La CIA, toujours aussi riche et inutile.

On raconte souvent cette histoire sur Georges Tenet,  directeur de la Cia sous Clinton et Bush : Sortant d’une réunion, un de ses collaborateurs lui signale que sa braguette est ouverte. « Enfin une information utile », s’écrit-il. La Communauté du Renseignement américaine (Intelligence Community), qui déborde largement la CIA, publie environ 50.000 rapports par an. Mais à en croire les dirigeants américains et les rapports du Sénat, elle n’a jamais anticipé quoi que ce soit (sauf peut-être l’assassinat de Kennedy, pour ceux qui croient qu’elle fit partie de la conjuration).

Cuba, l’Iran et le 11 septembre sont des rappels traumatisants. La chute de l’Empire soviétique fut aussi une surprise. Comme, plus récemment, les Printemps arabes.

A quoi servent les milliards de la CIA ? Difficile de savoir combien elle dispose. Le sait-elle ? Les estimations, pour l’ensemble de la Communauté du Renseignement, seraient de près de 100 milliards de dollars, dont la CIA représenterait une belle part, même si l’essentiel va à des sous-traitants du renseignement.

Au Koweït, en Irak, Syrie, Afghanistan, Lybie, Egypte, Soudan, Yémen, elle s’est toujours trompée. On veut bien croire que l’Orient est compliqué et qu’on se prend facilement les pieds dans le tapis. Daniel Ortega, toujours en place, pourrait rappeler que la Cia avait organisé des ventes d’armes illégales en faveur de l’Iran, pour le démettre.

L’actuelle directrice de la CIA, qui a succédé à Mike Pompeo, devenu Secrétaire d’Etat, a défendu l’usage de la torture devant le Sénat (même si la Cia a toujours nié en avoir fait usage). La lutte contre le terrorisme a effectivement conduit la CIA à créer des prisons secrètes, avaliser la torture et perpétrer 2500 assassinats ciblés. Même sans parler de morale ou de législation, on reste stupéfait par la débauche de moyens engagés dans les prisons à l’étranger, dans le recrutement de « psychologues- interrogateurs » mieux payés que des prix Nobel, au regard du peu d’informations obtenus par ces moyens. Peut-on dire qu’elle a gagné la guerre contre le terrorisme? Elle ne le prétend même pas.

Si l’on se tourne vers l’Asie, on reste perplexe quant aux renseignements obtenus sur la Chine ou la Corée du Nord, sur l’éloignement de l’Inde.  Elle se vanterait d’avoir fait échouer (à demi) les Français dans la vente des Rafales. Ils sont quant même vendus. Si l’on regarde l’Amérique latine, on s’interroge sur la résistance des régimes Ortega, Maduro sans parler du Castrisme. Si l’on s’intéresse à la Russie, on s’inquiète pour la Géorgie, l’Ukraine ou la Crimée. Ailleurs non plus, la Cia n’a rien vu venir. Ni au Brésil, ni au Qatar, ni en Turquie, ni à Hong Kong, ni en Afrique, où on ne peut être qu’épaté par ses échecs au Mozambique, au Soudan et à l’extension des cartels en Afrique de l’Ouest.

Donald Trump avait commencé par dire de la Cia qu’elle utilisait « des méthodes de nazis ». Avant de lui accorder sa première visite présidentielle et de déclarer qu’il était à 1000% avec ses agents. Se rappelle-t-il que la CIA, dés 2007, écrivait que le Programme nucléaire militaire iranien était abandonné ? Une agence de renseignement quand elle n’a pas de politique ne sait où elle va. Or elle a des moyens extraordinaires, extraordinairement dangereux, utilisés sans boussole.  Elle avait créé Ben Laden, que va-t-elle créer demain ?

Ce qu’apprend la CIA, c’est à échapper à tout contrôle, celui de la Maison blanche ou du Sénat. Elle passe plus de temps à conforter sa bulle qu’à produire de l’analyse et de l’information. Dramatique cécité, car les Etats-Unis -et le monde- se porteraient mieux avec de l’ « intelligence ».

Tous les pays qui ont des intérêts dans le monde ont besoin de « renseignements » – et d’actions. Cela coûte généralement peu. En France, l’ensemble des agents des différents services représentent 12.000 personnes, à peu près comme en Allemagne ou au Royaume-Uni. Le FSB russe est à part : Il est surtout à usage interne. On est loin d’un personnel estimé à plus de cent mille agents pour la CIA (tout dépend comment on compte avec les sous traitants) et pour l’ensemble du monde du renseignement à plus d’un million de personnes « accréditées ».

Avec des agences efficaces, en Syrie, on aurait pu éviter des milliers de morts. Sans financer  Al Nostra. Au Yémen aussi. En Lybie peut-être. Et au Venezuela, quand on entend Maduro crier au complot de la CIA et au coup d’Etat déjoué, beaucoup se prennent à rêver et à se dire : si seulement !

Mais non : Ils coûtent cher, ne servent à rien, et sont utilisés par leurs ennemis comme des arguments de propagande. On a envie de leur crier : « attention, votre braguette est ouverte ». Mais ce serait prendre un risque. Dieu sait ce qu’ils en déduiraient.

J’ai été au Pentagone quelques jours après le 11 septembre. J’ai été Rapporteur du Secrétariat général de la Défense nationale, qui couvre les services de renseignements. Les agences de renseignement sont indispensables. Elles doivent être sous contrôle. Leurs priorités doivent être fixées par les dirigeants politiques. Tout autre système devient coûteux, inefficace et dangereux.

Aujourd’hui, la collecte et le traitement des data sont l’exclusivité d’entreprises chinoises ou américaines. Sans impact pour « l’intelligence » ? A supposer que nos amis américains travaillent avec nous, pourquoi deviendraient-ils efficaces?

Anticiper, c’est le rôle de ces agences de renseignement. Avons-nous anticipé, en France et en, Europe, leur avenir ? Avec tous ses moyens, la CIA est aveugle. Sans moyens, nous le serons aussi.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

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