Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France, Karim Ben Cheikh répond aux questions Lesfrancais.press. Au cours de cet entretien, le parlementaire « les écologistes » n’élude aucun sujet concernant nos compatriotes à l’étranger : éducation, fiscalité, aides sociales, … il vient même de déposer une proposition de loi avec sa collègue Éléonore Caroit, pourtant membre du bloc central. Surprenant ? Pas tant que cela pour notre invité : « Quand il s’agit des Français à l’étranger, nos clivages politiques s’estompent souvent face à des réalités très concrètes ».
Une loi pour les Français de l’étranger
Lesfrancais.press : « Karim Ben Cheikh vous avez déposé avec une autre députée, Eléonore Caroit, une proposition de loi visant à « renforcer les droits et les services publics des Français établis hors de France ». Alors que vous siégez au sein du Groupe les « Écologistes », votre collègue est une membre apparentée d' « Ensemble pour la République » (Renaissance). Cela illustre-t-il le caractère transpartisan de la cause des Français de l'étranger, les clivages politiques peuvent-ils être facilement dépassés sur ce sujet ? »
Karim Ben Cheikh: « Quand il s’agit des Français à l’étranger, nos clivages politiques s’estompent souvent face à des réalités très concrètes et partagées. Qu’il s’agisse d’inscrire son enfant à l’école, de faire reconnaître un acte d’état civil ou d’accéder à des soins, nos compatriotes rencontrent des obstacles administratifs et juridiques qui n’ont pas lieu d’être. Ces difficultés ne sont ni de droite ni de gauche : elles relèvent d’une exigence républicaine.
« Quand il s’agit des Français à l’étranger, nos clivages politiques s’estompent souvent face à des réalités très concrètes et partagées »,
Karim Ben Cheikh, Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France
Avec Éléonore Caroit, nous avons fait le choix du travail commun, au-delà de nos différences, pour porter une voix forte et claire en faveur des droits et des services publics pour les Français établis hors de France. Ce texte est le fruit de deux années d’échanges, de constats partagés et d’une volonté politique. C’est la preuve qu’on peut travailler sur le fond et proposer des évolutions positives, concrètes et réalisables. »
Lesfrancais.press : « La proposition de loi annonce une grande ambition « bâtir une relation durable et équitable entre la République et ses ressortissants à l’étranger » et faire reconnaître juridiquement l’appartenance pleine des Français de l’étranger à la communauté nationale. Que voulez-vous dénoncer ? Quelles sont pour vous les situations où les non-résidents ne sont pas encore traités en équité ? »
Karim Ben Cheikh : « Notre objectif est clair : mettre fin à des inégalités de traitement qui ne disent pas leur nom. Prenons l’exemple des aides sociales. Le code de l’action sociale reconnaît la compétence de l’État pour accompagner les Français en difficulté à l’étranger, mais il n’existe aucun décret fixant les conditions d’accès ou les montants. Résultat : les aides varient selon les postes consulaires, les ressources budgétaires locales, voire les interprétations.
Fiscalité et couverture sociale
En 2025, les taux de base ont été abaissés de 5,5 % sans débat. Imaginez une baisse équivalente du RSA en métropole : cela provoquerait un tollé. Autre exemple frappant : l’allocation adulte handicapé. En France, un taux d’incapacité de 50 % peut suffire à y prétendre. À l’étranger, ce seuil passe à 80 %, sans justification. C’est une discrimination pure et simple, fondée sur le lieu de résidence. La République ne peut plus cautionner ces inégalités silencieuses.
Lesfrancais.press : « Et quelles sont alors les principales réformes que vous portez pour garantir leurs droits aux Françaises et Français de l’étranger ? »
Karim Ben Cheikh : « La proposition de loi comporte 21 articles, articulés autour de trois grands axes : les droits sociaux, le lien à la République et le soutien au retour en France. Sur le volet social, nous proposons un cadre juridique clair et opposable pour les aides sociales, intégrant la perte d’autonomie, avec des critères fixés par décret. C’est un enjeu de dignité. Sur le plan économique, nous demandons la reconnaissance des entrepreneurs français à l’étranger, afin de leur permettre de prétendre au soutien de la Banque publique d’investissement.
« Ce n’est pas la paternité du texte qui compte, mais son utilité pour nos compatriotes »
Karim Ben Cheikh, Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France
En matière fiscale, nous proposons la suppression de l’obligation de représentant fiscal pour les Français vivant dans un pays lié à la France par une convention d’assistance, ainsi qu’une fiscalité plus juste sur la résidence d’attache. Côté éducation, nous voulons rendre effectif le droit d’accès des élèves français aux établissements du réseau AEFE, en supprimant la possibilité pour ces établissements de refuser un enfant français pour cause de sureffectif.
Nous proposons aussi un « bouclier tarifaire scolaire » et un Pass Culture à l’étranger. C’est une boîte à outils républicaine, pensée pour la vie réelle des Français du monde et ayant pour objectif au final d’atténuer, autant que faire se peut, les effets de l’éloignement d’avec la France. »
Lesfrancais.press : « Votre texte, co-signé avec Éléonore Caroit, est-il un moyen de faire pression sur le ministre délégué actuel en charge des Français de l'étranger, Laurent Saint-Martin alors que ce dernier a annoncé que le gouvernement présenterait au second semestre 2025 un projet de loi en faveur des Français établis hors de France ? »
Karim Ben Cheikh : « Ce texte est un socle dont nous avons eu l’occasion de parler au ministre. Je travaille avec Éléonore Caroit sur cette proposition depuis près de deux ans. Dans un Parlement sans majorité absolue, un projet de loi ne peut avancer qu’en rassemblant au-delà des étiquettes. Le texte que nous portons peut nourrir celui du gouvernement. Je l’ai dit au ministre : s’il reprend nos propositions, nous serons au rendez-vous. Ce n’est pas la paternité du texte qui compte, mais son utilité pour nos compatriotes. L’urgence, c’est de faire avancer les choses, pas de se les approprier. »
Lesfrancais.press : Pensez-vous que vous aurez l’occasion de travailler avec les équipes du ministre sur ce sujet ? Le souhaitez-vous ? In fine, voulez-vous absolument faire adopter votre texte ou seriez-vous d’accord pour que certaines de vos propositions soient reprises par le gouvernement ?
Karim Ben Cheikh : « Bien sûr, notre proposition de loi a vocation à aboutir à des évolutions concrètes. Je ne suis pas dans une logique de propriété ou de posture.
La Caisse des Français de l’Étranger
Si certaines de nos propositions – comme le financement pérenne de la Caisse des Français de l’étranger (CFE), la consolidation des aides sociales, l’accès à l’éducation ou la résidence d’attache – sont reprises dans un texte gouvernemental, nous le soutiendrons. L’essentiel, c’est que ces mesures voient le jour. Mais j’insiste : elles doivent être prises au sérieux, pas édulcorées ni remises à plus tard. »
Lesfrancais.press : « Autre thème qui inquiète la communauté des non-résidents, la situation de la Caisse des Français de l'étranger (CFE). Elle a dévoilé un déficit comptable important lors de son conseil d’administration en ce début de semaine. En mars dernier, vous aviez déjà lancé un appel pour « refuser l'abandon programmé de la mission de solidarité de la CFE ». Pensez-vous que l'augmentation du budget est la seule solution pour sauver cet organisme dont l’autonomie financière est pour autant une obligation par la loi. Y a-t-il, pour vous, d’autres pistes ? »
Karim Ben Cheikh : « La CFE est un pilier de la protection sociale des Français à l’étranger. Elle joue un rôle comparable à celui des CPAM en métropole, mais sans bénéficier de financement de l’État. Or, ces dernières sont en effet en grande partie alimentées par les taxes affectées et la CSG qui représentent parfois plus de la moitié de leurs recettes. Nous proposons donc une solution à la fois en adéquation avec le fonctionnement de l’assurance-santé en France et en cohérence avec la contribution des Français de l’étranger à la solidarité nationale.
« La CFE est un pilier de la protection sociale des Français à l’étranger »
Karim Ben Cheikh, Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France
Il s’agirait donc d’affecter une fraction de la CSG, taxe à laquelle les Français de l’étranger sont assujettis, à la CFE. Notre texte propose le versement de 0,09% de la fraction de la CSG reversée à la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale), pour lui permettre de financer sa mission de service public. Aujourd’hui, la CFE est la seule assurance-santé qui peut couvrir un Français de l’étranger quel que soit son âge et sa condition médicale. La caisse assume également quasiment seul le tarif préférentiel de la « catégorie aidée » qui permet de couvrir nos compatriotes les plus vulnérables, tandis que l’État ne lui verse qu’entre 380 000 et 760 000 euros par an. C’est une équation intenable.
Au total, l’ensemble des missions de service public prises en charge par la CFE lui coûtent 25 millions d’euros chaque année. Alors oui, il faut choisir : ou bien on finance cette mission qui est disposée dans le code de la Sécurité sociale, ou bien on renonce à cette solidarité et on transforme la CFE en assurance privée inscrite au code des assurances. Mais on ne peut plus faire semblant. Le statu quo, c’est l’étouffement progressif de la seule structure capable d’assurer un accès à la Sécurité sociale pour tous nos compatriotes établis à l’étranger. Voulons-nous oui ou non une politique de solidarité à leur égard ? Ce choix est davantage un choix politique qu’un choix budgétaire. C’est le sens de l’appel que j’avais lancé il y a quelques mois et la raison pour laquelle cet appel a été soutenu par des élus et des associations de tous bords. Au regard de ces éléments, il me semble qu’une large majorité des Français de l’étranger tient à garder ce modèle de sécurité sociale “à la française”, même s’il est évidemment perfectible. »
Une baisse des crédits ?
Lesfrancais.press : « D’ailleurs, puisque nous abordons le sujet des finances, vous aviez, avec d’autres élus représentant les Françaises et Français établis hors de France, alerté sur la baisse des crédits affectés directement à nos compatriotes de l’étranger pour l’exercice 2025. Quels sont d’ores et déjà les impacts concrets de cette réduction budgétaire sur le quotidien de nos ressortissants vivant à l'étranger ? »
Karim Ben Cheikh : « Les coupes budgétaires ciblant les Français à l’étranger ont des effets très concrets, parfois dramatiques. En 2025, les baisses de crédits ont conduit à une réduction des quotités de bourses scolaires pour des familles dont la situation financière n’a pas changé. Résultat : déscolarisation dans certains cas. Pour des personnes âgées, déjà fragiles, cela se traduit par une baisse de leur allocation vieillesse, qui était en moyenne de 313 euros par mois en 2023. On rogne quelques dizaines d’euros ici et là, sans mesurer l’impact sur les personnes.
« Les coupes budgétaires ciblant les Français à l’étranger ont des effets très concrets, parfois dramatiques »,
Karim Ben Cheikh, Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France
Tout cela découle d’une logique de plafonnement budgétaire, qui ignore les besoins réels. Je rappelle que seuls 0,17% des Français établis à l’étranger perçoivent une aide sociale alors que 6,4% des Français sur le territoire national en bénéficient. C’est une politique comptable, pas une politique sociale. Il y a aussi des effets concrets sur nos opérateurs, par exemple l’AEFE.
Aux coupes initiales proposées par le gouvernement de Bayrou, des “sur-coupes” voulues par les Sénateurs et Sénatrices de la droite et du centre ont été rajoutées de manière totalement injustifiées en commission mixte paritaire lors des dernières discussions budgétaires. Cela aura une nouvelle fois des effets sur le financement du réseau. »
Lesfrancais.press : « Enfin, nous vous proposons de nous attarder quelques instants sur votre territoire électoral. Nos compatriotes installés dans les pays de votre circonscription sont souvent montrés du doigt pour d’éventuelles fraudes à la retraite ou autre comme l’a fait en début de décennie la Cour des comptes et que certains reprenaient encore au cours des dernières semaines. La présence d’un candidat portant les valeurs de l’Islam politique lors des dernières élections législatives est aussi décriée. Que répondez-vous à ceux qui veulent stigmatiser les Français d’Afrique du Nord et de l’Ouest ? »
Karim Ben Cheikh : « La République n’est pas à géométrie variable. Je refuse les amalgames, les caricatures et les suspicions systématiques qui frappent certains territoires. Sur les retraites indûment perçues, les chiffres montrent que les fraudes sont non seulement marginales mais souvent exagérées à des fins politiques.
« La République n’est pas à géométrie variable. Je refuse les amalgames, les caricatures et les suspicions systématiques qui frappent certains territoires »
Karim Ben Cheikh, Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France
À la base de cette information, il y a eu une mauvaise compréhension de certaines données démographiques dans un rapport du Sénat. Depuis, ces chiffres ont été démentis par toutes les autorités compétentes. Pourtant je constate que les retraités français à l’étranger ont eu à subir depuis quelques mois de très nombreux contrôles d’existence aléatoires. Très sincèrement, quand on voit que ceux qui propagent ces préjugés, les Républicains, s’imaginaient il y a quelques mois proposer des certificats de vie annuels, un dispositif qui existe déjà depuis des années, cela laisse songeur.
Quant à commenter les autres candidatures, je préfère m’en tenir à l’exigence d’égalité qui est la mienne, d’autant plus que vous m’invitez là à m’attarder sur une candidature dont je ne sais ni la réalité, ni la légalité et qui porterait sur un programme aux antipodes du mien. Pour ma part, je continuerai à défendre tous les Français, sans distinction, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, dans le respect de notre devise républicaine. »
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