Selon une enquête d’opinion réalisée par Gallup, dans une dizaine de pays, la pandémie n’aurait pas affecté le bonheur des populations. Les personnes âgées seraient même plus heureuses en 2021 qu’en 2019. Cette appréciation ne serait, en revanche, pas partagée par les jeunes de moins de 25 ans.
L’âge d’être heureux
Les seniors, dont la probabilité de décès lié à la covid-19 est la plus importante, apprécient d’autant plus la valeur de la vie. Le risque de décès après avoir contracté la maladie doublant tous les huit ans de vie. Les jeunes en proie à l’isolement, à la précarité professionnelle et aux doutes concernant l’avenir, estiment être les premières victimes de la crise sanitaire.
Selon l’échelle de Cantril qui permet de mesurer le bonheur au sein pays en fonction de l’âge, quel que soit le pays et en dehors de l’épidémie de covid-19, le niveau de bonheur perçu affiche un premier pic au moment de l’entrée dans la vie professionnelle puis recule jusque dans la cinquantaine avant de rebondir jusque vers 75 ans pour à nouveau diminuer.
Les attentions des pouvoirs publics pour sauver les Seniors de la maladie et de ses effets peut également expliquer la hausse du bonheur perçu. Les logiciels de visioconférence ont permis à de nombreuses personnes âgées de rester en contact avec leur famille – parfois mieux qu’avant la pandémie. Le rapport à la maladie et aux pertes d’autonomie a été modifié avec la pandémie.
Le virus relativise les problèmes de santé
Dans une enquête récente, John Helliwell, économiste à l’Université de la Colombie-Britannique a souligné que les personnes âgées jugent que leur santé s’est améliorée depuis un an. À l’échelle mondiale, 36 % des hommes de plus de 60 ans ont déclaré avoir eu un problème de santé l’année dernière, contre 46 % en moyenne les trois années précédentes. Chez les femmes, la part des problèmes de santé est passée de 51 % à 42 %. Leur état de santé n’a évidemment pas changé ; c’est leur appréciation qui a évolué. La crainte du virus leur a fait relativiser leurs problèmes quotidiens.
Les jeunes sont moins satisfaits que les personnes d’âge moyen, elles-mêmes moins satisfaites que les personnes âgées. L’écart entre les jeunes et les anciens s’est accru en un an.
Le taux de chômage des jeunes a depuis le début de la crise sanitaire augmenté avec la diminution du nombre de CDD ou de missions d’intérim. En revanche, de nombreux emplois ont été créés dans le secteur de la livraison et de la logistique.
Une étude réalisée par Ben Etheridge et Lisa Spantig, deux chercheuses à l’Université d’Essex au Royaume-Uni, souligne que les personnes ayant un nombre élevé d’amis ont été celles qui ont connu le plus de problèmes psychologiques lors du premier confinement. La remise en cause des habitudes de vie est plus pénalisante que le niveau de contacts.
Le bonheur est au nord
Selon leur pays de résidence, les populations ne réagissent pas de la même manière face à l’épidémie. Le bonheur des Britanniques a fortement reculé durant le premier confinement quand celui des Allemands se maintenait. Le Royaume-Uni a été plus durement touché que l’Allemagne par la première vague ; les tergiversations du Gouvernement ont également conduit à la dégradation du moral de la population.
En 2020, l’Allemagne est, en revanche, passée du 15e pays le plus heureux du monde au septième le plus heureux. Depuis l’année 2021, avec un long confinement, les Allemands commencent également à exprimer une réelle lassitude.
Les pays qui étaient en haut du tableau du bonheur avant la pandémie, à savoir la Finlande, l’Islande et le Danemark, conservent leur position. La surmortalité liée au Covid dans ces pays est faible. Elle est même négative pour l’Islande. Les auteurs du rapport sur le bonheur dans le monde ne suggèrent pas que le bonheur aide les pays à résister au covid-19 mais ils admettent que les facteurs favorables au bonheur, la tolérance, le sens civique, la bonne gestion publique, permettent de mieux lutter contre les pandémies. Les sondages de Gallup soulignent que la notion de confiance est la clef de voûte du succès des plans de lutte contre l’épidémie.
La confiance combat mieux le covid
Ce sont les pays où les citoyens expriment le plus de respect pour les institutions et qui sont disposés à rechercher le titulaire d’un portefeuille perdu qui obtiennent les meilleurs résultats au niveau de la pandémie. Selon Jeffrey Sachs, économiste à l’Université de Columbia, l’échec des pays occidentaux dans la résolution rapide de la crise sanitaire provient de l’incapacité des pouvoirs publics à mobiliser leur population. La combinaison individualisme et défiance institutionnelle aurait joué en défaveur des politiques de santé publique.
En Asie, les populations sont mieux préparées au risque d’épidémie et sont moins enclines à contester les consignes administratives. Les quarantaines, les confinements ou le port de masques ont eu, en Europe comme aux États-Unis, des résultats moindres qu’attendus en raison de leur non-respect ou de leur application lâche.
Le Brésil, qui se caractérise par une forte défiance de l’opinion à vis-à-vis des gouvernements, est un des pays qui a été le plus touché par la Covid-19. C’est aussi le pays où l’insécurité est élevée, ce qui induit une altérité dégradée.
Le sondage Gallup sur le bonheur montre, aux États-Unis, la réversibilité des sentiments. En mars et en avril 2020, les Américains ont indiqué un fort niveau de stress mental et d’anxiété. À parti de l’été, une amélioration a été constatée qui s’est amplifiée avec la diffusion du vaccin. Le nombre élevé de décès semblait moins troubler la population par habitude mais surtout du fait de l’espoir d’une rapide amélioration. En Europe, en revanche, la défiance semble être plus incrustée.
La France, un pays de cocagne occupé par des malheureux
Pour la neuvième année consécutive, le « World Happiness Report 2021 » qui a été publié le 8 mars par le Réseau des solutions pour le développement durable (RSDD) des Nations-Unies (ONU) classe les 149 pays étudiés en fonction de l’appréciation du bonheur par les populations. Le rapport 2021 prend en compte les conséquences de l’épidémie de Covid-19. Le bonheur est appréhendé à partir de nombreux critères (PIB, respect des libertés individuelles, perception de la corruption, espérance de vie, etc.) qui sont complétés par une étude d’opinion. La France se classe en 21e position, loin derrière les pays d’Europe du Nord et juste après la Belgique.
La France est le seul pays occidental qui reste en dessous de son potentiel de bonheur au regard de son niveau de richesses et de protection sociale depuis le début des années 1970. Le malheur est avant tout collectif. Les Français estiment que leur pays est en plein déclin et que la vie sera plus difficile pour les prochaines générations. A contrario, les Français se déclarent plus satisfaits de leur vie personnelle et de leurs relations avec leurs proches.
Selon une étude du CEPREMAP, deux Français sur trois se déclarent satisfaits de leur vie professionnelle. 90 % estiment que les perspectives des prochaines générations sont sombres.
La mal être français
Le haut niveau de protection sociale n’a aucune incidence sur leur niveau de bonheur. La création du RMI transformé en RSA, la CMU, les aides aux logements ne changent rien à la donne. Plus l’État providence grossit, plus les Français considèrent que les inégalités augmentent, plus ils se déclarent malheureux. Le mal être français concerne la situation économique et politique. Le niveau de vie, le logement, les équipements collectifs, les inégalités sont autant de thèmes mis en avant pour expliquer le pessimisme ambiant.
L’argent joue en France un rôle plus important que dans les autres pays occidentaux. Le niveau de revenus est un critère important pour l’accès au bonheur. Plus les revenus sont élevés, moins la défiance envers les institutions et le système capitaliste est élevée. Mais à niveau de revenus identique, les Français sont moins heureux que leurs homologues européens.
Le niveau de bonheur a tendance à décroître en France quand dans les pays d’Europe du Nord et l’Allemagne, il augmente. La succession des crises depuis vingt ans est plus durement ressentie par les Français que par les Européens du Nord.
La nostalgie des années 80
Une propension au malheur qui se nourrit d’une forte nostalgie Les Français idéalisent les périodes passées. Selon une étude de l’INSEE et de la CEPREMAP, 70 % des Français préfèreraient vivre dans une décennie passée. La majorité désigne celle des années 1980. Seuls les plus de 65 ans privilégient les années 1970. Seulement un quart des personnes sondées optent pour la période actuelle. La préférence pour les années 1980 est liée au poids démographique des générations qui avaient alors vingt ans.
Plus le niveau de vie et de diplômé est élevé, plus le souhait de vivre à l’époque actuelle est fort (33 % des diplômés de l’enseignement supérieur contre moins de 25 % pour ceux n’ayant qu’un diplôme de l’enseignement supérieur).
La France se caractérise par une importante défiance sociale. Le pays se classe au 58e rang sur 97 pour la confiance selon l’enquête du Word Value Survey. Seuls 22 % des Français déclarent faire confiance à une personne qu’elle ne connaît pas quand 94 % déclarent avoir confiance dans les membres de leur famille. Toujours selon la même étude, 82 % des Français déclarent avoir une faible confiance dans le personnel politique, 71 % dans le Parlement. 87 % indiquent ne pas avoir confiance dans les partis politiques.
Pessimisme français
Les Français considèrent que la société française est très hiérarchisée. Pour 52 % d’entre eux selon l’enquête International Social Survey, toute promotion sociale est suspecte car elle ne peut pas être totalement honnête. Ce taux n’est que de 29 % aux États-Unis. L’usage du terme «élites» et leur rejet traduisent le sentiment dominant dans le pays. La crainte du déclassement avec la segmentation de la classe moyenne nourrit le pessimisme français. Une des traductions récentes a été le mouvement des « Gilets jaunes » dont l’ampleur et la durée ont surpris les responsables politiques.
La France comme l’a souligné Jérôme Fourquet dans son livre, L’archipel français, est un pays fortement laïcisé sans corps intermédiaire dans lequel tout remonte au sommet. Les Français condamnent la verticalité tout en demandant toujours plus. Ils réclament de la subsidiarité mais, en même temps, ils en appellent à l’État pour résoudre tous leurs problèmes. Le pouvoir doit être tout à la fois omniscient et indolore.
La dépression collective française est l’expression d’un manque idéologique après la fin de l’idéal communiste et la difficile acceptation de la place de la France au sein des Nations. Pendant des décennies, la place de la France a été sublimée par l’influence diplomatique et culturelle du pays qui s’était remis de défaites comme celles de Waterloo, Sedan ou de juin 40. Cette influence ne suffit plus aujourd’hui à entretenir l’illusion. À la différence des habitants du Benelux, les Français éprouvent les pires difficultés à ne représenter que 0,9 % de la population mondiale.
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