Les Français tiennent farouchement à leur cadre de vie : congés fréquents, protection sociale étendue, confort quotidien. Derrière cette volonté de préserver un modèle souvent caricaturé comme « ingérable », se cache un paradoxe : ce pays que certains décrivent comme un enfer social est en réalité plus proche d’un paradis, au regard de la qualité de vie qu’il assure encore à ses habitants.
La France est l’un des pays d’Europe qui consacre la plus grande part de sa richesse à la santé et aux retraites. Dans le même temps, son temps de travail effectif figure parmi les plus faibles du continent. Cet équilibre, envié par beaucoup, repose sur une condition : une croissance soutenue. Or, celle-ci se fait rare. L’économie française peine à dépasser 1 % de croissance annuelle quand il lui faudrait franchir la barre des 2 % pour rendre soutenable un système social aussi généreux. Ce n’est pas un objectif irréaliste : l’Espagne affiche depuis plusieurs années des performances supérieures, preuve que l’Europe n’est pas condamnée à la stagnation. D’autant que la France dispose d’atouts considérables.
Plus jeune que les autres pays européens.
Certes, le taux de fécondité a reculé, mais la population française demeure plus jeune que la moyenne de l’Union européenne. Le pays bénéficie d’une position géographique exceptionnelle, véritable carrefour continental, qui attire des flux d’investissements étrangers. Ses secteurs d’excellence restent puissants : luxe, aéronautique, défense, finance, tourisme. Dans l’enseignement supérieur, la France conserve un rang mondial : selon le classement de Shanghai 2025, elle est le troisième pays le mieux représenté avec trois établissements dans le top 100, dont Paris-Saclay, première université non anglo-saxonne. Ajoutons à cela des infrastructures de transport parmi les plus denses d’Europe, du rail à l’aérien en passant par le réseau routier.
Pourquoi alors ce sentiment récurrent de gâchis ? L’histoire française est jalonnée de rendez-vous manqués avec la modernisation. À la fin du XVIIIe siècle, le pays a raté le premier décollage industriel par conservatisme, corporatisme et incapacité à assainir ses finances publiques. Le même scénario se répète : les forces de résistance au changement, nourries par une bureaucratie hypertrophiée, ralentissent toute transformation. La France ne parvient à dépasser ses contradictions que dans les crises aiguës : sous Bonaparte, Napoléon III ou le général de Gaulle en 1958. Alors seulement, elle ose libéraliser son économie, rompre avec l’attrition et la facilité.
La France n’est pas condamnée au déclin.
Aujourd’hui, le pouvoir paraît paralysé face à l’urgence du rétablissement budgétaire. La réduction du déficit public est indispensable, mais elle ne peut constituer un horizon en soi. L’enjeu est ailleurs : sortir du malthusianisme économique. Les freins à la croissance sont connus : pénurie de logements, contraintes administratives pesant sur l’industrie, fiscalité étouffante. Interdire les résidences secondaires, comme le font certains maires, ne résout rien : cela accroît encore la tension immobilière. La véritable solution réside dans la relance massive de la construction et la réhabilitation du parc existant. Côté industrie, l’implantation d’usines doit être facilitée par des collectivités locales plus offensives. Enfin, la baisse des prélèvements doit aller de pair avec une réforme fiscale : élargir l’assiette pour réduire les taux.
Pourtant, notre pays dispose d’un capital humain, d’infrastructures et d’un tissu industriel qui lui permettent de rebondir. Ce qui lui manque, c’est une vision claire et le courage politique de rompre avec la gestion de court terme. Le pays doit cesser de se contenter d’aménager ses blocages et se donner l’ambition de redevenir une puissance motrice en Europe. La prospérité ne se décrète pas, elle se construit. La France a déjà prouvé qu’elle savait renaître dans les moments décisifs : il est temps de transformer ses contradictions en élan, pour que le « paradis français » cesse de reposer sur des illusions et retrouve des fondations solides.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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