et des patients qui souhaitent perdre du poids. Cette vente n’est pas interdite par les autorités sanitaires, mais elle engendre des pénuries pénalisant les diabétiques.
Les médicaments contre l’obésité, un marché en plein essor
Le marché des médicaments contre l’obésité augmenterait dans les prochaines jusqu’à dépasser, selon Goldman Sachs, 90 milliards d’euros en 2030, Eli Lilly et Novo Nordisk accaparant plus de 90 % du marché. Les ventes de Wegovy par Novo Nordisk, sont passées de 876 millions de dollars en 2022 à 4,5 milliards de dollars en 2023.
Novo Nordisk est confrontée à une augmentation rapide de la demande ce qui l’a conduit à créer de nouvelles chaînes de production sur son site de production à Chartres. La société prévoit un doublement de ses ventes en 2024. Zepbound, introduit aux États-Unis par Eli Lilly, au mois de novembre dernier, est censé générer 2,9 milliards de dollars de recettes au cours de sa première année. Le principal problème pour Eli Lilly et Novo Nordisk est de fabriquer suffisamment de médicaments pour répondre à la demande et, à cette fin, de disposer des composants nécessaires.
Une pénurie de sémaglutide, composant clef du Wegovy, a contraint Novo Nordisk à repousser le lancement d’une version pilule de ce médicament. Cette version est moins désagréable à administrer que l’injection mais nécessite vingt fois plus de principe actif. Les deux laboratoires sont également confrontés à un manque de stylo-piqures. Les appareils proviennent d’usines qui n’arrivent pas à faire face à la demande. Eli Lilly et Novo Nordisk ont investi des milliards de dollars pour leur propre chaîne de production ou pour accroître l’offre de leurs fournisseurs. En novembre 2023, l’entreprise américaine a annoncé qu’elle dépenserait 2,5 milliards de dollars dans une nouvelle usine en Allemagne, Novo Nordisk annonçant de son côté avoir investirait 6 milliards de dollars pour accroître la capacité de son site danois. En février, Novo Nordisk a accepté de payer 16,5 milliards de dollars à Catalent, un fabricant américain de stylo-piqures. Malgré ces investissements, les analystes s’attendent à ce que la demande dépasse l’offre durant plusieurs années.
Un marché à solvabiliser
Jusqu’à présent, seule la moitié des 110 millions d’Américains obèses ont accès aux médicaments via leur assurance maladie. Pour atteindre leurs objectifs de résultats, Eli Lilly et Novo Nordisk sont amenés à rendre leurs traitements accessibles à un plus grand nombre de patients. Pour le moment, aux États-Unis, la loi interdit à Medicare, le programme gouvernemental de soins de santé destiné aux personnes âgées ou modestes, de rembourser les médicaments amaigrissants. Les assureurs-maladie privés rechignent également à les rembourser en raison de leur coût. Le prix atteint 16 000 dollars par an par patient sachant que ce traitement est susceptible d’être pris à vie.
Pour inciter les assureurs à les rembourser, les deux laboratoires conduisent des essais pour prouver que les GLP-1 ont des effets importants sur la santé des patients. Un essai réalisé par Novo Nordisk a révélé que Wegovy réduisait de 20 % le risque de problèmes cardiaques. Eli Lilly a lancé une étude portant sur 15 000 patients sur les effets en matière d’espérance de vie du Tirzépatide, l’ingrédient actif de Zepbound et du Mounjaro, un médicament apparenté contre le diabète. Au vu des premiers résultats des études, les GLP-1 aideraient à lutter contre des affections telles que l’apnée du sommeil, les maladies rénales chroniques, la maladie d’Alzheimer et la stéatose hépatique.
Un marché de plus en plus concurrentiel ?
Eli Lilly et Novo Nordisk disposent aujourd’hui d’une avance technologique amenée à se réduire dans les prochaines années. De nombreux laboratoires travaillent sur des médicaments similaires, une centaine serait en cours d’expérimentation avec comme objectifs des effets plus importants et une facilité accrue d’utilisation. Les médicaments actuels nécessitent des injections et génèrent des effets secondaires désagréables comme des nausées. Pfizer, et Carmot Therapeutics, une start-up de biotechnologie appartenant au groupe Roche, concentrent leurs efforts sur l’élimination des aiguilles. En plus d’être moins chers à fabriquer et plus faciles à administrer, les médicaments oraux n’ont pas besoin d’être réfrigérés. Cette avancée aurait comme avantage de faciliter la diffusion de ces médicaments au sein des pays en développement dont beaucoup sont également confrontés à une forte progression de l’obésité.
Eli Lilly et Novo Nordisk sont néanmoins assurés d’exploiter durant plusieurs années leurs médicaments anti-obésité sans réelle concurrence. Les brevets de Wegovy et Zepbound n’expirent respectivement qu’en 2032 et 2036. Le développement d’un nouveau médicament prend en moyenne neuf ans, et même ceux qui en sont actuellement aux premiers essais ne seront probablement pas disponibles avant 2027. En revanche, le médicament d’Eli Lilly apparaît de plus en plus compétitif permettant au cours de l’action du fabricant américain (par rapport à ses bénéfices prévus pour l’année à venir) d’être presque deux fois supérieur à celui de son rival danois.
Novo Nordisk est plus dépendant au GLP-1 qu’Eli Lilly, qui dispose de revenus dans les traitements contre le cancer et l’immunologie. Novo Nordisk compte sur les prochaines versions de son médicament phare pour reprendre de l’avance face à son concurrent américain et rester la première capitalisation européenne.
Le succès des médicaments anti-obésité n’est pas sans entraîner des répercussions dans d’autres secteurs d’activités. Depuis juin 2021, date à laquelle le Wegovy, le premier vaccin minceur a été lancé en Amérique, la capitalisation de WW (anciennement Weight Watchers) a diminué de 90 %. Nestlé envisage une baisse des achats de snacks sucrés dans les prochaines années.
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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