La décarbonation est un combat 

La décarbonation est un combat 

À Berlin, le constructeur automobile chinois NIO présente, dans son showroom, des voitures électriques plutôt luxueuses visant à concurrencer les voitures allemandes. Le prix des modèles exposés varie entre 54 000 et 75 000 euros auquel il faut ajouter celui de la batterie, entre 12 000 et 21 000 euros. 

Pour de nombreux Européens, un véhicule électrique reste inabordable malgré les aides consenties par les pouvoirs publics. Ils sont contraints de se rabattre sur les voitures à moteur thermique neuves ou, pour nombre d’entre eux, d’occasion. Néanmoins, l’électrification du parc automobile se poursuit et s’accélère. Selon l’Association des constructeurs automobiles européens, les voitures entièrement alimentées par batterie représentaient 12,1 % des voitures immatriculées dans l’Union européenne l’année dernière, contre 9,1 % pour les véhicules électriques en 2021 et seulement 1,9 % en 2019.

En 2022, les ventes de véhicules à propulsion alternative dépassent pour la première fois celles à moteur thermique 

Une catégorie plus large, celle des véhicules à propulsion alternative qui regroupe les hybrides purement électriques et rechargeables et non rechargeables, représentait plus de la moitié du marché automobile de l’Union européenne au cours du dernier trimestre 2022, avec plus de 1,3 million de véhicules immatriculés au total. 

L’année 2022 marque une rupture, les ventes de véhicules à propulsion alternative dépassant pour la première fois celle à moteur purement thermique. Selon un rapport publié au mois de novembre dernier par le cabinet McKinsey, l’Union européenne est en tête pour les motorisations hybrides et électriques. Les États membres de l’Union sont eux-mêmes responsables de plus d’un quart de la production mondiale de véhicules électriques et en sont également les principaux importateurs mondiaux. 

L’Union européenne et les États membres financent la réalisation de grandes usines de production de batteries.

L’Union européenne dispose actuellement de 300 000 bornes. Il en faudra 6,8 millions d’ici 2030.

Le principal problème auquel est confronté l’acheteur d’un véhicule électrique en Europe est l’accès aux bornes de recharge qui ne suit pas le rythme de l’augmentation des ventes de véhicules. Entre 2016 et 2022, les ventes de voitures électriques en Europe ont augmenté presque trois fois plus vite que le nombre de bornes de recharge. L’Union européenne dispose actuellement de 300 000 bornes. Il en faudra 6,8 millions d’ici 2030 selon Mc Kinsey. 

Chaque semaine, il faudra installer jusqu’à 14 000 bornes de recharge publiques quand aujourd’hui, on en compte seulement 2 000. Ces bornes devront être réparties convenablement sur tout le territoire. En 2022, la moitié de tous les points de recharge de l’Union se trouvent aux Pays-Bas (90 000) et en Allemagne (60 000). Un pays comme la Roumanie, qui est six fois plus grand que les Pays-Bas, ne compte que 0,4 % de tous les points de recharge de l’Union. 

De la même façon que réserver des stations d’essence à tel ou tel constructeur semble inimaginable, les systèmes de fonctionnement et de paiement des bornes devront être harmonisés afin de permettre à tous les véhicules d’être rechargés. L’électrification du parc automobile est cantonnée pour le moment au sein des pays de l’Europe du Nord et de l’Ouest où le revenu moyen après impôt est de 32 000 euros par an.

Les gouvernements multiplient les subventions pour inciter les ménages à passer le cap

En Europe du Sud et de l’Est, où la moyenne des revenus est inférieure de 50 %, l’acquisition d’un modèle électrique est compliquée. Les gouvernements espèrent beaucoup de la chute des prix mondiaux du lithium et d’autres matériaux nécessaires à la production de batteries. Ils multiplient les subventions pour inciter les ménages à passer le cap. Les économies d’échelle attendues grâce à une production en augmentation rapide et à la concurrence féroce entre les constructeurs, en particulier ceux en provenance de Chine, devrait provoquer une baisse significative du prix des véhicules électriques. D’ici 2025 ou 2026, la plupart des constructeurs automobiles sont censés construire des voitures électriques et à essence pour le même prix. À l’heure actuelle, il faut compter entre 3 500 et 5 000 euros de moins pour construire une Golf à essence, qu’un véhicule électrique de taille équivalente. 

Ces dernières années, les constructeurs ont préservé leurs marges afin de pouvoir passer d’importants budgets de recherche et financer les investissements nécessaires pour l’électrification de leur gamme. Depuis le début de l’année 2023, en raison d’une concurrence accrue, des constructeurs comme Tesla ont décidé de réduire leurs prix.

Plusieurs constructeurs doutent de la capacité des États à respecter les objectifs de la Commission. 

Pour les réseaux des bornes, la Commission européenne a fixé des objectifs clairs. Tous les véhicules pourront se recharger sur des bornes ayant une puissance de sortie d’au moins 1,3 kilowatt (kW). Tous les 60 kilomètres, des solutions de charge devront être disponibles. Afin de raccourcir les délais de charge, la Commission demande aux États membres de mettre en place un réseau de bornes rapides d’une capacité totale d’au moins 150 kW à partir de 2025. 

Plusieurs constructeurs doutent de la capacité des États à respecter les objectifs de la Commission. Face aux déficits d’infrastructures, ils entendent créer leur propre réseau sur l’exemple de Tesla. En janvier, Mercedes a annoncé la mise en place de 10 000 chargeurs dans le monde d’ici la fin de la décennie. 

L’accélération de l’électrification du parc de véhicules est indispensable pour respecter les engagements européens en matière de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Dans le cadre de son plan « Fit for 55 » en cours de finalisation, la Commission européenne en juillet 2021, a annoncé une réduction des émissions de 55 % (par rapport aux niveaux de 1990) d’ici 2030, la réduction initiale adoptée en 2011 était de 40 %. Le transport est l’une des clés du succès de ce plan. Il représente, en effet, 22 % des émissions totales de l’Union. 70 % de ces émissions proviennent du transport routier. Ce dernier est le seul secteur à avoir connu une hausse de ses émissions de gaz à effet de serre depuis 1990, de 30 %.

Importantes tensions entre les États membres 

L’interdiction des véhicules à moteur thermique a donné lieu à d’importantes tensions entre les États membres. L’Allemagne a insisté pour autoriser la construction de voitures thermiques après 2035, à condition qu’elles soient alimentées par des carburants neutres en carbone. 

De même, le gouvernement italien s’oppose désormais à la Commission au sujet de l’amélioration de l’isolation et de l’efficacité énergétique des bâtiments publics et résidentiels. Les bâtiments représentent environ 40 % de la consommation d’énergie de l’Union et 36 % de ses émissions de gaz à effet de serre. L’Italie est plus exposée que les autres États membres à cette problématique car son parc de logements est plus ancien et plus délabré. L’association italienne du bâtiment affirme que plus de 2 millions de bâtiments devront être rénovés au cours des dix prochaines années pour un coût total atteignant 60 milliards d’euros par an.

Le marché des quotas d’émission  

Pour limiter les émissions, l’Union européenne compte également sur le système européen d’échange de quotas d’émission (ETS). L’ETS est un système de plafonnement et d’échange dans lequel les permis d’émission de carbone sont attribués à l’aviation, aux industries à forte intensité énergétique et aux producteurs d’électricité. Ils peuvent ensuite être échangés entre les participants de ce marché. Pour le moment, du fait de quotas généreux, ce marché n’a pas donné des résultats probants. Son durcissement pourrait changer la donne et conduire des entreprises à changer leur process de production. 

Les nouvelles taxes aux frontières de l’Union pour les importations à forte intensité de carbone, telles que les matériaux industriels, sont également en cours de finalisation. Ces taxes sont de nature protectionniste et pourraient accélérer par ailleurs la segmentation de l’économie mondiale. 

Un bouleversement des rapports de force économiques

Les États européens travaillent également sur le fonds social pour le climat afin de soutenir les ménages les plus modestes et les PME pour réduire le coût de leur transition énergétique. L’Union européenne aspire à devenir le bon élève voire le meilleur élève de la classe mondiale en matière de neutralité carbone. Elle est challengée par les États-Unis qui sont certes partis en retard, avec les tergiversations de Donald Trump sur le sujet, mais qui entendent le rattraper avec l’Inflation Reduction Act. 

La Chine compte sur la puissance de son industrie et sa richesse en terres rares pour imposer ses produits et ses techniques au reste du monde. La compétition engagée est féroce car elle provoque un bouleversement des rapports de force économiques tel que nous ne l’avons pas connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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