L’éternel serpent de mer de l’harmonisation fiscale en Europe revient sur le devant de la scène. La difficulté de parvenir à un accord sur le plan de relance européen, pour faire face à la crise liée à la pandémie du coronavirus, a rouvert le débat sur le bien-fondé de l’unanimité requise pour toute réforme portant sur la fiscalité dans l’Union.
L’échec de la taxe sur le numérique en est un exemple récent. Cette taxe était réclamée aussi bien par les entreprises que les citoyens. Cependant, le refus de l’Irlande, qui bénéficie grandement de la présence des GAFA sur son territoire, couplée à l’ambiguïté de l’Allemagne, soucieuse de ne pas froisser son partenaire américain, ont poussé plusieurs États, dont la France, à préparer leurs propres projets nationaux, nuisant ainsi à une harmonisation de la fiscalité sur le continent. 24 pays sur 27 étaient pourtant très favorables à l’instauration d’une telle taxe.
De la même manière, certains pays n’hésitent pas à se servir de cette unanimité obligatoire comme d’un moyen de pression, une sorte de veto, pour appuyer leurs propres objectifs politiques. Ainsi, la République tchèque, en 2016, avait refusé d’approuver un projet de loi sur la TVA des revues en ligne, tant qu’elle n’aurait pas obtenu gain de cause sur un autre dossier sans rapport, où elle était en minorité.
En somme, l’unanimité qui devait concrétiser l’harmonie de l’Union, contribue surtout à permettre à certains pays de faire jouer leurs intérêts nationaux aux dépens des autres. L’unanimité n’est plus un rempart, c’est un obstacle. Il faut passer d’une souveraineté nationale étroite à une souveraineté européenne partagée.
La règle de l’unanimité, c’est 27 vetos. Cependant, des progrès significatifs
Le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis), élaboré en 2011 puis relancé en 2016 par la Commission européenne, vise à instaurer des règles uniformes de calcul des bénéfices pour les grands groupes multinationaux.
Il vise également à lutter contre l’optimisation fiscale agressive en supprimant les asymétries entre les systèmes nationaux d’imposition — un premier pas vers une harmonisation des règles fiscales en Europe.
Pour contourner la règle de l’unanimité, des solutions existent sans changer les traités européens
Il y aurait déjà à peu près tout ce qu’il faut dans les traités. Il ne s’agirait plus que de piocher à bon escient.
L’article 116 du traité de fonctionnement de l’Union européenne permet à l’UE d’agir en matière de fiscalité en invoquant des distorsions de concurrence. Le dumping fiscal n’est-il pas une des principales causes de la distorsion de concurrence ?
Que dit cet article ? « Au cas où la Commission constate qu’une disparité existante entre les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres fausse les conditions de concurrence sur le marché intérieur et provoque, de ce fait, une distorsion qui doit être éliminée, elle entre en consultation avec les États membres intéressés. Si cette consultation n’aboutit pas à un accord éliminant la distorsion en cause, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les directives nécessaires à cette fin. «
Autrement dit, l’Union Européenne peut intervenir pour décider de règles fiscales communes en votant à la majorité qualifiée !
Coopération renforcée
Concrètement, le contournement de la règle de l’unanimité pour les sujets fiscaux se pratique déjà avec la coopération renforcée. Autre innovation du Traité de Lisbonne, elle permet à un minimum de 9 États membres de s’accorder sur une législation commune.
Mise en place pour sauver le projet de taxe sur les transactions financières, elle pourrait également permettre une coopération fiscale renforcée, fondée sur le principe d’un « serpent fiscal et social européen » au sein de la zone euro.
Il s’agirait d’une étape en vue de la création progressive d’une fiscalité unique, de même que la monnaie unique avait été précédée d’un serpent monétaire européen. Comme ce dernier, le « serpent fiscal et social » se fonderait sur des limitations minimales et maximales de fluctuation.
A l’intérieur de ces marges, on retrouverait les taux d’imposition sur les sociétés, le revenu ou le patrimoine ainsi que les cotisations sociales avec en perspective une harmonisation progressive et graduelle vers des taux médians selon un calendrier défini à l’avance.
Ce projet ne pourrait reposer que sur la volonté politique des pays membres désireux d’avancer dans cette direction au nom de la coopération renforcée.
Ainsi, à l’instar de la création de la zone euro, certains pays moteurs et volontaires s’engageraient et d’autres états membres rejoindraient progressivement ce « serpent fiscal et social ».
Christophe Quarez, Membre du Comité économique et social européen et du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Un article publié en premier sur le site de notre partenaire
Laisser un commentaire