La croissance, une question de sucre et de café

La croissance, une question de sucre et de café

À la fin de l’année dernière, les États-Unis ont été confrontés à un manque de médicaments pour traiter le trouble de l’hyperactivité, en particulier l’Adderall (une amphétamine) et le Ritalin (un stimulant du système nerveux central). Neuf pharmacies sur dix ont signalé des pénuries aux autorités sanitaires qui ont occasionné des problèmes à des dizaines de millions de patients. Au même moment, la productivité américaine, une des plus élevées au monde, a baissé de 3 %. Y aurait-il un lien de causalité ? Faute d’accès aux médicaments, les Américains seraient-ils devenus moins productifs ? Cette analyse nous invite à revoir la croissance sous l’angle des stimulants, une question de sucre et de café ?

En 2021, plus de 80 000 Américains sont morts d’overdoses d’opioïdes.

La consommation de substances psychotropes est de plus en plus considérée comme un frein à la prospérité. Selon une estimation de 2007, le coût de la toxicomanie aux États-Unis s’élèverait à 193 milliards de dollars, soit environ 1,3 % du PIB. Plusieurs économistes et démographes américains soulignent régulièrement que la consommation de drogues aux États-Unis a contribué à la baisse de l’espérance de vie et à une moindre croissance. 

En 2021, plus de 80 000 Américains sont morts d’overdoses d’opioïdes. Les addictions génèrent des dépenses de santé et des pertes de recettes du fait de décès précoces. Mais cette vision contemporaine doit être relativisée. Les stimulants sont utilisés depuis la nuit des temps pour améliorer la productivité. 

La consommation du sucre et du café jouerait un rôle positif en matière économique en augmentant la force physique et mentale tout en facilitant la concentration. La révolution industrielle à partir de 1750 a été rendue possible grâce à une amélioration de l’apport énergétique. L’augmentation des rendements agricoles a permis de nourrir convenablement une part plus importante de la population. 

Un analgésique stupéfiant très puissant appartenant à la famille des opiacés (Toby Talbot/AP/SIPA)

La diffusion du sucre a été un facteur non négligeable du décollage économique

En outre, les gains de productivité de l’agriculture ont libéré une partie de la main-d’œuvre disponible qui a pu s’investir dans l’industrie. Robert Fogel, économiste lauréat du prix Nobel, estime que la diffusion du sucre a été un facteur non négligeable du décollage économique. Les importations de sucre des colonies britanniques auraient également contribué à améliorer les capacités énergétiques de la population. 

Au Royaume-Uni, la consommation annuelle de sucre par personne est passée d’environ 5 livres par an en 1700 à 20 livres en 1800. Après 1800, les importations ont fortement augmenté. Le sucre est devenu alors un enjeu majeur de la géopolitique. Le blocus napoléonien a conduit les Français à développer le sucre de betteraves. 

En France, à la fin du XVIIIe siècle, environ 10 % des personnes ne pouvaient pas travailler faute de nourriture. En Grande-Bretagne, en revanche, ce taux était alors de 3 %. Robert Fogel a ainsi noté que la croissance du PIB britannique était sept fois plus rapide que celle de la France. L’augmentation de l’énergie disponible pour le travail des personnes actives serait responsable d’environ un tiers de la croissance économique de la Grande-Bretagne aux XIXe siècle.

Le café, un catalyseur des énergies et un facteur d’échanges 

De son côté, le café a été un catalyseur des énergies en améliorant la concentration et en étant un facteur d’échanges. La consommation de café s’est accompagnée de l’ouverture de nombreux établissements – bars, cafés, restaurants, etc. – qui sont autant de lieux de convivialité. Ils permettent la diffusion des connaissances et sont propices au lancement de projets et d’innovations. 

L’économiste Joel Mokyr de la Northwestern University a souligné l’importance d’une « culture de la croissance » pour expliquer l’industrialisation de l’Europe. Au cours de cette période, la science est devenue moins académique et plus axée sur la résolution de problèmes du monde réel. 

Les cafés, que certains appelaient à l’époque des «universités à un sou», ont joué un rôle crucial dans la diffusion du progrès technique. Au début du XVIIIe siècle, le centre de Londres comptait jusqu’à 600 cafés. Le Marine Coffee House à Londres a été l’un des premiers lieux pour une série de conférences sur les mathématiques. Le London Chapter Coffee House était le lieu de rencontre préféré des membres de la Royal Society. Il réunissait les intellectuels et les savants britanniques. 

Scientifiquement, il a été prouvé que la caféine augmentait à la fois l’attention sélective et l’attention soutenue quand l’alcool générait une euphorie de court terme à tendance dépressive.

Le café, symbole de ce monde de travailleurs devant se lever tôt 

L’industrialisation a obligé les travailleurs à respecter des horaires afin d’être au même moment sur leur lieu de travail. Les ouvriers se doivent d’être à l’heure faute de quoi les chaînes de production ne peuvent pas tourner. Le café est devenu un symbole de ce monde de travailleurs devant se lever tôt. 

La consommation de drogues comme la cocaïne, qui est un stimulant, est aujourd’hui fortement dénoncée en raison de ses conséquences pour la santé. La surconsommation de sucre est également devenue un problème de santé publique avec le développement de l’obésité et du diabète. La réduction de l’apport calorifique est devenue une priorité pour éviter l’apparition de maladies chroniques. 

Ironie de l’histoire, l’industrialisation rendue possible par l’amélioration de l’alimentation a généré une société où cette dernière est devenue un problème.

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