La France deuxième puissance maritime mondiale grâce à ses îlots

La France deuxième puissance maritime mondiale grâce à ses îlots

De nombreuses terres et îles, parfois perdues dans l’océan, héritées des explorations passées et de la colonisation, appartiennent à la France. Ainsi, depuis la réforme de 2016, la France possède 11 millions de km2 de ZEE. C’est la plus vaste du monde derrière celle des États-Unis. Ce territoire assure la présence de la France sur tous les océans. Il contribue au dynamisme économique du pays et lui assure un rôle diplomatique de premier plan.

Si la France peut rayonner ainsi sur les océans c’est donc grâce à ses nombreux confettis de terre dont elle dispose aux 4 coins du monde. Pourtant, certaines de ces îles demeurent inhabitables mais, comme elle l’a vu, elles assurent un vaste territoire maritime à la France. 

Pourtant, l’absence d’installations humaines sur ces îles désertes les rend intéressantes d’un point de vue scientifique. Elles contiennent en effet une biodiversité sauvage qui permet une observation pertinente des effets du réchauffement climatique. Certaines îles sont donc classées réserves naturelles, leur donnant le titre de plus vaste bien classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais d’autres raisons que la science incitent la France à maintenir ses territoires sous son aile. 

Des espaces maritimes riches en ressources

Les ressources en hydrocarbures et en gaz sont dans l’ensemble faibles. Ainsi, les forages pétroliers projetés dans la Manche et dans l’Atlantique à la fin des années 1960 et au début des années 1970 n’ont pas tenu leurs promesses. En outre, la loi du 30 décembre 2017 a prescrit la fin définitive des forages en mer sur le territoire français, pour des raisons liées à la protection de l’environnement marin. Cette décision a eu pour conséquence l’abandon du permis d’exploration offshore « Guyane Maritime » au large des côtes guyanaises en 2019, puis, en février 2020, le refus de prolonger un permis exclusif de recherche d’hydrocarbures en mer (« Juan de Nova Maritime Profond ») au large des îles Éparses.

Il existe toutefois des ressources prometteuses, mais dont l’exploitation n’est guère envisageable dans un avenir proche pour des raisons à la fois techniques et financières, dans certains grands fonds marins au large de la Polynésie française (sulfures polymétalliques et encroûtements cobaltifères) et de l’atoll de Clipperton (nodules polymétalliques). Malgré plusieurs études de l’Ifremer, la France ne dispose actuellement que de visions très parcellaires de la richesse de ces fonds marins.

Quant aux ressources halieutiques, elles sont abondantes au large des côtes métropolitaines de la Manche et de l’Atlantique, ainsi que dans les espaces maritimes qui relèvent des Terres australes françaises – pêche au thon dans la zone économique exclusive au large des îles Éparses et pêche à la légine australe au large des îles de Kerguelen et de Crozet. Elles sont en revanche faibles en Méditerranée, à l’exception du thon rouge dont les stocks se sont reconstitués.

France puissance maritime
Définition des espaces maritimes au sen juridique ©MAE

Les stocks de morue au large de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ont certes disparu au début des années 1990 mais, bien qu’à une échelle beaucoup plus modeste, le concombre de mer a pris le relais. Des milliers de tonnes d’holothuries sont pêchées dans les eaux saint-pierraises, débarquées dans le port de Saint-Pierre et transformées sur place avant d’être expédiées par conteneurs au Canada d’où elles sont exportées vers les marchés asiatiques. L’espèce, surnommée « le caviar de l’archipel », fait la fortune des pêcheurs saint-pierrais, car elle est appréciée pour sa valeur nutritive, ses propriétés médicinales et ses supposées vertus aphrodisiaques. Quant aux espaces maritimes situés dans les Antilles (où la pêche est surtout artisanale) et au large de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, ils sont relativement pauvres en ressources halieutiques.

En 2020, le président de la République a annoncé que l’archipel des Glorieuses serait classé réserve naturelle nationale, au vu du caractère impératif de la préservation de la biodiversité. Dès 2012 avait d’ailleurs été créé le parc naturel marin des Glorieuses, contigu au parc naturel marin de Mayotte. De manière générale, les îles Éparses, qualifiées de « sanctuaires océaniques de la nature primitive », disposent d’un patrimoine biologique terrestre et marin remarquable. Leurs plages sont des lieux de ponte parmi les plus importants au monde pour les tortues marines.

Un enjeu économique

Pendant des décennies, il fut difficile de contrôler ces vastes étendues d’eau. Mais la situation s’est beaucoup améliorée grâce au renforcement de notre marine et au réseau d’alliances construit avec les puissances du Pacifique et ce même dans notre zone économique exclusive gérée par l’administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

 Avant 2003, la légine australe, surnommée « l’or blanc » en raison de son prix élevé, dont la pêche et la consommation remontent aux années 1990, et dont la chair blanche et fondante est très appréciée sur les marchés asiatiques et américains, avait fait l’objet d’un braconnage important. Depuis 2003, sa pêche illégale a pratiquement cessé dans les eaux situées au large des îles de Kerguelen et de Crozet grâce à une surveillance satellite radar mise en place en 2004, couplée à la présence quasi-permanente d’un bâtiment militaire.

Un traité de coopération franco-australien, signé en novembre 2003, prévoit en outre la possibilité de missions de surveillance de pêche en coopération dans les zones maritimes (ZEE et mer territoriale) australes, françaises et australiennes (au large des îles Heard et McDonald). Les missions sont effectuées par des navires de chacune des parties dans la zone maritime de l’autre partie. Enfin, les stocks de légine se trouvant dans les eaux des îles subantarctiques françaises sont suivis par la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR). Celle-ci a imposé des limites de captures jusqu’à 2021 et autorisé seulement quelques techniques de pêche (palangre, casier). Cette multiplication des moyens de lutte complémentaires a porté ses fruits : les navires de pêche illicite ne fréquentent plus les ZEE des îles australes des TAAF ; en revanche, ils sont régulièrement observés dans les eaux internationales à proximité de ces ZEE.

La situation est également sous contrôle dans les eaux des îles Éparses, où la pêche au thon est réglementée par les TAAF en conformité avec les recommandations de la Commission des thons de l’océan Indien (CTOI). Ainsi, en 2018, 42 thoniers senneurs, 1 palangrier et 12 navires auxiliaires ont été autorisés à pêcher dans les ZEE des îles Éparses. La production est débarquée au port de Victoria aux Seychelles. Des observateurs scientifiques formés par l’administration des TAAF embarquent sur les thoniers senneurs autorisés à pêcher afin d’observer les pratiques à bord et de collecter des données transmises à la CTOI. De manière générale, la gestion des zones économiques exclusives de la France par les TAAF prouve que la protection de l’environnement et le développement durable des activités en mer sont conciliables. La pêche illicite se pratique dans les ZEE au large de la Nouvelle-Calédonie et de la Guyane, mais elle est régulièrement sanctionnée.

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Port de pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon©Valérie Parlan

C’est certainement au large de l’atoll isolé, inhabité et inhospitalier de Clipperton, placé sous la responsabilité du haut-commissaire de la République en Polynésie française, que la situation est désormais la plus problématique. Plusieurs dizaines de milliers de tonnes de thon albacore du Pacifique sont pêchées par des flottes américaines et asiatiques dans cette ZEE (435 000 km²) qui se trouve au cœur d’une des régions les plus poissonneuses du monde en thonidés.

Des accords de pêche ont cependant été conclus en mars 2007 entre la France et le Mexique pour une période de 10 ans renouvelable. Ces accords prévoient que tout navire de pêche mexicain peut se voir octroyer une autorisation de pêche dans les espaces marins de Clipperton, sans redevance à payer. Ils ne stipulent pas les quantités de poisson autorisées et n’exigent des compagnies mexicaines qu’une déclaration annuelle des prises, dans le respect des mesures de gestion et de conservation définies par la Commission interaméricaine du thon tropical (Inter-American Tropical Tuna Commission, IATTC). En 2016, il y avait ainsi 48 navires mexicains dans la zone.

Autres secteurs clés, les industries de pointe et les nouvelles technologies (défense, santé, numérique) sont très dépendantes de l’approvisionnement en métaux stratégiques, notamment ceux que l’on appelle “terres rares”. Ces derniers entrent dans la fabrication de certains composants aéronautiques (dont les moteurs à réaction), des systèmes de guidage et de navigation, de matériel informatique (écrans tactiles pour ordinateurs, tablettes, smartphones et écrans plats de téléviseur, mais aussi les disques durs et batteries d’ordinateurs), des turbines d’éoliennes ou encore des ampoules basse consommation et LED. Compte tenu de nos modes de vie actuels, la consommation mondiale de terres rares est en forte croissance et pourrait même doubler d’ici 2026. Il existe actuellement une situation de dépendance à l’égard de la Chine qui, consciente de la puissance conférée par ses ressources continentales, n’hésite pas à établir des quotas d’exportation par pays, d’où une plainte déposée devant l’OMC (la procédure est toujours en cours).

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Exploitation sous-marine en nouvelle calédonie ebn 2022 ©ABC-Radio Australia

Or les fonds marins sont riches en métaux rares et en nodules polymétalliques, des concrétions rocheuses reposant sur le plancher océanique et contenant notamment manganèse, cuivre, cobalt et nickel. La France ne produit pas de terres rares à ce jour, mais elle dispose là encore de sérieux atouts dans la compétition qui s’annonce pour explorer et exploiter ces ressources marines profondes, tant au niveau de l’expertise scientifique et technologique en matière de grands fonds marins, que des capacités d’exploitation minière. C’est dans l’océan Pacifique que se situeraient les principaux gisements (100 milliards de tonnes selon des chercheurs japonais. Avec ses 6,8 millions de km² de ZEE dans le Pacifique, la France est donc a priori bien positionnée et dispose même d’un potentiel important autour de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française (en particulier les îles de la Société et Tuamotu. Des acteurs publics et privés tels que l’Ifremer, le CNRS, Technip et Eramet sont d’ores et déjà investis dans des projets d’exploration, mais ceux-ci ne sont pas encore à la mesure du potentiel et de l’intérêt stratégique de ces ressources pour les industries innovantes.

À ce jour, seule la zone de Wallis-et-Futuna fait l’objet d’un inventaire détaillé des ressources, mais les travaux sont aujourd’hui bloqués faute de moyens, et la tendance à la baisse du budget de l’Ifremer ne devrait pas faciliter les choses. Un travail d’exploration approfondi reste donc à mener pour connaître précisément les caractéristiques et le rendement des gisements découverts, en particulier dans la ZEE du Pacifique. Si les conditions et le coût d’exploitation de ces ressources, situées à de grandes profondeurs (souvent plus de 4 000 mètres) posent des difficultés à court terme, en revanche, on estime qu’à l’échelle mondiale jusqu’à 10 % des minéraux pourraient provenir des fonds marins d’ici 2030, avec un doublement du chiffre d’affaires de l’exploitation) minière marine (10 milliards d’euros. Leur exploitation est donc un enjeu stratégique majeur, non seulement à l’échelle française, mais également pour l’Union européenne, car l’innovation et la recherche sont deux piliers de la stratégie “Europe 2020” qui a succédé en 2010 à la stratégie de Lisbonne.

Des territoires 100% français

La France étant membre de l’Union européenne, on peut se demander si cette richesse devra être partagée avec les autres États européens. Mais la réponse est claire, ces espaces sont indéniablement nationaux, y compris au large de nos côtes métropolitaines. 

Il est certes exact que l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive en matière de conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche (PCP). Celle-ci définit des règles destinées à gérer la flotte de pêche européenne et préserver les stocks de poissons dans « l’espace maritime communautaire ». Conçue pour gérer une ressource commune, la politique commune de la pêche donne à l’ensemble de la flotte de pêche européenne une égalité d’accès aux eaux et aux fonds de pêche de l’Union européenne et garantit aux pêcheurs une concurrence équitable.

Il est en outre exact que l’Union européenne dispose aussi d’une compétence, partagée cette fois, dans d’autres domaines qui intéressent l’utilisation des mers, notamment l’environnement et les transports. Mais c’est par commodité de langage que l’on parle d’un « espace maritime communautaire ». Ni les compétences exclusives ni celles partagées de l’Union ne comportent d’ailleurs une référence explicite au territoire. En fait, l’Union européenne exerce des compétences fonctionnelles dans des espaces maritimes fonctionnels. La Commission européenne n’a d’ailleurs jamais prétendu se substituer aux États membres pour créer un espace maritime au sens de la convention des Nations Unies de 1982.

De même, l’engagement, le déroulement et la conclusion de négociations sur la délimitation des espaces maritimes sont toujours du ressort des États et l’Union européenne ne tient aucun rôle formel officiel dans ces domaines. Il n’y a de territoire de l’Union que celui des États membres, et l’Union n’a pas d’assise territoriale qui lui permettrait de se projeter en mer et de disposer directement de « prolongement maritime ».

Souveraineté et responsabilités

La sécurité des espaces maritimes français est un enjeu majeur pour les années à venir. Il s’agit de lutter contre des menaces variées, qui ne sont pas les mêmes selon les espaces. La zone des Caraïbes relie par exemple les principaux pays producteurs de cocaïne en Amérique du Sud, et leurs clients en Amérique du Nord et en Europe parfois à travers l’Afrique. Avec les moyens de la zone maritime Antilles, la France participe donc activement à la surveillance de cette plaque tournante du trafic mondial de stupéfiants. La frégate de surveillance Ventôse est ainsi régulièrement employée dans le cadre des “narcops” qui ont conduit à la saisie de plus de 7 tonnes de drogue en 2015. La Guyane revêt une dimension stratégique appelant un niveau de protection élevé des approches maritimes du centre spatial de Kourou. Dans l’océan Indien, les missions de surveillance et de police des pêches sont fréquentes, mais les îles Glorieuses et Mayotte sont aussi concernées par la piraterie et l’immigration clandestine. La zone Pacifique nécessite aussi des opérations de police des pêches, de douane, voire de protection des personnes et des biens. Enfin, la Marine nationale est responsable de la lutte antipollution à travers les plans “Polmar Mer”, dont une partie des moyens est basée en Guyane, dans les Antilles, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte et à la Réunion.

Dans certains cas, l’enjeu est la reconnaissance officielle des limites de la ZEE par les États voisins. La question ne se pose généralement pas pour les territoires les plus isolés en mer, où la ZEE atteint les 200 milles marins sans rencontrer de ZEE concurrente. C’est par exemple le cas des îles australes de l’océan Indien (Crozet, Saint-Paul et Amsterdam ou encore le Sud de l’île de la Réunion) et de Clipperton dans le Pacifique. En revanche, les îles et territoires jouxtants des pays tiers ou dont la ZEE rencontre une ZEE concurrente à moins de 200 milles ne sont pas tous assurés d’une reconnaissance bi/multilatérale.

Les responsabilités liées à la ZEE comprennent également des dispositions relatives à la protection de l’environnement, dans un contexte de prise de conscience mondiale des conséquences de l’activité humaine sur celui-ci. Des moyens sont donc alloués pour lutter contre la surpêche et la pollution. Compte tenu de la taille de sa ZEE, la France se doit surtout de montrer l’exemple en matière de protection du sous-sol marin : des efforts de recherche doivent être menés pour étudier les conséquences d’une éventuelle exploitation de gisements minéraux sous-marins.

Enfin, la répartition de sa ZEE confère à la France une position avantageuse pour le contrôle de certaines routes maritimes stratégiques. C’est en particulier le cas du canal du Mozambique, situé sur la route circumafricaine. Celle-ci est empruntée par les plus gros navires pétroliers en provenance ou à destination des pays du Golfe ou de leurs clients, dont le gabarit ne permet pas d’emprunter le canal de Suez. Elle est aussi la seule alternative à la route du canal, si ce dernier venait à être fermé, comme ce fut le cas entre 1967 et 1975. Avec les îles Éparses, Mayotte et surtout les moyens navals basés à la Réunion, la France est donc l’un des acteurs principaux de la sécurité de cette voie d’approvisionnement en hydrocarbures d’importance mondiale.

Dans tous les cas, la souveraineté n’existe réellement que si la France est en mesure de contrôler et d’intervenir en permanence en tout point de sa ZEE, afin de dissuader les éventuelles revendications territoriales ou les pilleurs de ressources. La question des moyens affectés à ces missions de souveraineté est donc plus que jamais un enjeu stratégique.

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