Horizons et défense européenne : le débat

Horizons et défense européenne : le débat

Considérée comme le « Davos de la Défense », la 61eme édition de la « Munich Security Conference » se tiendra du 14 au 16 février prochains. Échanges stratégiques, rencontres diplomatiques, avancées technologiques sont, entre autres, au menu de ce rendez-vous international. En marge de la programmation officielle, l’occasion est aussi donnée d’organiser d’autres débats. C’est cette occasion qu’a saisie l’entité du parti politique Horizons en Allemagne pour parler des opportunités et défis de la Défense européenne. Expériences miliaires, industrielles et politiques seront représentées sur la scène. Nous avons d’ailleurs pu interroger en amont organisateur et orateurs.

La Défense européenne, quel avenir ?

Parler de la sécurité et de la défense le jour de la Saint-Valentin, c’est le pari pris par « Horizons Allemagne ». C’est en effet le 14 février prochain que les représentants du parti politique d’Edouard Philippe outre-Rhin ont choisi de programmer leur débat. En marge de la « Munich Security Conference », le thème proposé aux orateurs et au public sera le suivant : « construire une Défense européenne : défis et opportunités dans un monde incertain ».

« Il nous a semblé important de réunir des acteurs politiques et industriels de premier plan pour nous donner en direct leur analyse de la situation ».

Cette discussion portera, entre autres, sur l’avenir de la souveraineté stratégique européenne face aux défis globaux. Seront notamment abordés le règlement européen EDIP (European Defence Industry Programme) dont le but est de renforcer la compétitivité de l’industrie de la défense. Mais également la coopération transatlantique et les perspectives d’autonomie stratégique.

Militaires
Militaires

Pour l’un des organisateurs, Gilles Roux, l’objectif est, outre l’actualité, de mettre en lien les principaux acteurs pour qu’ils partagent leur point de vue sur le futur de la Défense européenne. « Après 1080 jours de conflit en Ukraine, la réélection de Donald Trump et les tiraillements entre la France et l’Allemagne quant à un fonds commun européen de la Défense, il nous a semblé important de réunir des acteurs politiques et industriels de premier plan pour nous donner en direct leur analyse de la situation. ». Et parmi le trio des intervenants, ce sont les expériences militaires, industrielles et politiques qui seront réunies.

À la rencontre des intervenants

C’est la députée européenne et membre d’Horizons, Nathalie Loiseau qui représentera le pilier politique de la discussion. Ancienne Ministre chargée des affaires européennes (2017-2019), secrétaire nationale à l’international du parti de l’ancien Premier ministre français, elle vient d’être nommée à la tête de la commission spéciale du Parlement européen chargé du bouclier démocratique. L’expérience militaire sera partagée par Bertrand Boyard, Général de brigade (2S). Actuellement conseiller spécial du Président d’Arquus. Il est aussi l’ancien commandant de la Brigade Franco-Allemande (2017-2019). Le point de vue de l’industriel sera porté par François Lombard, responsable de la stratégie chez Airbus Defence and Space. En amont de ce débat, Lesfrancais.press a pu interroger directement deux des orateurs.

3 questions à Bertrand Boyard, Général de brigade (2S)

Lesfrançais.press : « Mon Général, alors que Clémenceau disait « La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires » pensez-vous aujourd’hui que la question de la Défense européenne serait trop importante pour la confier seulement aux politiques, tant son développement n’avance pas ? »

Bertrand Boyard, Général de brigade (2S) : « L’aphorisme est séduisant, mais je crois qu’il ne rend pas compte de la réalité. Nous n’avons jamais eu, en Europe, un tel débat sur les questions de défense, et les responsables politiques s’en sont totalement saisis.

Bertrand Boyard, Général de brigade (2S)
Bertrand Boyard, Général de brigade (2S)

« La défense européenne ne se règle pas en quelques réunions, et sûrement pas au rythme médiatique auquel nous sommes habitués. »

Mais l’élaboration de positions communes sur la défense européenne obéit, de fait, à des logiques éminemment diplomatiques, car il y va de la prise en compte d’équilibres entre les intérêts des différents acteurs, nationaux bien sûr, mais aussi communautaires ; cela ne se règle pas en quelques réunions, et sûrement pas au rythme médiatique auquel nous sommes habitués. Je pense donc qu’il faut laisser le temps aux négociations, avec une grande vigilance d’une part sur les tentations de donner des gages à des acteurs extra-européens, et d’autre part sur le respect des domaines de compétences de chacun, garantis par les traités. »

Lesfrancais.press : « Lancée en octobre 2022, la European Sky Shield Initiative (ESSI) reste avant tout une initiative industrielle basée sur l’acquisition conjointe de systèmes sur étagère allemands, pour la très courte et moyenne portée (SR-30, IRIS-T SLM), américains (Patriot) et américano-israélien pour l’interception de missiles de longue et très longue portée. La position de France qui vise plus d’autonomie européenne ne semble pas être partagée par l’Allemagne. Pensez-vous que l’accord signé en janvier de cette année entre Rheinmetall et Thales pour la MGCS va nous aider à aligner nos points de vue et permettre à l’Europe d’affirmer son autonomie de Défense à moyen terme ? »

Bertrand Boyard, Général de brigade (2S): « Les deux projets correspondent à deux approches différentes : ESSI est une réponse dans l’urgence à une menace immédiate, en recourant à des systèmes de défense aérienne existants. MGCS est un programme d’armement pour développer le système de combat terrestre qui succédera au char actuel, et pour en équiper les armées européennes à horizon de la décennie 2040.

« On peut regretter qu’au moins une solution extra-européenne ait été préférée à une solution française, mais cela nous rappelle que les achats et ventes d’armes correspondent à des choix de politique étrangère. »

Là où le MGCS rassemble donc un noyau moteur franco-allemand pour lancer un programme qui s’étalera dans le temps et permettra l’intégration d’autres partenaires européens, l’ESSI recourt à des acquisitions sur étagère auprès d’industriels allemands, américains et israéliens. On peut effectivement regretter qu’au moins une solution extra-européenne ait été préférée à une solution française sur étagère, mais cela nous rappelle que les achats et ventes d’armes correspondent à des choix de politique étrangère – en l’occurrence la réassurance stratégique américaine pour les pays d’Europe centrale et orientale -, et que cette activité de nature régalienne n’obéit pas aux lois classiques du marché libre libéral. Donc, oui, le MGCS est certainement un programme structurant pour l’autonomie de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).

Invitation débat défense européenne à Munich
Invitation débat défense européenne à Munich

J’ajouterai que dans les débats en cours sur le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), dont l’objectif est bien de développer l’autonomie de la BITDE, il faut absolument veiller à ce que l’urgence ne soit plus un critère plus important que cette autonomie, au risque de reproduire les mêmes résultats que pour ESSI, éventuellement par le truchement de sociétés écrans qui importent les équipements de leurs propriétaires extra-européens. »

Lesfrancais.press : « Vous intervenez dans le cadre d’un débat sur la Défense organisé par Horizons à Munich, quelles sont vos attentes pour cette rencontre ? »

Bertrand Boyard, Général de brigade (2S) : « Mes attentes sont de deux ordres : écouter et témoigner. Écouter les analyses de la situation actuelle que feront des responsables très expérimentés dans des domaines connexes au mien. Et témoigner, premièrement sur la manière dont une ETI – une entreprise de taille intermédiaire – de l’industrie de défense terrestre s’adapte à l’environnement actuel, et éventuellement, en tant qu’ancien praticien, sur les caractéristiques inhérentes aux coopérations militaires en Europe. »

3 questions à François Lombard, responsable de la stratégie chez Airbus Defence & Space

François Lombard, Responsable de la stratégie Airbus Defence & Space
François Lombard, Responsable de la stratégie Airbus Defence & Space
Lesfrancais.press : « François Lombard, de nombreuses personnes souhaitent le développement d’une défense européenne, mais les définitions diffèrent en fonction des interlocuteurs, quelle est la vôtre ? »

François Lombard : « L’incertitude géopolitique actuelle ne cesse de mettre à l’épreuve une Union Européenne (UE) menacée par divers conflits, et pour lesquels nous devons nous préparer à leur possible extension.

« L’Union Européenne est collectivement le deuxième budget au monde en termes de dépenses militaires, mais cela ne se reflète pas dans la force de sa capacité industrielle de défense. »

Or, l’UE est collectivement le deuxième budget au monde en termes de dépenses militaires, mais cela ne se reflète pas dans la force de sa capacité industrielle de défense ».

Lesfrancais.press : « Comment expliquez-vous cette situation ? »

François Lombard : « L’industrie européenne de la défense est en effet beaucoup trop fragmentée, ce qui entrave sa capacité à produire à grande échelle et souffre d’un manque de normalisation et d’interopérabilité des équipements, affaiblissant ainsi la capacité de l’Europe à agir comme une puissance cohésive. Deux exemples emblématiques de cette fragmentation sont d’une part, les chars de combat avec douze types différents de chars lourds utilisés en Europe, alors que les États-Unis n’en produisent qu’un seul type, et d’autre part, les avions de combats, pour lesquels il y a 15 modèles d’avions en opération au sein de l’UE contre 7 aux Etats-Unis. »

Lesfrançais.press : « Que proposez-vous pour passer de cette fragmentation à une action européenne commune ? »

François Lombard : « Face aux défis géopolitiques actuels, une stratégie commune de développement de l’industrie européenne de défense, fondée sur le partage de compétences entre différents industriels et nations, apparaît de plus en plus nécessaire, ainsi qu’une ambition partagée et cohérente d’acquisition d’équipements militaires par les Etats membres.

Militaires
Militaires

Chez Airbus Defence and Space, nous croyons aux modèles industriels pan-européens comme le nôtre pour combiner les forces et les compétences à travers de grands programmes de coopérations (ex. Eurofighter, ravitailleurs en vols MRTT, A400M) et afin d’accompagner les projets d’armement du futur (ex du Système de combat aérien du futur – SCAF, Eurodrone). Pour réussir, cette ambition collaborative devra être soutenue par des initiatives politiques et budgétaires telles que le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP) adopté le 5 mars 2024.

« Chez Airbus Defence and Space, nous croyons aux modèles industriels pan-européens comme le nôtre pour combiner les forces et les compétences à travers de grands programmes de coopérations »

Depuis 2022, les contours d’une politique industrielle de défense européenne commencent en effet à prendre forme dans l’UE et de nouvelles mesures et budgets ont été mis en place, destinés à soutenir la compétitivité et le développement de l’industrie de la défense européenne. C’est une bonne nouvelle, même s’il va falloir accélérer, simplifier et amplifier ces initiatives avec des budgets plus significatifs.

Au-delà de l’aspect budgétaire, les industriels européens de la défense devront aussi jouer un rôle actif et constructif pour accompagner cette ambition vers plus de coopération industrielle, d’innovation et d’efficacité au sein de l’UE. »

  • Informations et inscriptions à cette conférence : https://horizons-allemagne.notion.site/msc
  • Rappel de la date et du lieu : 14 février 2025 de 18h30 à 21h00, EineWeltHaus, Schwanthalerstr. 80, 80336 München, avec une possibilité de suivre le débat en ligne, à distance.

Auteur/Autrice

  • Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.

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