La BCE fait avancer le chantier de l’euro numérique

La BCE fait avancer le chantier de l’euro numérique

La BCE lance ce 12 octobre une consultation publique de trois mois sur la création de l’euro numérique, une monnaie virtuelle semblable au Bitcoin ou au Libra de Facebook, mais bénéficiant des garanties d’une banque centrale.

Durant la dernière décennie, la concurrence que se livrent les monnaies numériques privées est devenue féroce. Au risque de générer un marché parallèle (souvent opaque et exposé aux risques de blanchiment), qui prive les banques centrales du contrôle qu’elles exercent sur l’argent en circulation. Raison pour laquelle la Banque centrale européenne (BCE) est intervenue, au cours des dernières semaines, pour réglementer l’accès des cryptomonnaies au marché européen.

En réalité, l’idée de lancer des cryptomonnaies émises (et réglementées) par des banques centrales n’est pas nouvelle. Depuis quelques années, la Banque de France, la Banque du Japon, la Banque Populaire de Chine et la Banque des règlements internationaux ont entamé des recherches et effectué des essais dans ce domaine.

La BCE n’est dons pas la première sur les rangs, même si elle s’était déjà livrée à une analyse des monnaies numériques en 2012. Mais l’entrée (hypothétique pour l’heure) de la BCE sur le marché des monnaies numériques pourrait marquer un tournant, à plus d’un titre.

Un marché privé pour l’euro numérique

D’abord, les particuliers auraient la possibilité de détenir des comptes numériques en euros auprès de la BCE, dont le degré de fiabilité serait totalement indépendant des actifs et de la notation des banques commerciales.

Ensuite, l’ouverture de tels comptes permettrait aux particuliers et aux entreprises d’effectuer des paiements sécurisés en temps réel. Un circuit « complémentaire », qui ne se substitue pas à la circulation du papier, mais qui est certainement destiné à prendre de l’ampleur au fil du temps. Notamment en raison du recours toujours plus fréquent de la monnaie virtuelle (sous la forme de cartes de paiement, de crédit et de débit) dû à la pandémie, qui a rendu l’utilisation de la monnaie physique potentiellement risquée.

Sur le long terme, cette évolution pourrait avoir un impact négatif sur le marché bancaire traditionnel. Et particulièrement en temps de crise, lorsque la confiance du public dans la solidité des banques commerciales décline. La BCE envisage donc de fixer un plafond aux dépôts en euros numériques, précisément pour ne pas pénaliser les établissements bancaires commerciaux.

Vers une réforme du système monétaire international

Enfin, le tournant pourrait s’avérer décisif pour l’ensemble du système monétaire international. Un système encore dominé par l’hégémonie technique (plus encore qu’économico-politique) du dollar ; car il est plus facile pour tous dans le monde de recourir à une monnaie unique dans le cadre des paiements internationaux.

À terme, l’existence d’un grand marché numérique en euro favoriserait l’adoption de systèmes de paiement en euro, mettant en péril l’hégémonie du dollar comme principale monnaie de paiement.

Cela dit, l’accession de l’euro au statut de monnaie internationale laisserait un autre problème en souffrance : l’absence d’un actif sûr libellé en euros, vers lequel les choix de portefeuille des réserves nationales pourraient se déplacer, au niveau mondial. Cette place est encore solidement occupée (mais moins que par le passé) par les obligations émises par le Trésor américain, considérées comme les titres les plus « sûrs » au monde.

De ce point de vue, l’UE a fait un pas en avant. En effet, les obligations émises pour le soutien du plan de relance « Next generation EU » pourraient peu à peu devenir cet actif sûr alternatif aux obligations du Trésor américain, longtemps recherché sur les marchés financiers internationaux.

Une évolution qui pourrait encourager l’adoption d’un système monétaire international différent et plus équilibré, enfin en mesure d’échapper au « paradoxe de Triffin » (la liquidité internationale, si elle est fournie par une monnaie nationale, dépend de l’endettement de ce gouvernement ; ce qui finit par saper la stabilité de l’ensemble du système de paiement international. C’’est exactement ce qui se produit aujourd’hui avec le système fondé sur le dollar).

La prochaine étape pourrait être l’adoption, dans le cadre les paiements internationaux, d’une monnaie numérique multilatérale, un panier des principales monnaies mondiales. Celle-ci existe déjà depuis plus de 50 ans, il s’agit des Droits de tirage spéciaux (DTS).

Les États-Unis se sont jusqu’alors fermement opposés à leur adoption. L’avènement des monnaies numériques et la concurrence économico-politique de l’Europe et de la Chine pourraient les obliger, à brève échéance, à accepter que les DTS fassent l’objet d’une utilisation plus large.

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