La coordination européenne contre le terrorisme s’accélère, sous l’impulsion de la France

La coordination européenne contre le terrorisme s’accélère, sous l’impulsion de la France

Il y a cinq ans jour pour jour, plus de 130 personnes ont trouvé la mort en plein Paris et en banlieue à la suite d’une attaque terroriste coordonnée et revendiquée par Daesh. Alors que la France a de nouveau été frappée par plusieurs attentats, la coordination européenne apparaît plus que jamais nécessaire.

Organiser la riposte européenne. C’est le mot d’ordre du président de la République Emmanuel Macron, qui est apparu très soutenu par ces partenaires du bloc mardi (10 novembre). Ciblée par plusieurs attaques terroristes ces dernières semaines précédant ce triste « anniversaire » des attentats du 13 novembre 2015, la France est montée au créneau afin d’accélérer la mise en œuvre de plusieurs mesures à l’échelle européenne.

Le chef de l’État a vite été secondé par le chancelier autrichien Sebastian Kurz, à la suite de l’attaque survenue à Vienne le 2 novembre. Les deux hommes se sont ainsi rencontrés à l’Elysée. La chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre hollandais Mark Rutte, les présidents de la Commission européenne et et du Conseil européen Ursula von der Leyen et Charles Michel ont également répondu présent.

Réformer Schengen, une priorité

Développement des bases de données communes, coopération entre les polices européennes, renforcement du dispositif pénal, parachèvement du dispositif PNR (données des passagers aériens), autant de mesures essentielles selon le président français. « Toute faille de sécurité à la frontière extérieure ou dans l’un des États membres est un risque de sécurité pour tous les États membres », a-t-il martelé, insistant ainsi sur la cause commune qu’est la lutte contre le terrorisme.

M. Macron a également indiqué que la France proposerait « dans les prochains jours » un projet de réforme de l’espace Schengen. « Il ne faut pas confondre la lutte contre l’immigration clandestine et celle contre le terrorisme, mais il nous faut regarder lucidement les liens qui existent entre ces deux phénomènes », a-t-il souligné, rappelant que le dernier attentat de Nice a été perpétré par un ressortissant tunisien arrivé illégalement sur le territoire européen, via l’Italie.

L’espace de libre circulation reste « un des principaux acquis de la construction européenne », mais celui-ci repose sur « une promesse de protection des frontières extérieures qui n’a pas été suffisamment tenue »« Nous l’avons vu au printemps dans le contexte pandémique,  nous le voyons aujourd’hui avec le  terrorisme », a-t-il ajouté.

Le dirigeant de l’Hexagone a en outre appelé de ses vœux la création d’un « véritable Conseil de sécurité intérieure » et entend mettre fin  au dévoiement du droit d’asile, observé selon lui dans tous les pays  européens. Dédié aux  « combattants de la paix », de nombreuses personnes y font appel et « obtiennent des visas », alors qu’elles viennent de pays « qui ne sont pas en guerre ».

Ces mesures seront discutées lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre.

Menaces endogènes

Auditionné jeudi (12 novembre) au Sénat, le coordinateur de l’Union Européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, en poste depuis 2007, estime qu’aujourd’hui l’essentiel de la menace est de type endogène ; le danger émane de personnes basées en Europe qui n’ont pas de lien formel avec Daesh ou Al-Qaïda, mais qui sont inspirées par leur idéologie.

« Daesh n’a plus les moyens et la capacité aujourd’hui de projeter des attentats comme ils ont pu le faire au Bataclan ou à Bruxelles. Il en a certes la volonté et l’organisation est loin d’être complétement défaite quand on voit la prolifération des franchises et des groupes régionaux ».

Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union Européenne pour la lutte contre le terrorisme

Selon lui toutefois, la radicalisation se fait aujourd’hui majoritairement sur internet et en prison. « Il y a  quelque chose de plus spontané, qui rend la prévention des attentats d’autant plus difficile par les services de renseignement », observe-t-il.

Le coordinateur a également alerté quant aux « plusieurs centaines d’européens, hommes, femmes et enfants, détenus par les Kurdes dans des conditions de détention épouvantables et ou la radicalisation se développe ».

Les États membres refusent actuellement une position européenne commune sur la question du rapatriement. En l’espèce, la position du gouvernement français reste pour l’heure que les combattants doivent être jugés sur place. Une négociation est en cours avec l’Irak.

Mais l’option fait débat, plusieurs voix s’élevant pour que ces personnes soient jugées en France, afin notamment de rendre leur surveillance plus simple.

« En attendant qu’une solution se dessine, il faut que nous puissions réduire le processus de radicalisation dans ces camps, surtout à l’égard des enfantsAfin qu’ils ne reviennent pas en France la haine au cœur ». 

Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union Européenne pour la lutte contre le terrorisme

Selon des chiffres publiés fin octobre par l’Institut Egmont, entre 150 et 200 djihadistes français – environ 60 hommes et 80 femmes – étaient incarcérés en Syrie et entre 200 et 250 enfants.  14 personnes étaient, elles, détenues en Irak. D’après d’autres chiffres relayés par France 3, 150 djihadistes français étaient toujours en liberté en janvier et 335 considérés comme disparus. Les services de renseignement avaient également dénombré 25 orphelins.

Des mesures volontaires qui ne suffisent plus

L’Union européenne devra aussi prendre à bras le corps la problématique de la haine sur internet, un canal de diffusion central de la propagande terroriste. La législation visant à garantir que les contenus terroristes soient retirés du web dans l’heure a été proposée il y a plus de deux ans.  « Le Parlement européen et le Conseil négocient toujours le texte. Nous leur demandons instamment de parvenir rapidement à un accord », a indiqué la Commission à Euractiv France. 

Si des difficultés autour de l’appréciation de la liberté d’expression, entre autres, ralentissent le processus, le président français estime également que ce règlement « doit absolument être adopté dans les semaines à venir ». 

En 2015, l’exécutif européen avait notamment lancé le Forum Internet de l’UE, avec des gouvernements, Europol et des grandes entreprises de technologie et de médias sociaux. Certaines d’entre elles s’étaient engagées à travailler sur ces questions, mais sur une base volontaire.

Une base de données de hachage, un système qui permet de donner une empreinte numérique aux contenus haineux afin d’empêcher leur réapparition, avait été mise au point et recense actuellement plus de 300 000 vidéos et images à caractère terroriste.

« Ces mesures ont permis d’obtenir des résultats positifs, mais elles ne sont pas suffisantes », constate Bruxelles.

Une lutte idéologique et théologique qui tue une majorité de musulmans

Alors que Charles Michel a appelé le 9 novembre à la création d’un Institut européen de formation des imams, le président français avait annoncé début octobre la fin du dispositif des imams détachés. Ils seraient actuellement environ 300 à exercer sur le territoire, venant de Turquie, du Maroc et d’Algérie.

À la demande du chef de l’État, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) devra également finaliser d’ici à six mois une labellisation des formations d’imams ainsi qu’une charte dont le non-respect entraînera leur révocation.

Néanmoins, le terrorisme ne touche pas que l’Occident, loin s’en faut : 91,2 % des décès provoqués par des attentats islamistes sont enregistrés dans des pays musulmans, montre un étude  de la Fondation pour l’innovation politique, couvrant les attentats sur la période 1979-2019.

« Il ne s’agit pas d’un conflit entre l’islam et le christianisme », a souligné Mme Merkel lors de la conférence du 10 novembre, « mais du fait que notre modèle social démocratique doit faire face à des comportements terroristes et antidémocratiques ».

Les attentats perpétrés par des militants d’extrême-droite tels que l’attaque d’Avignon fin octobre ou l’attentat de Christchurch en 2019 sont aussi à intégrer dans les réflexions, car la haine n’a intrinsèquement ni religion ni raison.

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