La grande rupture américaine

La grande rupture américaine

Le président Donald Trump a décidé d’apporter son soutien à son homologue argentin, Javier Milei, avec lequel il partage un goût affirmé pour la disruption. En visite officielle le 14 octobre prochain à Buenos Aires, le chef de l’État américain a accordé une ligne financière de 20 milliards de dollars, soit l’équivalent de la moitié des réserves de change de l’Argentine, afin de rassurer les investisseurs sur la solidité des réformes monétaires engagées. Ce soutien vise à enrayer la dépréciation du peso argentin.

Mobilisation du Trésor américain

Le Trésor américain envisage même de mobiliser l’Exchange Stabilisation Fund, un fonds en dollars qui n’avait plus été utilisé pour venir en aide à un pays étranger depuis 2002. Huit mois après le début de son second mandat, Donald Trump a profondément remodelé la diplomatie financière américaine. Pendant des décennies, celle-ci visait à réduire la pauvreté tout en consolidant l’influence des États-Unis. Les financements passaient par l’aide bilatérale, le FMI ou la Banque mondiale, dont Washington demeure le principal actionnaire.

Désormais, la Maison-Blanche a coupé la moitié des flux financiers sortants, provoquant l’inquiétude des institutions multilatérales. Les États-Unis ne se retirent pas du développement international : ils en redéfinissent les règles. La diplomatie financière américaine devient plus sélective et instrumentalisée. Les ressources sont réservées aux alliés idéologiques, aux dirigeants jugés stratégiques par Donald Trump et aux pays qu’il souhaite soustraire à l’influence de Pékin. Le soutien américain est désormais explicitement politique. En avril, Scott Bessent, secrétaire au Trésor, avait cherché à apaiser le FMI et la Banque mondiale en promettant de maintenir l’appui américain, sous condition d’une réforme de leurs pratiques.

Depuis, il leur demande de réduire leurs engagements globaux. L’administration affiche une volonté claire de désarticulation progressive des institutions multilatérales.

Réorganisation des institutions américaines

Dans le même temps, trois grandes agences américaines ont été réorganisées pour servir cette nouvelle orientation. En juillet, l’USAID, principale agence d’aide, a transféré ses derniers crédits au département d’État, chargé de leur trouver de nouveaux usages. La Millennium Challenge Corporation, organisme de prêts aux infrastructures, gelée au printemps, a été autorisée à reprendre ses activités, mais son budget a été réduit de 75 %. En 2026, le département d’État devrait contrôler la quasitotalité du budget des affaires internationales (31 milliards de dollars), soit deux fois moins qu’en 2025.

Troisième pilier, la Development Finance Corporation (DFC), créée par Donald Trump lors de son premier mandat, dispose d’un portefeuille de prêts plafonné à 60 milliards de dollars, financé en partie par des investisseurs privés. La Maison-Blanche souhaite relever ce plafond à 250 milliards, ce qui nécessiterait l’approbation du Congrès. Dans ces trois institutions, la ligne directrice est désormais claire : moins de subventions, davantage de prêts à des conditions proches du marché et d’investissements en capital. Tout projet non rentable devra répondre à des priorités très ciblées, sous peine d’être rejeté. Les fonds ainsi économisés doivent être redirigés vers les partenaires jugés loyaux. Alors que les États-Unis évitaient traditionnellement les plans de sauvetage bilatéraux, préférant les confier au FMI, cette approche est désormais privilégiée. L’Argentine en est l’un des premiers bénéficiaires.

La rivalité sino-américaine en toile de fond

Malgré son tropisme isolationniste, Donald Trump n’hésite pas à mobiliser les ressources publiques pour se constituer de nouveaux alliés. Fidèle à la doctrine Monroe, il entend faire de l’Amérique latine son arrière-cour. Faute de pouvoir compter sur le président brésilien Lula, il a jeté son dévolu sur Javier Milei. Mais Washington prend un risque. Buenos Aires puise rapidement dans ses réserves de change pour soutenir le peso, condition essentielle à la maîtrise de l’inflation. Même avec l’appui américain, les besoins de l’Argentine en devises restent considérables pour financer ses importations et honorer ses remboursements.

À travers cette nouvelle stratégie d’aide aux pays émergents, Washington cherche avant tout à contrer la Chine, devenue le premier créancier bilatéral mondial. Depuis 2016, Pékin a accordé quelque 185 milliards de dollars de prêts de sauvetage, se plaçant juste derrière le FMI. Les gouvernements bénéficiaires de ces fonds se montrent généralement peu enclins à soutenir les positions américaines, notamment lorsqu’il s’agit de relever les droits de douane à l’encontre de la Chine.

« Les guerres commerciales sont bénéfiques et faciles à gagner », affirmait Donald Trump en 2018, un an avant de rencontrer le président chinois Xi Jinping à un sommet du G20 au Japon. © Sipa /Susan Walsh

La rivalité sino-américaine s’intensifie. Donald Trump a ainsi demandé à Javier Milei de mettre fin à la ligne de swap de 18 milliards de dollars conclue avec les banques chinoises, et de cesser la vente de soja à Pékin. Les États-Unis s’engagent également dans le financement d’infrastructures à l’étranger, imitant la stratégie chinoise. Un nouvel instrument, l’America First Opportunity Fund, doté de 3 milliards de dollars et confié à Marco Rubio, secrétaire d’État, pourrait financer des projets jugés stratégiques, tels que des réseaux de télécommunications en Asie du Sud-Est ou des programmes d’exploitation halieutique dans le Pacifique Sud. Des prêts pourraient aussi être accordés à certains gouvernements latino-américains prêts à refuser l’accès à leurs ressources minières stratégiques aux groupes chinois.

Pour Donald Trump, toute aide extérieure doit avant tout servir les intérêts nationaux américains. Le département d’État place désormais au cœur de ses priorités les ressources rares, les composants électroniques de pointe et les équipements de défense.

La Maison-Blanche a offert à la Zambie des incitations pour accélérer l’exploitation de ses mines, conditionné une partie de l’aide militaire à l’Ukraine à l’accès à ses minerais, et prépare un accord du même type avec la République démocratique du Congo. La réorientation de la politique extérieure pourrait s’avérer coûteuse. Si, dans un premier temps, la Maison-Blanche avait promis de réduire l’aide internationale, rivaliser avec Pékin sur le terrain du crédit extérieur demeure une gageure.

Selon le Council on Foreign Relations, les deux principales banques publiques chinoises totalisaient à elles seules plus de 500 milliards de dollars de prêts en 2024. Même avec le soutien du Congrès, Donald Trump ne pourrait mobiliser qu’environ 300 milliards de dollars. En Chine, certains appels à une réduction de ces aides émergent, ce qui constituerait une aubaine pour Washington. Jusqu’à présent, Donald Trump a agi sans réelle considération pour le coût de sa stratégie. Ses conseillers espèrent que, confronté à l’ampleur des financements requis, il modérera ses ambitions. Dans ce cas, les plans de sauvetage bilatéraux et les contremesures anti-Chine pourraient céder la place à des projets miniers plus ciblés. Mais si l’extension du mandat de la DFC se concrétise, la Maison-Blanche pourrait paradoxalement devenir un bailleur de fonds plus généreux encore que sous Joe Biden — une orientation qui risquerait de heurter une partie des partisans du mouvement « MAGA ».

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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