« La France a complètement remporté la bataille du droit d’auteur » ITW de Julia Reda - Eurodéputée des Verts

En vue d’une réunion cruciale entre les ambassadeurs de l’UE le 8 février, Euractiv Slovaquies’est entretenu avec Julia Reda pour discuter de la directive controversée sur le droit d’auteur.

Julia Reda est eurodéputée des Verts au Parlement européen.

Tout de suite après la fuite d’un compromis franco-allemand sur la directive droit d’auteur, vous vous êtes déchainée sur Internet, en qualifiant la proposition de « pire que jamais ». Pourquoi considérez-vous que la proposition est mauvaise ?

Avec le premier compromis proposé par le Conseil, auquel l’Allemagne s’opposait, les petites plateformes n’étaient pas exclues du champs de la directive mais il était indiqué qu’elles devaient bénéficier d’une analyse au cas par cas. Car d parfois l’utilisation de filtres automatiques pour les contenus téléchargés pouvait être disproportionnée.

Le compromis actuel prévoit que même les petites plateformes, doivent faire de leur mieux pour obtenir une licence auprès des détenteurs des droits. Le problème c’est qu’une plateforme ne peut pas obtenir une licence pour le contenu que des utilisateurs pourraient publier à l’avenir, comment sont-elles censées savoir les licences dont elles ont besoin ?

L’exemption des PME, cruciale pour certains, continue de diviser les pays. La nouvelle proposition exige l’installation des filtres par tous sauf les services qui remplissent ces trois critères : être disponible au public pendant moins de trois ans, avoir un chiffre d’affaires annuel de moins de 10 millions d’euros et moins de 5 millions de visiteurs uniques chaque mois.

L’exemption du filtrage ne couvre personne. Nous venons d’avoir une conférence sur la modération des contenus et j’ai demandé à tous les intervenants s’ils connaissaient des plateformes qui remplissent ces critères et ils m’ont répondu que non.

Même les plateformes nationales qui sont relativement populaires comme Seznam en République tchèque ou Wykop en Pologne ne remplissent pas ces critères soit parce qu’elles sont trop populaires soit parce qu’elles sont trop vieilles.

Ces critères sont nouveaux. Pourquoi ont-ils été choisis à ce stade des négociations ?

La France a remporté la partie face à l’Allemagne. Mais les Allemands doivent inclure quelque chose dans la proposition pour prétendre qu’il s’agit d’un compromis. Berlin doit comprendre que personne n’est concerné par ces exceptions. Les Allemands ont complètement renoncé.

À quoi vous attendez-vous vendredi (8 février) ?

J’espère que l’Allemagne changera d’avis et se rendra compte que l’accord est très mauvais. Mais elle subit surement beaucoup de pression de la part de groupes concernés par le droit d’auteur.

D’un autre côté, de grandes sociétés de la presse disent que l’article 13 ne les aide pas. L’industrie cinématographique a signé une lettre ouverte, et j’ai aussi vu un document de synthèse de la plus grande entreprise médiatique européenne, le groupe German Bertelsmann, où il affirmait être contre la directive.

Le Parlement européen serait-il satisfait de telles modifications ?

Le Parlement européen a déjà voté contre l’article 13 une fois, et une autre fois en faveur.

La principale différence entre les deux est qu’en juillet, il n’y avait pas d’exemption pour les petites entreprises, et ça a été rejeté. En septembre, nous avions une véritable exemption pour les petites entreprises, sans critères d’ancienneté ou de licence, il s’agissait d’une exemption totale.

Pendant les négociations en trilogue, Alex Voss (le rapporteur de la directive sur le droit d’auteur) doit défendre la position du Parlement, qui est que les PME doivent être totalement exemptées.

S’il accepte ce compromis entre la France et l’Allemagne, il n’y aura pas de majorité au Parlement, surtout parce que le vote aura lieu juste avant les élections européennes et que l’article 13 est très impopulaire. Alex Voss faire preuve d’une extrême prudence car s’il rompt avec ses promesses, toute la loi pourrait être rejetée.

Alex Voss a récemment déclaré aux journalistes qu’il serait « inacceptable » de laisser la loi au prochain Parlement et qu’il ne pouvait pas y avoir de réforme du droit d’auteur sans article 13. Pourquoi, dans une atmosphère si tendue, la pression est-elle si intense pour faire adopter la loi ?

Je pense qu’il a tort, je pense qu’Alex Voss a montré par le passé qu’il était incapable de faire des compromis. Des universitaires, des collègues, d’autres groupes politiques, et même le sien, ont proposé de nombreuses alternatives à l’article 13. Il a fait l’objet de nombreuses critiques et il a toujours essayé d’adopter l’approche la plus extrême possible.

Il a aussi déclaré qu’il n’accepterait pas l’accord avec lequel les détenteurs du droit d’auteur ne sont pas d’accord. Il a tout simplement donné un droit de véto à un groupe de lobbying, ce qui est une erreur.

Je ne pense pas que ce soit impossible de trouver une majorité pour le droit d’auteur au Parlement. Mais il doit tout simplement faire davantage de compromis, ce qu’il ne semble pas être prêt à faire.

La dernière directive sur le droit d’auteur a été proposée en 1997 et adoptée en 2001. Entre, il y a eu les élections européennes de 1999, donc ce n’est pas comme si ça n’avait jamais été fait avant.

Ce sujet semble diviser le Parlement européen. Pourquoi ?

La difficulté, c’est qu’aucun député ne comprend tout ce que cette directive implique. Normalement, les tâches sont bien réparties et les groupes politiques sont idéologiquement en accord les uns avec les autres. Un expert se charge ensuite de donner des explications au reste du groupe dans une atmosphère de confiance mutuelle.

Mais pour les droits d’auteur, c’est différent, ça ne relève pas d’une idéologie. Il y a des différences au sein de la plupart des groupes politiques et tout à coup, chaque membre doit prendre sa propre décision. C’est très difficile, et il ne faut pas seulement comprendre le monde de l’internet mais aussi la législation sur le droit d’auteur.

Le droit d’auteur concerne bien plus que la musique et les vidéos. Nous parlons toujours des mesures techniques permettant de supprimer ce type de contenu mais le droit d’auteur peut par exemple aussi s’appliquer à une statue.

Vous avez vivement encouragé les citoyens à parler aux députés, à leur envoyer des e-mails pour connaître leurs opinions et les convaincre de s’opposer à l’article 13 de la proposition de directive sur le droit d’auteur. Continuez-vous encore à le faire aujourd’hui, au dernier stade de la négociation ?

Il est inadmissible que l’Allemagne et la France décident de ce que le Conseil doit faire. Ce sont de grands pays et on déduit donc souvent que si l’Allemagne et la France sont d’accord, les jeux sont faits. Il y a en fait une autre solution : que plusieurs petits pays s’unissent. De nombreux petits pays ont un secteur technologique actif. Les citoyens des petits pays doivent demander à leur gouvernement pourquoi ils sont favorables à cette directive.

Les citoyens doivent aussi demander à tous les députés européens de voter contre la directive si on ne parvient pas à un accord vendredi, et leur dire que cette question sera décisive avant les élections européennes. De nombreux députés se représenteront, et je pense que ça peut faire pencher la balance.

La pétition contre l’article 13, la deuxième plus grande pétition en ligne de l’histoire avec plus de 4,3 millions de signature pourrait-elle aussi faire pencher la balance ?

La ministre de la Justice allemande a annoncé qu’elle serait prête à recevoir la pétition mais ce n’est pas encore arrivé. Je crains que l’Allemagne vote oui au Conseil et que la pétition arrive donc trop tard. La ministre Katarina Barley a un rôle clé et peut faire basculer la position du gouvernement allemand parce qu’elle est ministre de la Justice et candidate principale pour les élections européennes.

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