Jeux Olympiques de Tokyo reportés d'un an

Le monde olympique n’est plus totalement hermétique : les milliers de morts, les centaines de milliers de malades sur tous les continents, les appels d’athlètes décontenancés et une opinion publique interloquée ont eu raison de l’obstination du Comité international olympique (CIO), résolu à reporter les Jeux de Tokyo 2020.

La fédération internationale d’athlétisme, sport roi des JO, a rendu publique, juste avant la réunion décisive du CIO de dimanche, sa lettre réclamant un report. World Athletics ne dépend pas des subsides du CIO et son président, Sebastian Coe, n’est pas membre de l’instance : deux raisons pour lesquelles la fédération fut la première, et la seule, à oser accentuer la pression sur Thomas Bach.

Convaincre le Japon

Depuis plusieurs semaines, l’Allemand voulait rester maître du calendrier et gagner du temps, trancher le plus tard possible. L’évolution de la pandémie dans le monde ne lui en a pas laissé l’occasion, l’état de l’opinion publique non plus, et le CIO ne sortira pas grandi de cette valse-hésitation.

Le souci de ne pas froisser le partenaire japonais a primé, insistent des connaisseurs du mouvement olympique. Le CIO est assuré contre l’annulation et le report des Jeux et, quoi qu’il en soit, Tokyo 2020 sera le premier à payer la facture du report.

Le comité d’organisation va entretenir des installations coûteuses, indemniser des sous-traitants, relancer une campagne de billetterie et de recrutement de bénévoles, prolonger des employés.

Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui comptait sur les JO pour redorer une image ternie par sa gestion de la pandémie de Covid-19, a longtemps insisté sur le maintien du calendrier prévu. Puis une porte s’est ouverte : un discours dans lequel il a assuré que les JO se tiendraient, sans préciser la date.

Dans le même temps, un sondage révélait que 70 % des Japonais jugeaient impossible l’organisation des Jeux en juillet. Et la pandémie a atteint les continents africain et américain, l’Organisation mondiale de la santé craignant que le pic ait lieu cet été dans ces régions du globe.

« Tous ces éléments se sont rassemblés pour que les organisateurs et, plus important, les autorités japonaises réalisent ce qui était en jeu », estime Dick Pound. Pour l’ancien vice-président du CIO, qui dirigea sa commission marketing durant deux décennies.

Thomas Bach s’est employé ces derniers jours à convaincre Tokyo qu’il n’y avait pas de solution alternative au report : « Ils ont désormais compris qu’il y avait un problème, je pense que le CIO les en a convaincus. »

La moins mauvaise des solutions

Le CIO est seul responsable de l’organisation, ou non, des Jeux. Mais pour en changer la date, il lui fallait obtenir l’aval des maîtres d’œuvre. Prendre une décision de concert permet aussi d’éviter que l’une des deux parties se retourne contre l’autre.

Un autre connaisseur de l’instance olympique avance :

« Depuis une semaine ou deux, le CIO tentait de convaincre les Japonais de la nécessité d’envisager un plan B, mais ils n’en voulaient pas. Ils ne voulaient pas être accusés de ne pas pouvoir organiser les Jeux en temps et en heure. Une fois qu’Abe a compris que ce n’était plus un problème japonais, mais mondial, cela lui a donné la couverture politique pour admettre qu’on pouvait avoir un plan B. »

Pour le CIO, le report est la moins mauvaise des solutions. Une annulation aurait été une catastrophe économique, ouvrant la porte à de multiples recours de la part des sponsors et des diffuseurs, au-delà des pertes de billetterie. Le maintien aux dates prévues aurait davantage endommagé l’image du CIO, et fait courir le risque d’une compétition dévaluée, sans certains pays.

En de telles circonstances, sponsors et diffuseurs n’ont d’autre option que de se plier au choix du CIO. « Le processus de décision ne tient pas compte de ces facteurs. Ce sont la santé des athlètes et les contraintes logistiques qui priment, assure Michael Payne, ancien directeur marketing du CIO. Tous ces partenaires sont engagés à long terme, la plupart jusqu’en 2032. Tant que les Jeux ont lieu, ils seront très heureux et ne se retourneront pas contre le CIO. » Lundi, NBC et Coca-Cola, partenaires majeurs, se sont dits solidaires du report.

2021, seule option raisonnable ?

Depuis lundi s’est ouvert un nouveau front. Le Japon espère encore pouvoir organiser les Jeux cette année, comme l’a dit le président du comité organisateur, Yoshiro Mori :

 « On s’appelle 2020, donc la tendance, pour le moment, c’est cela. » « La discussion va être intense, prédit Michael Payne. Le CIO va pousser pour une décision aussi rapide que possible, tandis que les Japonais voudront étudier le problème sous tous ses aspects et militeront pour l’automne prochain, plus simple logistiquement. »

Dick Pound considère intenable l’option d’octobre : « Elle sera étudiée, mais les risques seront bien plus grands qu’avec un report d’un an. » Le monde du sport, lui, penche pour un report à 2021 et s’organise en conséquence. World Athletics prend déjà ses dispositions pour décaler ses championnats du monde, prévus en août 2021 aux Etats-Unis.

Plus significatif, le Comité olympique australien a demandé à ses athlètes de se préparer pour une édition dans un an. Son président, John Coates, est un allié fidèle de Thomas Bach et dirige la commission d’organisation des Jeux de Tokyo. Sa voix porte et personne au CIO ne maîtrise mieux que lui les détails organisationnels.

« L’intervention des comités olympiques nationaux renforce le CIO, qui avancera que c’est la seule solution possible. Le CIO va demander aux Japonais d’être plus réalistes », avance Michael Payne.

Le CIO, qui a parfois donné l’impression d’être prêt à organiser son épreuve coûte que coûte, ne sortira pas grandi de cette gestion de la crise, notamment vis-à-vis des athlètes. « Il a raté une chance de montrer de l’empathie », a estimé Urs Lacotte, directeur de l’instance de 2003 à 2011, dans un entretien à l’Agence France-Presse.

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