Alors que la Belgique a pris, ce 1er janvier, la présidence tournante du Conseil de l’UE, le Premier ministre Alexander De Croo et la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib affirment que l’expérience acquise par le pays au niveau national en matière de compromis politiques guidera l’Union européenne à travers les nombreux défis de la période préélectorale.
Il a fallu 16 mois de négociations aux Belges pour former le gouvernement actuel. La coalition au pouvoir, dirigée par le Premier ministre Alexander De Croo et formée en septembre 2020, est surnommée la « Vivaldi » et est composée de sept partis appartenant à quatre familles politiques : les socialistes, les libéraux et les verts wallons et flamands, mais également les chrétiens-démocrates flamands.
De la complexité du paysage politique et du système de gouvernance du pays est né le « compromis à la belge » — cette volonté inlassable de trouver un accord grâce à un savant dosage de concessions faites par les différentes parties, et ce quelle que soit la difficulté au départ. Et c’est justement ce dont l’UE aura besoin durant les six mois précédant les élections européennes de juin, a déclaré la ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib à la presse lundi (8 janvier) au palais d’Egmont.
« Nous, les Belges, nous trouvons toujours une solution, » affirme Mme Lahbib.
Toutefois, les Belges ne disposent que d’environ quatre mois sur les six mois de la présidence pour clore autant de dossiers que possible, puisque la fenêtre pour conclure un compromis avec le Parlement européen – co-législateur du Conseil de l’UE – sur les quelque 150 dossiers encore en suspens s’achève fin avril avec la dernière plénière de l’hémicycle.
« Nous sommes habitués à cela, nous sommes habitués à nous attaquer à beaucoup de choses dans des délais serrés, c’est souvent le cas dans la politique nationale et au sein des régions également », a déclaré M. De Croo à la presse.
Une diversité bénéfique
La Belgique dispose d’un système de gouvernance complexe à plusieurs niveaux, avec trois gouvernements régionaux — Bruxelles, Wallonie et Flandre — supervisés par le gouvernement fédéral et plus de 10 partis politiques représentés au parlement fédéral. En plus de cela, on compte également des gouvernements pour les communautés germanophones et francophones.
Ce système est administré dans les trois langues officielles du pays : le néerlandais, le français et l’allemand.
M. De Croo et Mme Lahbib affirment que cette diversité territoriale et linguistique fait de la Belgique le parfait conciliateur de l’UE.
Le gouvernement fédéral belge a intégré sa réalité territoriale complexe en désignant des ministres régionaux pour présider certaines formations du Conseil.
Le ministre de la région de Bruxelles-Capitale, Alain Maron, sera par exemple chargé des dossiers environnementaux, tandis que les ministres wallons s’occuperont de l’aménagement du territoire, du logement, du tourisme et de la recherche et du développement, et les ministres flamands de l’industrie, de la pêche, de la culture, de la jeunesse et des médias.
Et les ministres ont du pain sur la planche, à commencer par les dossiers clés du Pacte Vert pour l’Europe (Green Deal) tels que le règlement pour une industrie « zéro net » et le règlement sur les emballages et les déchets d’emballages, en passant par la révision du budget de l’UE et la réforme controversée des règles budgétaires de l’Union.
Vendredi dernier (5 janvier), lors de l’inauguration officielle de la présidence belge, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a souligné que la présidence belge sera la « ligne d’arrivée » pour de nombreux dossiers qui doivent être clôturés sous ce mandat.
Elle a également déclaré compter sur les talents des « sprinters » belges pour « gagner le « sprint final ».
Remaniements et course aux top jobs
Outre les textes législatifs en suspens, la présidence belge du Conseil sera confrontée à d’autres défis.
En effet, la présidence belge pourrait avoir à composer avec le départ prématuré de plusieurs hauts responsables cherchant à s’assurer un avenir politique.
À ce jour, pas moins de six commissaires européens ont quitté leur poste ou ont manifesté leur intention de le faire.
Plus récemment, Charles Michel, président du Conseil européen — l’institution qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement des États membres —, a annoncé qu’il se présenterait aux élections européennes. Il a également fait savoir qu’il quitterait son poste en juillet, soit bien avant la fin de son mandat, qui devait initialement s’achever en novembre, s’il devait être élu.
Cette annonce a fait craindre que la tête de cette institution soit, temporairement du moins, entre les mains du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, dont le pays assurera la présidence tournante du Conseil de l’UE au second semestre de l’année car, conformément aux procédures en vigueur dans l’Union, le dirigeant du pays assurant la présidence doit occuper le poste jusqu’à ce qu’il soit officiellement pourvu.
L’une des principales tâches de M. Michel à la tête du Conseil européen a été de superviser les sommets des dirigeants de l’UE, des réunions qui sont devenues essentielles pour trouver des réponses communes et cohérentes à diverses crises, notamment la pandémie de Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Peu de dirigeants européens seraient satisfaits de voir Viktor Orbán (président du parti nationaliste hongrois Fidesz) diriger ces réunions cruciales. En effet, l’homme fort de la Hongrie, qui cultive des liens étroits avec le président russe Vladimir Poutine et qui est largement accusé d’avoir sapé la démocratie et l’État de droit dans son pays, a également été accusé au fil des années d’avoir pris en otage l’UE dans certaines décisions.
En décembre, il a notamment bloqué l’aide à l’Ukraine, après une concession sur l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE avec le pays en guerre.
Interrogé sur l’annonce de Charles Michel, Alexander De Croo n’a pas semblé inquiet, car « c’est ce que font les responsables politiques, participer aux élections », a-t-il déclaré. En outre, M. De Croo est convaincu que les compétences qu’il a développées en politique belge l’aideront à obtenir un consensus parmi les 27 dirigeants, concernant l’aide à l’Ukraine, entre autres.
« Ai-je des messages à transmettre à Viktor Orbán ? Oui, mais je les lui transmettrai directement et non par l’intermédiaire de la presse, car je pense que quand il y a trop de communication et de lettres ouvertes, cela complique les choses », a ajouté le dirigeant belge.
La vision de la Belgique pour l’avenir
Après le mois d’avril, la présidence belge aura tout le temps de se concentrer sur l’élaboration des priorités pour le prochain cycle législatif qui débutera après les élections européennes, et qui, selon les Belges, devrait se concentrer sur la transition écologique et le renforcement de la compétitivité de l’industrie européenne.
« Le climat et l’industrie ont trop souvent été opposés l’un à l’autre, et je pense que ce n’est pas la bonne approche. Maintenir l’industrie lourde et à forte consommation énergétique en Europe est la chose la plus importante pour atteindre nos objectifs mondiaux en matière de climat », a-t-il ajouté.
Ses propos font écho à un discours tenu début décembre à la COP28, lorsqu’il avait affirmé qu’il serait impossible de construire « un paradis climatique sur un désert industriel ».
Les priorités de la prochaine législature, selon lui, incluent la nécessité de réformer l’UE en vue des élargissements futurs, avec une discussion sur les priorités de l’UE pour l’avenir, le modèle de gouvernance et le financement de cette Union.
Alexander De Croo souhaite également renforcer l’influence de l’UE sur la scène internationale afin de « mener le débat », car les Européens paient souvent le prix des crises internationales, a-t-il déclaré.