L’Europe pratique bien souvent avec délectation l’art de la division. Des anciens royaumes aux nations de l’ère moderne, les conflits et les guerres ont été légion. L’identité européenne n’en existe pas moins grâce à la culture qui, à travers les siècles, a joué un rôle de ciment et d’aiguillon. De Londres à Varsovie en passant par Paris, Berlin et Prague, des artistes, des écrivains, des musiciens, des peintres, ont contribué à diffuser, au-delà des frontières, des valeurs communes. De Vinci, Diderot, Mozart, Beethoven, Vivaldi, Voltaire, Rousseau, Marx, Picasso, Goethe, Sartre, Camus, sont des Européens avant d’être des Allemands, des Français, des Tchèques ou des Italiens, leurs créations et leur influence dépassant de loin les limites de leur pays d’origine.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une période nouvelle s’est ouverte, les États européens privilégiant la négociation et la coopération à la guerre. En 70 ans, L’Union Européenne de Paiement chargée de gérer les aides du plan Marshall, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, la Communauté Économique Européenne puis l’Union Européenne ont permis l’affirmation du Vieux Continent comme la plus importante zone économique mondiale.
Avec la chute de l’URSS en 1991, les États d’Europe centrale ont rejoint tout naturellement le processus communautaire. Leur soif de liberté, leur rejet de l’hégémonie russe et surtout leur attachement à la culture européenne ont incité leurs dirigeants à participer à l’aventure.
Les États d’Europe centrale sont victimes du syndrome des pays sans Histoire
Jugée trop rapide par certains et par d’autres injustifiée, cette intégration donne lieu, trente ans après, à de profondes méprises menaçant la cohésion d’ensemble. Pour reprendre les mots de Milan Kundera, les États d’Europe centrale sont victimes du syndrome des pays sans Histoire, ce qui ne signifie pas, qu’ils n’en ont pas, bien au contraire. Depuis des siècles, ces pays sont contraints de composer avec l’Histoire de leurs grands voisins. Après la longue césure soviétique, ils entendent pouvoir conserver leurs spécificités au nom de la liberté reconquise. Ils jugent, parfois non sans raison, que le cœur de l’Europe penche à l’Ouest et ne les écoute pas. Les sièges des Institutions de l’Union se situent à Bruxelles, à Strasbourg, à La Haye ou à Francfort.
Les aides reçues par les États d’Europe centrale sont supposées valoir solde de tout compte sur l’élaboration de la politique européenne. La Pologne avec ses 38 millions d’habitants, n’est pas un État marginal. La République tchèque peut s’enorgueillir d’avoir un niveau de vie par habitant proche de la moyenne européenne. Situés aux marges de l’Union, les pays d’Europe centrale se doivent de défendre les frontières sans en avoir toujours les moyens.
La mondialisation des économies a comme corollaire la nationalisation des idées
Il a fallu la crise avec la Biélorussie pour comprendre que celle séparant la Pologne et la Biélorussie est également la nôtre. La cohésion de l’Europe est menacée par le problème qu’elle rencontre avec les flux migratoires. Elle l’est également par l’étrange délitement de l’esprit européen.
La mondialisation des économies a comme corollaire la nationalisation des idées. Il est de plus en plus difficile de citer un écrivain, un musicien, un peintre allemand, polonais, tchèque, lithuanien ou italien dont l’aura est européenne. Les intellectuels semblent de plus en plus prisonniers des débats nationaux. Vienne, Paris, Berlin, Venise ou Prague demeurent des carrefours intellectuels mais de plus en plus réservés à des initiés.
La fragmentation de l’Union entre États du Nord, du Sud et de l’Est constitue une menace réelle
L’Europe, pour Edgar Morin, tenait sa force de sa capacité à nourrir les débats, à forger de l’unité à travers la multiplicité des approches. Or, aujourd’hui, l’Union européenne est sur la défensive, ce qui la place en position de faiblesse face aux deux autres grandes puissances. Faute de pouvoir imaginer un futur commun, les Européens semblent aujourd’hui être aspirés par les sphères d’influence américaine ou chinoise.
La fragmentation de l’Union entre États du Nord, du Sud et de l’Est constitue une menace réelle qu’il convient de contrecarrer. Tous les États membres de l’Union sont supposés majeurs, tous ayant plus de vingt ans d’adhésion, et ont voix au chapitre pour bâtir le nouveau projet européen qui se doit d’être économique, écologique, social et culturel.
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