Alors que les États membres de l’Union européenne sont les plus avancés en matière d’État de droit dans le monde, notamment parce que l’État de droit est en recul un peu partout, au sein de l’UE, la Bulgarie et la Slovénie ont réalisé les progrès les plus importants en 2023, tandis que l’État de droit s’est le plus dégradé en Grèce et en Belgique, selon un nouveau rapport du World Justice Project.
En bref :
- 14 des 27 États membres de l’UE ont régressé entre 2022 et 2023.
- La Bulgarie s’est classée au premier rang mondial en termes de progression (+1,7 %), tandis que la Slovénie s’est classée au quatrième rang (+1,6 %). La Bulgarie utilisera probablement ce résultat pour inciter l’Autriche et les Pays-Bas à lever leur veto à son intégration à l’accord de Schengen.
- En ce qui concerne les progrès, la Grèce et la Belgique sont les plus mauvais élèves de l’UE, puisqu’elles ont respectivement régressé de 1,4 % et de 1 % par rapport à 2022.
- La Hongrie n’a baissé que de 0,2 % par rapport à sa note de 2022, accumulant une baisse de 9,9 % depuis 2016, se classant plus bas que les pays des Balkans qui aspirent à intégrer l’UE.
- La Pologne a baissé de 0,6 % par rapport à 2022, accumulant une baisse de 11 % depuis 2016.
Pente glissante
Selon le rapport, 78 % des pays du monde ont connu un recul de l’État de droit depuis 2016, les assemblées législatives, le pouvoir judiciaire et la société civile ayant perdu du terrain dans leur capacité de contrôle du pouvoir exécutif à l’échelle mondiale. Les scores de l’indice de contrôle gouvernemental et de l’équilibre des pouvoirs ont chuté dans 74 % des pays au cours des sept dernières années.
Même si l’UE reste un bastion de l’État de droit, les États européens ayant moins régressé que les pays d’autres régions, 14 États membres ont enregistré une baisse de l’indice entre 2022 et 2023.
L’indice de l’État de droit est basé sur des évaluations des systèmes juridiques des pays, de la transparence du gouvernement, des contraintes pesant sur le gouvernement, de l’évaluation du respect des droits fondamentaux, de l’ordre et de la sécurité, et enfin de l’application de la loi.
Les champions de l’UE
La Bulgarie, qui avait la deuxième plus mauvaise note de l’UE (0,56 sur 1) en 2023, est en tête du classement en ce qui concerne les progrès de l’État de droit, avec une augmentation de 1,7 % par rapport à 2022 et une croissance dans tous les domaines, à l’exception de l’application de la loi.
Actuellement candidate à l’entrée dans l’espace Schengen, la Bulgarie pourrait utiliser ce classement pour faire pression sur les États qui posent leur veto à son intégration, dont l’Autriche et les Pays-Bas, qui citent tous deux les préoccupations relatives à l’État de droit comme les arguments phares justifiant leur blocage.
Dans le même temps, ces bonnes nouvelles stabiliseront les positions de la coalition réformiste pro-UE au sein du parlement bulgare, qui se bat pour poursuivre les réformes.
L’amélioration du système judiciaire et de son indépendance peut être attribuée aux réformes radicales qui ont été lancées au printemps et qui concernent principalement les procureurs.
Les partis pro-UE de Sofia, avec le soutien de l’ancien ministre de la justice réformateur Krum Zarkov, ont réussi à limoger le procureur général de Bulgarie, Ivan Geshev, autrefois intouchable.
La Bulgarie prévoit également de nouvelles réformes constitutionnelles d’ici la fin de l’année, notamment en ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature et le Parquet. Le pays devrait également donner aux citoyens un accès direct à la Cour constitutionnelle.
La Slovénie, quant à elle, arrive en quatrième position en termes de progrès annuel, avec une augmentation de 1,6 % entre 2022 et 2023 et une croissance dans tous les domaines. Elle obtient actuellement une note de 0,69 sur 1.
Sous le précédent gouvernement de droite, la Slovénie a subi de sérieux revers en ce qui concerne l’indépendance institutionnelle, la liberté des médias et le système judiciaire. Un nouveau gouvernement progressiste a été formé en 2022, dont le principal parti a promis pendant la campagne électorale de mettre fin à ce recul et de rétablir l’État de droit.
En juillet dernier, le gouvernement a adopté une loi polyvalente abrogeant 11 lois de l’exécutif précédent et, peu après, a rétabli le financement de l’Agence de presse slovène (STA), un point litigieux dans les derniers rapports de l’UE sur l’État de droit.
Plus récemment, le gouvernement a également proposé des changements constitutionnels en vertu desquels le parlement ne peut plus nommer les juges.
La liste des mauvais élèves
Parmi les États membres de l’UE qui ont régressé, la Grèce arrive en tête.
Alors que les législateurs européens soulignent depuis des années que l’État de droit en Grèce se trouve dans la « zone dangereuse », l’indice indique une baisse de 1,4 % depuis 2022 et de 0,4 % depuis 2016. Le pays se classe actuellement au troisième rang le plus bas de l’UE avec une note de 0,61, la plus forte régression étant enregistrée dans les domaines de la justice civile et pénale, avec une diminution respective de 2,2 % et 4,3 % par rapport à 2022.
Le système judiciaire grec a été continuellement évoqué dans les rapports annuels de l’UE sur l’État de droit. Le rapport 2023 a constaté une détérioration de l’accès à la justice et a indiqué que des changements étaient nécessaires, notamment une réforme du mode de nomination des hauts magistrats afin de préserver leur indépendance.
L’exemple le plus récent est le très controversé « Watergate grec», un scandale d’écoutes téléphoniques dans lequel les téléphones de plusieurs personnalités politiques, des affaires et journalistes ont été mis sur écoute par le logiciel espion illégal Predator.
Bien que le scandale ait éclaté en juillet 2022, la justice grecque n’a jusqu’à présent obtenu aucun résultat dans son enquête. Les partis d’opposition affirment qu’une pression continue est exercée sur la justice pour couvrir les responsables du scandale.
Le score de la Belgique a baissé de 1 % par rapport à 2022 dans tous les domaines, en particulier en ce qui concerne la justice civile, l’application de la réglementation et l’ouverture du gouvernement. Cependant, elle reste l’un des pays les mieux notés avec un score de 0,78 en 2023.
Cela peut s’expliquer par la longueur des procédures civiles et le caractère restrictif de la loi sur les manifestations en Belgique.
Selon le rapport 2023 de l’UE sur l’État de droit, la Belgique ne respecte pas non plus systématiquement les décisions de justice, n’analyse pas l’efficacité de son système judiciaire et présente des lacunes en matière de transparence.
Qu’en est-il des suspects habituels ?
La Hongrie et la Pologne, les deux pays dont le score en matière d’État de droit est depuis longtemps en baisse, ne sont pas directement mentionnées dans le rapport, bien que celui-ci mette en lumière les tendances à long terme dans ces deux pays.
La Hongrie a perdu 0,2 % par rapport à sa note de 2022 et accumule une régression de 9,9 % par rapport à sa note de 2016 pour atteindre un taux total de 0,51 en 2023 – le plus bas de l’UE.
Avec une note de 0,51, la Hongrie se classe en dessous des pays candidats à l’UE dans les Balkans, notamment le Monténégro (0,56), la Moldavie (0,53) et la Macédoine du Nord (0,53). La Hongrie est également moins bien notée que le Kosovo (0,56) et la Géorgie (0,60), deux pays qui aspirent à entamer le processus d’adhésion à l’UE.
Pour sa part, la Pologne a perdu 0,6 % depuis 2022 et accumulé une baisse de 11 % depuis 2016, avec un taux actuel de 0,64 – au-dessus de la Hongrie, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Croatie et de la Grèce.
Étant donné les récentes élections qui ont donné une majorité aux forces pro-UE, la note de l’État de droit de la Pologne devrait probablement s’améliorer de manière significative au cours de l’année à venir.
[Contributions de Krassen Nikolov, Sebastijan R. Maček et Anne-Sophie Gayet.]