La démocratie est en crise. Plus personne ne vote. Les cyniques partout l’emportent. Le modèle chinois rayonnant du bonheur des foules part à la conquête du monde. Dans les démocraties, populistes et démagos mènent le bal. S’il y a un bal, puisque ce ne sont pas les politiques qui décident. Aujourd’hui, n’importe quel influenceur sur Instagram, n’importe quel geek rémunéré ou non, a plus d’influence qu’un ministre. Alors, que dire des élections sénatoriales des Français de l’étranger, au-delà des heureux vainqueurs, des valeureux candidats, et des résultats ? Que ce sera un jour de gloire pour les élus, mais aussi et surtout pour ce principe moqué, envié, ridiculisé, jalousé, méprisé : le vote.
L’Assemblée des Français de l’étranger ne sait toujours pas quand elle se réunira.
De Washington à Paris, l’antiparlementarisme a toujours eu la cote. L’administration elle-même fait peu de cas des élus comme en Amérique latine, les conseillers consulaires apprennent la fusion de leur Conseil. Là, dans l’Océan indien, on organise une élection sans vote internet, ni vote par correspondance, et le moins possible de bureaux de vote. L’Assemblée des Français de l’étranger ne sait toujours pas quand elle se réunira.
Les élus président-ils les Conseils Consulaires ? Les chefs de poste contestent aussitôt l’ordre du jour. Doivent-ils donner un avis sur le budget ? L’Assemblée n’est pas réunie, et les documents budgétaires ne sont pas transmis aux élus -qui nous les demandent ! Les marques de mépris ne sont pas humiliantes, elles sont naturelles.
Serait-ce la faute du gouvernement? Peut-être. La Cour des Comptes, le Haut Comité des Finances publiques, et son Président, Pierre Moscovici, pourtant nommé par le gouvernement, refusent de valider la « sincérité » de la prochaine loi de Finances. Autant dire que le Parlement votera un budget incertain.
Mais les ministres font-ils le poids face à l’administration ? Rien n’est moins sûr. Alors, si un ministre a du mal à s’imposer, que pèse un élu ? Telle sénatrice (Joëlle Garriaud-Maylam) vient de recevoir une réponse à ses questions sur les couples séparés par les interdictions liées à la crise du Covid : neuf mois après sa question, une grossesse.
A part un élu, qu’y a-t-il de pire qu’un électeur?
C’est bien normal : les élus n’ont pas de compétence particulière, se prennent pour les patrons qu’ils ne sont pas, réclament, posent des questions, ont des idées sur tout, souvent mauvaises, s’agitent, agacent.
Comme l’électeur. A part un élu, qu’y a-t-il de pire qu’un électeur? Il pose des questions, râle, propose des mesures sans queue ni tête, raconte sa petite expérience comme si elle était une parabole universelle, n’a pas la connaissance suffisante pour avoir un avis et pourtant ose se faire juge de tout et de rien, un comble.
Conscients de la faiblesse des élus et de ceux qui les élisent, beaucoup s’abstiennent et plus d’un tiers des Français pensent qu’il vaudrait mieux un régime autoritaire : le rêve chinois, ou russe. C’est sûr qu’avec le PCC et le carnet citoyen, il y aurait moins de Gilets jaunes et d’Antivax. Tous piqués en disant merci au Grand Timonier. Souriez, vous êtes filmés (et fichés grâce à la reconnaissance faciale). Celui qui ne sourit pas, malade ou pas, sera isolé, comme cette Française séparée 21 jours de sa famille et de son bébé de trois ans, isolé lui aussi.
Le vote est un mot magique.
Electeurs et élus peuvent être gênants. Même Xi Jinping le sait. C’est pourquoi il a pris soin de désigner le collège électoral à Hong Kong. Choisir les électeurs et ceux qui ont le droit d’être candidat, comme en Iran, au Nicaragua, en Algérie. Mais là comme en Chine, on ne supprime pas le vote, parce le vote est un mot magique.
Dimanche dernier, Russie unie, le parti de Poutine, n’obtenait « que » 36% des voix. Le lendemain matin, il était à 46% Maintenant il dépasse les 50%. A quoi ça sert ? Les Russes répondent sagement : « on ne se fait pas d’illusions, qu’il reste au pouvoir, mais au moins lui, les résultats, il les connait : il sait ce qu’on pense ».
Le vote est un talisman. Même de mauvaise qualité, il protège.
Pourquoi les autocrates ont-ils besoin d’élections ? Est-ce pour plaire à l’Occident ? Est-ce pour paraitre « moderne » ? Est-ce par besoin d’être aimés ? Rien de tout cela. Ils savent que le vote est un exercice de souveraineté. Le truquer, le malaxer, empêcher les candidats de candidater, trafiquer les listes, changer les résultats dans la nuit, peu importe : il faut le rite. Quand on vote en Crimée pour le scrutin russe, cela montre bien que la Crimée est russe. Le vote est un talisman. Même de mauvaise qualité, il protège.
De quoi ? D’un coup d’état, d’une révolte. Ce sont les deux seuls peurs des grands. Regardez ce pauvre Loukachenko : Il veut se faire réélire, il fait tout bien -arrestation des candidats, propagande insensée, fraude bien léchée- et ce beau montage se retourne contre lui ! Le voilà réduit à se mettre dans les mains de l’armée russe, lui qui résistait comme une jeune fille aux demandes de Poutine.
Quant aux doutes sur la démocratie, rien de mieux qu’un coup d’œil sur les dictateurs. Le plus drôle est Kim Jong Il, qui marchait à l’âge de trois semaines, inventa le hamburger, écrivit 1500 livres, d’une nature tellement parfaite qu’il n’avait pas besoin d’aller aux toilettes, jamais. 200.000 Nord-Coréens sont morts de faim durant son règne.
L’économiste Amartya Sen, prix Nobel 1998, expliquait que les famines en Inde disparurent après l’Indépendance. Non que les Britanniques fussent des accapareurs, mais parce que le nouveau régime indien, reposant sur le vote, donnait un petit pouvoir aux pauvres. Les élites, qui se battaient pour obtenir les suffrages, firent attention à ce petit problème : la faim.
Les démocraties sont les seuls régimes capables d’affronter les crises. Les autres s’effondrent.
Les dictateurs sont les meilleurs propagandistes du vote. Peu à peu, malgré la crise perpétuelle de la démocratie, malgré le mépris de l’électeur, celui de tout régime pour les élus, le vote gagne. En Allemagne, l’électeur allemand tient l’avenir de l’Europe (et donc du monde) entre ses mains (voir ici). Hors d’Europe, en Argentine, au Canada, en Islande, au Maroc, le vote arbitre, défait ou conserve les majorités, et stabilise toujours le pays.
Saluer nos Sénateurs et leur demander beaucoup
Les démocraties sont en crise, mais elles l’ont toujours été. Elles sont les seuls régimes capables d’affronter les crises. Les autres se raidissent et s’effondrent. C’est pourquoi il faut saluer nos Sénateurs et leur demander beaucoup : qu’ils agacent, perturbent, questionnent, proposent. Les gouvernements et l’administration ne tirent leur légitimité que de cela : le vote.
Que les Sénateurs (et les Députés, et les élus consulaires) n’hésitent pas : « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). S’ils sont élus, c’est pour cela. Et ils peuvent commencer tout de suite : le budget, la fiscalité, pour les Français de l’étranger, c’est maintenant, c’est urgent.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »
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