Les accords de la Jamaïque de 1976 entérinant la disparition des accords de Bretton Woods, ont consacré l’hégémonie du dollar comme monnaie de référence. Étalon et instrument d’échange ainsi que de réserve, la monnaie américaine conserve une position hégémonique, malgré la succession des crises, dont celle de 2008, et malgré l’avènement de la Chine.
Plus de la moitié des échanges internationaux et plus de 60 % des réserves monétaires sont libellés en dollar. Le dollar est reconnu comme un actif sûr dans le monde entier permettant à tout moment de régler une transaction commerciale ou financière. Il est soutenu par la prépondérance politico-monétaire des États-Unis. Les avantages collectifs générés par la monnaie américaine dépassent les inconvénients.
60% des réserves monétaires
La subordination aux intérêts américains est supportée même si, ces dernières années, la multiplication des cas d’extraterritorialité de la loi américaine a généré un trouble croissant au sein de la communauté internationale.
Le système dollar s’est imposé dans les faits dès les accords de Bretton Woods, traduisant alors la domination économique et militaire des États-Unis. En vertu de ces accords, chaque pays devait déclarer sa parité en or ou en une devise convertible en or. En 1944, seul le dollar était convertible en or, la banque centrale américaine disposant de plus des trois quarts des stocks d’or. Il devenait de facto l’unité de compte monétaire international. L’intangibilité du prix officiel en or (35 dollars l’once) provoqua la chute des accords. Les États-Unis ont refusé la dépréciation de leur monnaie et le rééquilibrage de leur balance des paiements courants. Ce dernier aurait entraîné une raréfaction du dollar, ce qui aurait eu un effet dépressif sur l’économie mondiale.
Durant les Trente Glorieuses, Les États-Unis comme le reste du monde n’avaient intérêt à réduire l’offre de dollars. À défaut de changer la parité à l’or, la décision du 15 août 1971 de Richard Nixon de mettre un terme à la convertibilité apparaît logique. L’instauration des changes flottants en 1973, légitimée en 1976, était la suite prévisible de cette décision et l’affirmation de la domination américaine. En 1960, dans un ouvrage Gold and the dollar crisis, the future of convertibility, l’économiste américain Robert Triffin avait souligné les dangers du passage à un Système Monétaire International centré sur le dollar. Dans le cadre de ce qui est alors dénommé « paradoxe de Triffin », les États-Unis profitent de la position du dollar comme monnaie de réserve dominante pour s’endetter auprès du reste du Monde.
Une fin toujours annoncée et toujours reportée
L’augmentation excessive de l’endettement des agents économiques, publics et privés, et de la dette extérieure en lien avec le déficit récurrent de la balance des paiements courants conduit à une baisse de la qualité du dollar, ce qui devrait à terme provoquer un recul de la demande de dollars.
Cette situation entraînerait une dépréciation violente du dollar et à terme la perte de son statut de monnaie de réserve. Si ce paradoxe ne s’est pas produit depuis les années 1960, la crise de la covid-19 pourrait-elle l’amener ?
La multiplication des plans de relance peut-elle affecter la crédibilité de la monnaie américaine ? Le durcissement des relations commerciales avec la Chine ainsi que le comportement moins prévisible des États-Unis sont-ils des facteurs pouvant inciter les autres pays à se détourner du dollar?
Le surendettement mécanique américain
L’emballement de l’endettement total intérieur (administrations publiques, entreprises, ménages) des États-Unis constitue le point de départ éventuel de défiance vis-à-vis du dollar. Il est passé de 220 % du PIB à 320 % du PIB de 1998 à 2020. La crise de la covid19 a entraîné une progression de 40 points de PIB de cet endettement.
Les plans de relance successifs, 1 900 milliards de dollars pour celui de Joe Biden après celui de 1 700 milliards de dollars de Donald Trump auxquels il faut ajouter le plan de modernisation des infrastructures de 2 000 milliards de dollars, aboutissent à une augmentation sans précédent du déficit public qui est passé de 5 à plus de 15 % du PIB de 2019 à 2021. Cette année, la dette publique devrait franchir la barre des 140 % du PIB, contre 117 % du PIB en 2019. De leur côté, les entreprises ont accru en moins de deux ans leur endettement de près de 20 points de PIB.
L’accélération de la croissance, alimentée par les différents plans de relance, devrait aboutir à un fort accroissement du déficit de la balance des paiements qui était déjà conséquent avant la crise sanitaire. Ce déficit est passé de 2 à 3,5 % du PIB de 2019 à 2020. La dette extérieure des États-Unis qui était de 10 % du PIB dépassait 65 % du PIB en 2020.
Cette accumulation de déficits est rendue possible par le pouvoir libératoire du dollar et la politique monétaire expansive de la banque centrale. Le bilan de FED s’élevait fin 2020 à 7 000 milliards de dollars, contre 4 000 en 2019.
Géopolitique du dollar
Tant pour des raisons géopolitiques qu’économiques, certains États ont réduit ou mis un terme à leurs achats de dettes en dollars. C’est le cas de la Chine et de la Russie. Le Japon a fortement diminué ses acquisitions de titres américains tout comme certains États de l’OPEP. Demeurent comme acheteurs de dettes en dollars, les pays européens, le Canada, l’Arabie Saoudite et certains pays émergents.
La réduction du nombre d’acheteurs de titres en dollars devrait rendre plus difficile le financement d’une dette extérieure des États-Unis en forte hausse.
Pour la dette intérieure, la FED et les banques centrales des États fédérés achètent des volumes croissants de titres. L’atonie de la demande étrangère pour les titres américains conduit à une hausse des taux d’intérêt mais cette hausse sera plafonnée par l’action de la Réserve fédérale qui entendra éviter un ralentissement trop brutal de l’économie.
Le dollar devrait se déprécier, il monte.
Le taux d’intérêt de l’obligation d’État à 10 ans est passé de 0,5 à 1,7 % entre le 1er juillet 2020 et le 1er avril 2021. S’il peut se rapprocher des deux points, il semble exclu que la banque centrale ne réagisse pas rapidement en cas de forte hausse.
Logiquement, en cas d’absence d’augmentation du taux d’intérêt dans un contexte de forte hausse de l’endettement interne et externe, d’un côté, et de diminution du nombre d’acheteurs internationaux, de l’autre, le dollar devrait se déprécier. Ce qui marquerait un recul de son rôle de monnaie de réserve. Or, depuis le début de la crise, cette équation ne se vérifie pas. Le dollar ne se déprécie pas tant vis-à-vis de l’euro que des autres grandes monnaies. Il conserve ses positions en tant que monnaie de réserve (60 %, contre 20 % pour l’euro).
La profondeur du marché financier européen reste faible
Le dollar reste le dollar par l’absence de monnaie de substitution. Les États-Unis demeurent la seule puissance disposant de capacités de projection et d’intervention à l’échelle mondiale. Son économie, même si elle est concurrencée par la Chine, reste dominante et en pointe sur le plan technologique. Le dollar bénéficie de la forte reconnaissance dont bénéficie la Réserve Fédérale en raison de la transparence de ses décisions, prises dans le cadre de débats contradictoires.
L’euro n’est pas en mesure de concurrencer le dollar du fait de sa jeunesse, de sa fragilité relative (comme l’a prouvé le psychodrame grec en 2012) et de la segmentation de la dette entre de nombreux émetteurs. La dette publique est émise par les 19 États membres, l’Union ne devant émettre ses premiers titres que cette année. La profondeur du marché financier européen est faible au regard de celui des États-Unis.
Les autres devises (franc suisse, yen, livre sterling, RMB) ont soit des dettes de trop petite taille, soit ne sont pas acceptables comme monnaie de réserve (risque politique, encours insuffisant d’actifs disponibles pour les non-résidents). Le caractère autoritaire du régime chinois nuit à la montée en puissance du RMB.
Un rééquilibrage avec l’Europe plutôt qu’avec la Chine
Les cryptomonnaies qui seraient appelées, pour certaines, à remplacer à terme le dollar et les autres devises jouent, pour le moment, un rôle marginal. L’encours du bitcoin, malgré sa récente appréciation, avoisine 1 000 milliards de dollars. Les opérations quotidiennes en bitcoins se chiffrent en dizaine de milliards de dollars quand près de 7 000 milliards de dollars sont échangés chaque jour.
Le risque de déstabilisation du dollar à court et moyen terme est faible faute de concurrent crédible. Un renforcement de la zone euro avec le développement d’une dette mutualisée pourrait changer la donne et rééquilibrer les forces monétaires. Pour la monnaie chinoise, les handicaps sont pour le moment élevés. La nature du régime politique et la réglementation protectionniste encore en vigueur sont des freins à son développement.
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