Israël/Palestine : 3 000 ans d’histoire pour comprendre un conflit sans fin

Israël/Palestine : 3 000 ans d’histoire pour comprendre un conflit sans fin

Quand Emmanuel Macron montera à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies pour reconnaître officiellement l’État de Palestine, ce lundi, ce ne sera pas seulement un acte diplomatique, mais l’aboutissement d’un siècle de débats, de guerres et de diplomatie avortée.

Cette décision, attendue depuis des décennies par une partie de la communauté internationale et contestée avec vigueur par Israël, s’inscrit dans un contexte explosif, neuf mois après le début de l’offensive israélienne sur Gaza, qui a fait plus de 40 000 morts palestiniens selon l’ONU, et alors que les colonies en Cisjordanie continuent de s’étendre malgré les condamnations.

Pour Paris, il s’agit de « rééquilibrer une politique étrangère souvent perçue comme pro-israélienne« , explique un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay sous couvert d’anonymat. Mais au-delà des calculs géopolitiques, c’est toute l’histoire mouvementée de cette terre, berceau de trois religions et théâtre de conflits territoriaux depuis l’Antiquité, qui resurgit.

En France, où vit la plus grande communauté juive d’Europe (500 000 personnes) et une diaspora palestinienne estimée à 300 000 individus, l’annonce risque d’alimenter les clivages. Les manifestations pro-palestiniennes massives de 2023-2024, réprimées dans un climat de tensions communautaires, ont révélé une fracture sociale que le gouvernement cherche à apaiser. À l’international, la reconnaissance française pourrait accélérer le mouvement : après la Suède (2014), l’Espagne et l’Irlande (mai 2024), et face à l’immobilisme américain, l’UE est plus divisée que jamais.

Pour comprendre les enjeux de 2025, il faut remonter aux racines antiques du conflit, quand Hébreux et Philistins se disputaient déjà ces collines arides. Puis venir la domination romaine, la conquête arabe, l’Empire ottoman, et enfin le mandat britannique (1920-1948), qui a dessiné les frontières actuelles – et les tragédies. Car ce conflit n’est pas seulement une guerre de religions ou de territoires : c’est l’héritage empoisonné du colonialisme européen, comme en Inde ou en Algérie, où les départs précipités des puissances occupantes ont laissé derrière eux des frontières artificielles et des haine tenaces.

Dans ce long format, Lesfrançais.press revient sur trois millénaires d’histoire, des rois David et Salomon aux accords d’Oslo, en passant par le rôle ambigu de la France – allié historique d’Israël avant de devenir l’un de ses critiques les plus virulents. Un voyage dans le temps pour éclairer un présent où, 77 ans après la création d’Israël, la solution à deux États semble plus lointaine que jamais.

Aux origines du conflit

Contrairement aux récits nationalistes contemporains, ni les Israéliens ni les Palestiniens ne peuvent revendiquer une exclusivité historique sur ce territoire. Les fouilles archéologiques révèlent une superposition de civilisations dès le IIIe millénaire av. J.-C.

Les Hébreux et le royaume de Judée (XIIe – VIe siècle av. J.-C.)

Les textes bibliques (Tanakh) décrivent l’installation des tribus hébraïques vers 1200 av. J.-C., fuyant l’Égypte pour Canaan. Jérusalem devient leur capitale sous le roi David (vers 1000 av. J.-C.), puis Salomon y construit le Premier Temple – lieu saint du judaïsme. Mais ces récits, mêlant histoire et mythologie, sont contestés par certains historiens. « Il n’y a pas de preuve archéologique d’un exode massif hors d’Égypte, mais des indices d’une sédentarisation progressive », explique l’archéologue israélien Israel Finkelstein (interview dans Haaretz, 2023).

Les Philistins, ancêtres des Palestiniens ?

Venant de la mer Égée (leur nom vient du grec « Palestine »), les Philistins s’installent sur la côte (Gaza, Ashkelon) vers 1200 av. J.-C. Leur conflit avec les Hébreux est immortalisé par David contre Goliath. « Les Philistins n’étaient pas arabes, mais leur présence montre que la région était déjà multiculturelle », note l’historien Rashid Khalidi (Université Columbia) dans « The Hundred Years’ War on Palestine » (2020). Leur disparition (VIe siècle av. J.-C.) ne signifie pas celle de leur héritage : le nom « Palestine », donné par les Romains après la révolte juive de 135 ap. J.-C., perdure.

Judée
Judée province romaine au début de l’ère chrétienne ©National Geographic

La domination romaine

La révolte de Bar Kokhba (132-135 ap. J.-C.) contre Rome se solde par un génocide (580 000 morts selon Dion Cassius) et l’exil des Juifs. L’empereur Hadrien renomme la province « Syria Palaestina » – un acte politique pour effacer toute référence juive. Pourtant, une communauté juive reste présente, notamment à Galilée.

Puis le christianisme et la sacralisation de la Terre sainte, avec la conversion de Constantin (313 ap. J.-C.), font de Jérusalem un lieu de pèlerinage. Les Byzantins (395-638) transforment la région en mosaïque religieuse : juifs, chrétiens (majoritaires), samaritains et païens cohabitent difficilement.

A partir de 638, l’islamisation et la cohabitation sous les califats
Contrairement aux idées reçues, la conquête musulmane ne se fait pas par la force : les Juifs, persécutés par Byzance, accueillent les armées arabes. Sous les Omeyyades puis les Abbassides, la Palestine devient une province secondaire, mais Jérusalem gagne en importance avec la construction du Dôme du Rocher (691).

C’est donc une société multiconfessionnelle qui perdure jusqu’au XVIème siècle. Les chrétiens y sont majoritaires jusqu’au Xe siècle et conservent leurs lieux saints. Tandis que les Juifs y reviennent progressivement, notamment après leur expulsion d’Espagne en 1492. Et finalement, les musulmans deviennent majoritaires, et l’arabe remplace le grec et l’araméen.

Quatre siècles sous les Ottomans (1517-1917) : déclin et réveil national

L’Empire ottoman, tolérant mais négligent, laisse la région s’appauvrir. Pourtant, c’est sous l’emprise de la Porte Sublime que le sionisme émerge avec le soutien britannique. En 1882, les premiers colons juifs arrivant de Russie fondent Petah Tikva.

Rapidement, les nationalismes arabe et juif se cristallisent avec, déjà, le projet d’un État juif après l’affaire Dreyfus porté par Théodor Herzl en1896. Immédiatement, les notables arabes, comme la famille Husseini, s’opposent à l’immigration juive, craignant pour leurs terres.

Tout s’accélère en 1917 avec la chute de la Porte Sublime et le partage colonial. La défaite ottomane pendant la Première Guerre mondiale ouvre la voie à l’accord Sykes-Picot, signé en 1916, où Français et Britanniques se partagent le Moyen-Orient. La Société des Nations (SDN) officialise en 1922 le mandat britannique sur la Palestine, avec une clause pro-sioniste (Déclaration Balfour, 1917). « Un foyer national juif » doit y être créé… sans consulter les 700 000 Arabes qui y vivent (contre 60 000 Juifs). Mais ce mandat, censé préparer l’indépendance, va attiser les tensions, comme en Inde, où Londres joue les communautés les unes contre les autres avant de partir dans le chaos en 1947.

Le mandat britannique, laboratoire des conflits post-coloniaux

Le départ britannique après 28 ans de mandat, de 1920 à 1948, ressemble étrangement à ce qui s’est passé dans l’ancien joyeux de la Couronne britannique. Dans ces deux anciennes colonies, le royaume de Sa majesté a divisé pour mieux régner. Londres y a encouragé l’immigration juive (100 000 arrivants dans les années 1920) tout en promettant l’indépendance aux Arabes. Évidemment, comme entre les hindous et les musulmans, les violences communautaires ont ponctué ce quart de siècle de domination anglaise, avec en 1929, le massacre d’Hébron (67 Juifs tués par des Arabes), suivi de 1936 à 1939 de la grande révolte arabe (5 000 morts), réprimée dans le sang, etc.

La Nakba et la création d’Israël

Le plan de partage de l’ONU de novembre 1947 donne 55 % du territoire à l’État juif, alors que les Juifs possèdent que 7 % des terres. En sus, les milices sionistes (Haganah, Irgoun) passent, dès les premiers mois, à l’offensive, en avril 1948, ils tuent 100 à 250 arabes à Deir Yassin. Et en mai 1948, lors de la proclamation d’indépendance d’Israël, 530 villages palestiniens sont détruits (cartes de l’ONG Zochrot).

« Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place »

Ben Gourion dans son journal

Histoire
©monde-diplomatique.fr

Notons que contrairement à la Belgique ou aux Pays-Bas, la France ne vote pas le plan de partage à l’ONU. Pourtant, elle va devenir un allié clé d’Israël dans les années 1950.

France-Israël, une liaison dangereuse

Après la Seconde Guerre mondiale, la France, humiliée par sa défaite de 1940, voit en Israël un partenaire stratégique. En plus des intérêts convergent. Ainsi, Paris fournit 80 % de l’arsenal israélien pendant la guerre de Suez en 1956. 

Aussi, même si le sujet reste enfoui dans les archives secret défense des deux États, de nombreuses sources bien informées le confirment.
L’historien Pierre Razoux, ans son livre « La guerre de Cent Ans au Proche-Orient » publié en 2023, affirme : « Sans la France, Israël n’aurait pas la bombe » (Ndlr : la bombe nucléaire).

Une possibilité renforcée par les faits historiques puisque le réacteur nucléaire israélien de Dimona est construit avec l’aide française à la suite des accords de 1957. La guerre d’Algérie finit de lier les deux États, le Mossad et la DGSE ont collaboré pour lutter contre le FLN (Front de libération national) qui anime la lutte contre les Français.

Ben Gourion et De Gaulle sur le perron de l'Elysée
Ben Gourion et De Gaulle sur le perron de l'Elysée ©AFP

1967, le tournant de la guerre des Six Jours

Mais, la victoire éclair d’Israël en juin 1967 modifie la vision française de l’État israélien. La guerre des Six Jours marque, donc, un tournant dans la relation de la France avec le monde arabe et la cause palestinienne. Jusqu’alors, Paris avait été un soutien indéfectible d’Israël, mais la victoire écrasante de Tsahal et l’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est changent la donne. Le général de Gaulle, soucieux de restaurer l’influence française au Proche-Orient après la perte de l’Algérie, adopte une position plus équilibrée.

Petit à petit, on assiste à un basculement pro-palestinien de la diplomatie française, un phénomène qu’on peut mettre en corrélation avec la montée en puissance de l’immigration issue du Maghreb en France, Et en 1996, Jacques Chirac est le premier chef d’État occidental à parler de « Palestine » lors d’un discours à Jérusalem.

Le 22 octobre 1996, Jacques Chirac s’en prend aux services de sécurité israéliens lors de sa visite mouvementée dans la vieille ville de Jérusalem.
Le 22 octobre 1996, Jacques Chirac s’en prend aux services de sécurité israéliens lors de sa visite mouvementée dans la vieille ville de Jérusalem. ©SIPA/HENDLER

La France et les Palestiniens : Entre diplomatie humanitaire et méfiance envers le Hamás

Les Palestiniens se sont rapidement organisés pour faire entendre leur voix sur l’échiquier international et fondent en 1964 l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). Alors que Yasser Arafat émerge comme figure centrale de la résistance palestinienne, la France autorise l’ouverture d’un bureau de l’OLP à Paris en 1975, une première en Europe.

« Nous ne reconnaissons pas l’OLP comme gouvernement, mais comme représentant du peuple palestinien »

Déclaration du Quai d’Orsay en 1975.

L’objectif de Paris, avec cette nuance, était de s’imposer comme médiateur en permettant à Paris de dialoguer avec les deux camps.

Mitterrand et la reconnaissance symbolique : entre pragmatisme et principes

Avec l’arrivée de François Mitterrand à la tête du pays, les années 1980-1990 voient la France confirmer son rôle de médiateur, mais avec prudence.

Puis en 1982, après l’invasion israélienne du Liban et les massacres de Sabra et Chatila, où des milices chrétiennes alliées à Israël exterminent entre 800 et 3 500 civils palestiniens, le gouvernement français envoie des troupes dans le cadre d’une force multinationale. Le Président de la République, François Mitterrand, condamne « un crime contre l’humanité » et accueille Arafat à l’Élysée en 1983, une visite qui scandalise Israël.

Quand l’OLP déclare unilatéralement l’indépendance de la Palestine à Alger (15 novembre 1988), la France ne la reconnaît pas, mais s’abstient lors du vote à l’ONU. Une position intermédiaire, reflétant les tensions internes. 

Chirac et la "politique arabe" : entre réalisme et engagements humanitaires

C’est lors du premier mandat de Jacques Chirac, que le « rééquilibrage pro-palestinien », sans rompre avec Israël, s’impose au Quai d’Orsay. Dès 1996, en visite en Israël, Chirac prononce un discours où il évoque, comme nous l’indiquions plus haut, pour la première fois « le droit des Palestiniens à un État viable ». Il est hué par des députés israéliens, mais salué par les capitales arabes.

« La paix ne sera possible que si Israël accepte de partager Jérusalem »

Jacques Chirac, Président de la République en 1996

Lors de la seconde Intifada, Ariel Sharon a lancé une offensive massive en Cisjordanie. Jacques Chirac a confirmé le virage idéologique en condamnant « la politique de répression disproportionnée«  et procède à l’envoie des médecins français dans les territoires occupés. Dernier acte de la présidence Chirac, se rendre à Ramallah pour rencontrer Yasser Arafat, alors assiégé par Tsahal dans son QG en juillet 2004.

Sarkozy : entre réalisme géopolitique et tensions diplomatiques

L’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée en 2007 marque un net rapprochement avec Israël, rompant avec la ligne plus « équilibrée »de Chirac. Plusieurs facteurs expliquent ce revirement dont la volonté de s’aligner sur les États-Unis.

Ainsi, Sarkozy, pro-américain, adopte une posture atlantiste et considère Israël comme un rempart contre l’Iran et l’islamisme radical. Autre explication, la présence dans son de figures de la communauté juive française comme Patrick Devedjian (d’origine arménienne mais très engagé pour Israël) et Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui qualifie le Hezbollah de « cancer » et défend une ligne ferme contre le Hamás.

Enfin, c’est aussi un calcul électoral. Après les émeutes de 2005, Sarkozy cherche à rassurer la communauté juive française, traditionnellement ancrée à droite.

Sous Hollande, un rééquilibrage timide et le vote historique de 2012

François Hollande, élu en 2012, tente de rétablir un équilibre, sans pour autant rompre avec Israël. Pour autant, la France vote pour la résolution accordant à la Palestine le statut d’« État non membre » à l’ONU (138 voix pour, 9 contre, 41 abstentions). Pour la première fois, le drapeau palestinien est hissé au Quai d’Orsay. Le Premier ministre, déjà, Benjamin Netanyahou, annonce la construction de 3 000 nouveaux logements en Cisjordanie en représailles. La France condamne cette décision, mais sans sanctions.

Voulant conserver une voix audible au Proche-Orient, lors du conflit de l’été 2014 (2 200 morts palestiniens, 73 Israéliens tués), François Hollande tente une médiation, mais échoue face à l’intransigeance des deux camps. Pour finalement, se résoudre à soutenir une résolution européenne pour un embargo sur les armes vers Israël… mais ne l’applique pas.

Macron : la "fermeté équilibrée" et la crise ouverte avec Israël

Lors de son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron adopte d’abord une ligne pragmatique. Il reçoit Netanyahou à Paris et réaffirme le droit d’Israël à la sécurité, mais évoque aussi la « souffrance des Palestiniens ».

En décembre 2017, après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump, le Président de la République française critique cette décision, mais évite toute mesure forte.

Puis ce fut le choc de l’attaque du Hamás le 7 octobre 2023 (1 200 morts israéliens). L’émotion et le soutien furent massif en France. Mais la réponse israélienne à Gaza (plus de 40 000 morts palestiniens en 2024-2025), mal comprise en France, poussent Macron à durcir le ton.

« Israël a le droit de se défendre, mais pas de commettre des crimes de guerre. »

Emmanuel Macron, Président de la République, le 15 juillet 2025

Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron passe un nouveau cap avec la reconnaissance de l’État palestinien. C’est un acte historique, mais aussi un pari risqué. Quelles en seront les conséquences ?

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