La fin du pétrole ?

La fin du pétrole ?

« L’âge de pierre n’a pas pris fin faute de pierres, l’âge du pétrole ne prendra pas fin faute de pétrole »

le Cheik Yamani, le ministre du pétrole saoudien de l’époque de l’or noir.

L’épidémie de covid-19 a révélé les efforts à accomplir pour réussir à tenir les engagements de l’accord de Paris de 2015 pour la planète, signé par 190 pays. En effet, avec une mise à la cape l’économie mondiale durant deux mois, les émissions de CO2 ne baisseront cette année qu’entre 4 et 7 % avec un coût économique très élevé se traduisant par un recul du PIB mondial d’au moins 3 points. Or, pour avoir une chance décente de maintenir la température moyenne de la Terre à moins de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels, les émissions nettes de CO2 et d’autres gaz à effet de serre sont censées être nulles d’ici 2050. 

Ce défi sera d’autant plus difficile à relever que la population mondiale augmentera de deux milliards durant les deux prochaines décennies. La décarbonisation de notre production d’énergie aura des conséquences tant sur les modes de vie que sur le plan géopolitique avec une remise en cause des positions de certains Etats. 

Croissance et énergie

Depuis la révolution industrielle, il y a 250 ans, la croissance a été obtenue en recourant à un volume de plus en plus important d’énergie dont la majeure partie est d’origine fossile (85 %). Les émissions nettes ont augmenté de 40 % au cours des 30 dernières années. L’énergie produite est responsable des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre. En 2018, 55 gigatonnes de CO2 étaient émises au niveau mondial. Environ un cinquième de ce montant provient des changements dans l’utilisation des terres et l’agriculture. Le reste est en grande partie constitué d’émissions issues de la consommation d’énergie et des procédés industriels. 

Selon les données du World Resources Institute, les bâtiments (chauffage) sont responsables de 17% des émissions et le transport routier de 12% des émissions. Les autres formes de transport sont moins émettrices, l’aviation entre 2 et 3% et le transport ferroviaire autour de 2%. Au sein de l’industrie, les principaux secteurs d’émission sont la sidérurgie (8%), la chimie et la pétrochimie (6%) et le ciment (3%). 

Au niveau des différents Etats, la Chine est le plus gros émetteur, produisant environ un quart des émissions mondiales en lien avec le poids de sa population et celui de son industrie. L’Amérique du Nord émet 12% du CO2 et l’Union européenne et l’Inde en produisent environ 7% chacune. Au total, les vingt premiers émetteurs sont responsables de 80% des émissions mondiales, leur population représentant 60% de la population mondiale. 

Une transition due à des  changements réglementaires 

Pour la première fois, un changement de combustible est imposé de manière réglementaire, au nom de considérations écologiques. Le passage du bois au charbon et de celui-ci au pétrole a été progressif et s’est opéré au nom d’une plus grande efficience. Le pétrole, carburant liquide facile à transporter, à forte capacité énergétique, à multiple usage, est un puissant générateur de croissance. Cette énergie a modelé l’économie du dernier siècle. L’industrie pétrolière, l’industrie automobile et l’industrie aéronautique ont été les portes drapeaux de l’économie. 

Le départ d’ExxonMobil de l’indice Dow Jones, dont elle était membre depuis 1928, est un signe du changement de modèle. La restructuration de ces secteurs d’activité sera au cœur de l’actualité de ces dix prochaines années. 

Le pouvoir ébréché des Etats pétroliers 

La transition énergétique aura également des conséquences au niveau géopolitique

Les Etats pétroliers comme l’Arabie saoudite, l’Algérie, voire la Russie, ont besoin d’un prix du pétrole se situant entre 60 et 90 dollars le baril pour équilibrer leurs budgets. Avec un baril à 40 dollars, ces Etats pourraient être rapidement confrontés à des difficultés financières et des tensions sociales. Entre la chute des prix et celle de la consommation, l’Arabie Saoudite devrait perdre en 2020 50 milliards de dollars de recettes pétrolières. Avec des productions locales de l’énergie, les Etats pétroliers perdront en influence. La part de l’électricité renouvelable telle que l’énergie solaire et éolienne pourrait passer de 5% de l’approvisionnement aujourd’hui à 25% en 2035, et à près de 50% d’ici 2050. La captation de la rente énergétique à leur profit énergétique disparaîtra. La nécessité pour les pays avancés de sécuriser les pays du Golf et les routes maritimes y conduisant diminuera d’intensité. 

Les Etats-Unis consacrent près d’une dizaine de milliards de dollars à cette zone géographique. L’affaiblissement des Etats pétroliers ne sera pas sans effet sur l’économie mondiale. Dotés d’une population de 900 millions de personne, plutôt jeune, ces pays représentent 8% du PIB. 

Nouvelle stabilité

L’économie pourrait gagner en matière de stabilité en sortant de l’ère du pétrole. Les marchés pétroliers sont dans les faits entre les mains de cartels dont les décisions ne sont pas toujours transparentes et rationnelles avec, comme conséquence, une forte volatilité. A 62 reprises, depuis 1970 Le prix du baril a connu, des fluctuations de plus de 30 % en quelques jours. La sécurité énergétique des différents États devrait être améliorée avec néanmoins une dépendance qui pourrait intervenir au niveau des infrastructures et de la logistique. 

Les entreprises chinoises produisent 72% des modules solaires du monde, 69% de ses batteries lithium-ion et 45% des éoliennes. Les Chinois contrôlent également une grande partie du raffinage des minéraux essentiels à l’énergie propre, tels que le cobalt et le lithium. 

Le covid-19, un catalyseur de la transition énergétique

Les investissements nécessaires pour réaliser la transition énergétique se chiffrent en milliers de milliards de dollars par an. L’obsolescence accélérée de nombreux investissements non conformes avec les nouvelles normes environnementales pourrait également porter sur plusieurs milliers de milliards de dollars. Le coût de transition énergétique doit prendre en compte celui de l’inaction. Selon la société d’assurance et de réassurance Swiss Re, le coût économique de l’augmentation des températures a été évalué, entre 2017 et 2019, à plus de 200 milliards d’euros par an pour les prochaines années, somme qui sera amenée à progresser avec la multiplication des évènements météorologiques violents et l’augmentation du niveau des eaux. 

Il convient d’intégrer le coût des pertes humaines générées par la pollution, soit quatre millions environ par an. La montée en puissance des investissements liés au climat est nette depuis le milieu des années 2010. Selon la Climate Policy Initiative, ils ont augmenté de 70% entre 2013 et 2018, pour atteindre 579 milliards de dollars.

Les coûts de la non transition 

Si au début des années 2010, la rentabilité de ces investissements était faible, ils commencent à rejoindre ceux des sources traditionnelles d’énergie. Le caractère aléatoire de la production des énergies renouvelables impose le surdimensionnement des infrastructures (construction de centrales électriques classiques par exemple), ce qui grève les coûts. La volonté des gouvernements de développer la filière de l’hydrogène vise à terme à réduire ce problème. La production d’hydrogène en période de surproduction permettrait de limiter le recours aux énergies fossiles. Pour le moment, les piles à combustibles utilisant l’hydrogène sont plus coûteuses et sont moins rentables que les moteurs électriques classiques. Depuis deux ans, la progression des investissements privés dans les énergies renouvelables est importante, plus de 45% par an.

Malgré tout, par rapport aux besoins estimés à 1000 milliards de dollars par an pour réussir la décarbonisation de l’économie, il conviendrait de tripler les investissements. Après une période de tergiversation entre 2015 et 2019, les Etats sont de plus en plus proactifs avec la mise en œuvre des programmes ambitieux de réduction de leurs émissions. La crise du covid-19, ayant comme conséquence la mise entre parenthèse de l’orthodoxie budgétaire, sert de catalyseur. 

L’Union européenne a ainsi annoncé que 30% de son plan de relance covid-19 de 750 milliards d’euros sera consacré à la transition énergétique. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a, par ailleurs, confirmé la réduction en dix ans par l’Union européenne de ses émissions de gaz à effet de serre de 55% par rapport aux niveaux de 1990. 

Le retour de l’économie dirigée 

Beaucoup d’espoirs sont placés dans les politiques environnementales. Elles sont supposées, au-delà de la réduction des émissions des gaz à effet de serre, favoriser le retour au plein emploi, assurer la croissance des prochaines décennies et donner du sens à l’action publique. Avec la crise sanitaire, elles permettent aux États de reprendre la main sur l’économie dite réelle. La refondation du Commissariat Général au Plan est un symbole de cette volonté des gouvernements de peser sur les activités productives. 

La primauté étatique n’est pas sans risque. Dans une économie de marché à multiples acteurs, les mauvaises décisions sont éliminées progressivement. Dans un système étatisé, la décantation est plus lente en cas d’erreurs et le coût est plus élevé en raison du caractère plus important des investissements. Les échecs des avions Concorde et A380 illustrent la difficulté pour des pouvoirs publics d’arrêter des projets non rentables. Les changements de politique au gré des influences ou des élections sont une source de perte de temps et de gaspillage. Ainsi, après avoir ignoré la filière hydrogène, la France décide de la développer. De même, le tout éolien décrété il y a quelques années et qui avait succédé au tout solaire, cède la place à un mix plus équilibré. La tendance actuelle est de pénaliser l’avion, qui a l’inconvénient d’être bruyant et connoté socialement, répond autant à des objectifs environnementaux que politiques.

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