Informatique quantique : la bataille fait rage

Informatique quantique : la bataille fait rage

Dans une petite boutique de la ville de Hefei, dans l’est de la Chine, s’expose l’une des pièces de technologie les plus rares au monde. Un ordinateur quantique fabriqué par Origin, une start-up chinoise. Seuls 20 appareils de ce type se produisent chaque année. Ce produit n’est pas, d’ordinaire, visible aux étrangers, compte tenu de son caractère jugé stratégique par les autorités chinoises. Peu d’industries, en dehors de la fabrication d’armes, sont aussi sensibles.

Les ordinateurs quantiques peuvent effectuer en quelques minutes des calculs qui prendraient des milliards d’années, voire plus, aux supercalculateurs les plus sophistiqués du monde. Les communications utilisant des bits quantiques, ou qubits, sont ultra-sécurisées. Bien que les opportunités commerciales restent incertaines, les forces armées du monde entier s’intéressent vivement à la technologie quantique. Le gouvernement chinois masque les informations sur le fonctionnement de sa chaîne d’approvisionnement en composants. Il a également restreint les exportations de certaines technologies connexes. Les États-Unis appliquent une politique similaire. En octobre dernier, le département du Trésor a imposé des restrictions strictes sur les investissements américains dans l’industrie quantique chinoise.

La Chine est en avance sur les communications quantiques. 

Les États-Unis et la Chine sont en pointe dans l’informatique quantique. Ces deux pays se sont spécialisés dans certains domaines de ce secteur émergent. La Chine est en avance sur les communications quantiques. Dans le domaine de la détection de faibles changements dans les champs magnétiques, les deux pays sont au coude à coude. Les États-Unis dominent toujours pour la gestion des données de manière quantique.

Les ordinateurs des sociétés américaines disposent d’un nombre de qubits bien plus élevé que ceux conçus en Chine. Un indicateur important pour évaluer leur puissance. En décembre, Google a fait sensation avec une nouvelle puce quantique capable de corriger de nombreuses erreurs produites par les ordinateurs.

Les ordinateurs des sociétés américaines disposent d’un nombre de qubits bien plus élevé que ceux conçus en Chine

Cependant, la Chine pourrait combler son retard dans les prochains mois. Bien que le pays dépende encore de fournisseurs occidentaux pour de nombreux composants nécessaires au fonctionnement des ordinateurs quantiques, comme les lasers spécialisés, cette situation évolue rapidement. Les entreprises chinoises réalisent de réels progrès dans la fabrication des équipements nécessaires.

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Les fournisseurs occidentaux prévoient de vendre moins en Chine, tant en raison des restrictions qu’en raison de la capacité croissante de la Chine à se passer de leurs produits. Les réfrigérateurs à dilution, indispensables pour produire les températures ultra-basses nécessaires au fonctionnement des ordinateurs quantiques, en sont un exemple. En 2024, plusieurs entreprises et laboratoires chinois ont annoncé des avancées dans ce domaine. Étant donné les mesures de sécurité prises par les autorités chinoises, les informations restent toutefois parcellaires, rendant difficile l’évaluation des progrès réalisés.

Jusqu’en 2023, la Chine ne pouvait pas se passer des équipements occidentaux pour fabriquer ses ordinateurs quantiques. Depuis de nombreuses années, BlueFors, une entreprise finlandaise, fournit la plupart des réfrigérateurs utilisés dans les ordinateurs quantiques du monde. Pour l’instant, cette entreprise reçoit encore des commandes de la part de la Chine.

Deux modèles d’innovation radicalement différents

La rivalité entre la Chine et les États-Unis dans le domaine quantique oppose deux modèles d’innovation radicalement différents. Aux États-Unis, les grandes entreprises technologiques sont les moteurs de l’innovation dans l’informatique quantique. On y trouve Google, Intel, IBM et Microsoft aux côtés de start-ups soutenues par le capital-risque. La recherche universitaire joue un rôle important, mais l’implication de l’État reste limitée.

En Chine, en revanche, les investissements du secteur privé sont modestes, mais l’État est omniprésent. Une grande partie de la recherche est réalisée dans les laboratoires des universités contrôlées par l’État. La moitié des publications sur le quantique sont financées par la National Natural Science Foundation of China. Un organisme rattaché au gouvernement central. Les start-ups les plus en vue dans ce domaine sont toutes contrôlées ou soutenues par l’État.

Un modèle chinois performant mais faillible

L’Université des sciences et technologies de Chine à Hefei investit dans de nombreuses start-ups, dont Origin. Elle joue un rôle clé en assurant le lien entre les laboratoires, les entreprises et les décideurs politiques. Parallèlement, les géants technologiques chinois, dont Alibaba et Baidu, ont abandonné leurs recherches dans ce domaine, confiant leurs équipements au gouvernement.

Selon une récente enquête d’experts par l’Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), un groupe de réflexion à Washington, le recours à l’investissement public peut être plus efficace en matière d’informatique quantique que le financement par le secteur privé. Les participants à l’enquête de l’ITIF ont déclaré que la fragmentation des sources de financement aux États-Unis entraîne un manque de coordination et ralentit l’innovation. Le modèle chinois n’est cependant pas sans inconvénients. Ce système a favorisé une concurrence moindre, les entreprises étant peu incitées à prendre des risques. La coordination étatique signifie que les ressources se concentrent sur des approches spécifiques de la technologie quantique jugées prioritaires par le gouvernement. Cependant, ce caractère bureaucratique peut être sclérosant et freiner la diffusion des innovations.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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