La paix est-elle possible en Ukraine ? Pour obtenir la paix, il faut que l’un des adversaires reconnaisse sa défaite, ou que les deux belligérants soient également épuisés. Ce n’est pas le cas en Ukraine.
La Russie, même si elle a perdu beaucoup d’hommes et de moyens, n’est pas abattue. Les Ukrainiens annoncent que les Russes ont perdu 28.000 hommes. Il faudrait vraisemblablement diviser ce nombre par deux, mais y ajouter des blessés bien plus nombreux que les morts. L’armée russe est lourdement frappée, mais la disproportion des forces est telle qu’elle reste à l’offensive dans le Donbass. Avec une artillerie ultra dominante, elle applique une stratégie lente, celle de la guerre de 14 : bombardement, avancée territoriale, etc. Cela peut durer aussi longtemps qu’il reste de munitions.
Au fur et à mesure que durera la guerre, la dépendance diminuera
Poutine, lors de sa conversation avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz, s’est montré ouvert à l’exportation de blé ukrainien à partir du port d’Odessa. Signe de bonne volonté ? De la part des deux dirigeants européens sans aucun doute, ce qui leur vaut des critiques. Laisser partir un peu de blé ukrainien montre aux pays d’Afrique et du Levant que la Russie ne cherche pas à les affamer, contrairement à ce que disent les Américains. Que ce sont au contraire les sanctions occidentales qui nuisent au monde, plus qu’à la Russie : le cours du blé a explosé, celui du pétrole aussi, ce qui profite à la Russie. Pourtant, au fur et à mesure que durera la guerre, la dépendance au blé russe et ukrainien, au tournesol, aux engrais et au pétrole, diminueront. Mécanismes de substitution et circuits de contournement se mettront en place.
Une guerre longue n’est pas une bonne stratégie pour la Russie. Les munitions, chez elle, s’épuisent aussi. La logistique est de plus en plus tendue. L’économie russe souffrira de plus en plus. Les installations pétrolières manqueront de pièces de rechange, tout comme certaines pièces d’armement.
Les troupes russes de Syrie sont rapatriées petit à petit
Le contrôle de la population sera de plus en plus difficile, les morts et les blessés ne se cachent pas facilement. Le soutien populaire à la guerre nationale s’effritera lentement.
On voit déjà les troupes russes de Syrie être rapatriées petit à petit, laissant leurs points d’appui aux Gardiens de la révolution iraniens en Syrie. Et les Turcs guettent l’occasion.
La Russie n’a donc pas intérêt à une guerre longue. La discussion entre les dirigeants français, allemands et russes, est le signe que si les Européens ne veulent pas couper les ponts, les Russes non plus.
Les Ukrainiens sont dans une situation paradoxale. Leurs victoires les obligent. Leurs reculs les raidissent.
Zelensky s’est dit prêt à des pourparlers directs avec Poutine sur la base d’un retour, avant discussion, des troupes russes sur leurs bases de départ avant l’invasion. Si les Russes ont été battus à Kiev et Kharkov, ils occupent une part non négligeable de l’Ukraine. Et ces victoires ukrainiennes, ainsi que les massacres et les villes martyrs, inspirent un esprit de combat et de revanche qui interdit au président ukrainien de sembler céder sur quoi que ce soit. Mieux vaut laisser les Européens s’avancer.
D’autant que les Européens ont peu de moyens de pression sur eux : ils ne sont pas les principaux fournisseurs d’armes. Tant que les Ukrainiens auront des armes, ils se battront.
Montrer au reste du monde que l’Amérique est de retour après les débâcles syrienne et afghane
Les Américains eux, ont intérêt à une guerre longue, parce qu’ils pensent qu’elle affaiblira les Russes, voire qu’à la fin, les Ukrainiens gagneront. Une paix avec Poutine ne sera jamais fiable : il faut le mettre, d’une façon ou d’une autre, hors d’état de nuire. Quelqu’un qui joue avec ses missiles, viole les traités, rase des villes, réinstalle un régime policier n’est pas quelqu’un qu’un nouveau traité peut arrêter. Qui plus est, cela permet aux Américains de montrer au reste du monde que l’Amérique est de retour après les débâcles syrienne et afghane. C’est aussi un message à la Chine, à l’Iran, aux alliés du Levant qui ont des envies d’ailleurs.
Enfin, cela permet de tenir la bride à l’Europe, car tant que durera la guerre, tant que la Russie apparaitra comme une menace, l’Europe ne pourra rien faire sans les Etats-Unis.
Ni la Russie ni l’Ukraine ne peuvent gagner la guerre complètement
Ce n’est pas ce que pensent certains Européens. Car l’Europe n’a aucun intérêt non plus à une guerre longue, à une guerre tout court. Mais le retour à la paix sous tension ne sera pas non plus une option satisfaisante. Même une paix de raccroc, un cessez-le-feu, aussi souhaitable soit-il, ne serait qu’une trêve momentanée : les Ukrainiens se renforceraient, et reprendraient forcément, un jour, l’offensive pour récupérer les territoires perdus. Pour éviter cela, les Russes s’armeraient plus encore, les sanctions seraient maintenues. Ce serait la situation du Donbass avant l’invasion.
La seule paix viable, serait une paix durable, celle qui rend la guerre inutile. Espérer la défaite de l’un ou de l’autre est peu probable : la Russie a perdu la guerre en ce sens qu’elle est incapable de ramener l’Ukraine dans son aire d’influence et qu’elle a renforcé l’OTAN. Mais elle ne peut perdre complètement : c’est ce que rappelle Poutine avec ses missiles. Au pire, elle reculera jusqu’à sa ligne de départ et tentera de maintenir la pression, et jouera la division du camp occidental.
Une paix armée est le scénario le plus probable et le plus nocif.
L’Ukraine ne peut plus perdre non plus, la Russie n’a plus les moyens de prendre l’Ukraine. Elle a réussi à dresser la population contre elle (même russophone, la preuve à Kharkov), à l’armer grâce aux armes fournies par l’Occident. Une paix armée est le scénario, au long court, le plus probable, et le plus nocif, avec ses déplacements de populations, la militarisation des sociétés, la réactivation des conflits, les sanctions, avec contrebandes et corruptions.
Imaginer un système de sécurité globale qui inclut la Russie et l’Ukraine
Pour éviter cela, il faut imaginer un système de sécurité globale, qui inclut la Russie et l’Ukraine. La démilitarisation devrait toucher les frontières des deux pays… la libre circulation aussi ! Ce qu’ont fait la France et l’Allemagne depuis 1945, Russes et Ukrainiens devront le faire un jour, s’ils veulent vivre dans des pays libres. Les seuls à pouvoir leur donner un cadre pour cela, ce sont les Européens, qui savent comment faire vivre ensemble des pays qui ont de longues querelles, des traditions de massacres, mille raisons de se haïr.
Se battre pour défendre des frontières a peu de sens si les frontières ont de moins en moins d’importance. Masser des troupes non plus si les troupes échangent des informations dans le cadre d’une « communauté commune de sécurité ».
Ce qui parait irréaliste est la seule voie réaliste d’une paix possible
Tout cela peut paraitre irréaliste. C’est la seule voie réaliste d’une paix possible. C’est la raison pour laquelle les dirigeants français et allemands ont raison de discuter avec Poutine. Il est bien trop tôt pour en parler ouvertement, mais il est important de garder le contact, et, un jour, il faudra proposer quelque chose. Quand les Russes verront leur armée et leur économie, exsangue, il faudra avancer des éléments permanents, concrets, de sécurité commune.
La paix entre la Russie et l’Ukraine doit être un accord global entre Européens : la France, l’Allemagne, l’UE, la Russie et l’Ukraine. La guerre n’épuise jamais la paix. Les plans de paix se préparent à l’avance, ils doivent être aussi audacieux que les plans de bataille.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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