Harcèlement scolaire dans les établissements français à l’étranger : état des lieux

Harcèlement scolaire dans les établissements français à l’étranger : état des lieux

La journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire a lieu ce jeudi 9 novembre. Créée en 2014, cette journée permet de prendre conscience de la gravité de ces violences aux conséquences catastrophiques. Phobie scolaire, anxiété, dépression, et dans le pire des cas, suicide. Le harcèlement scolaire ne s’arrête pas aux frontières, c’est un fléau mondial. L’occasion de réaliser l’état des lieux du harcèlement au sein des écoles françaises à l’étranger. Écoles qui sont le reflet d’un monde polychrome. Même si les élèves expatriés cumulent plusieurs facteurs de risque, les mécanismes du harcèlement sont partout les mêmes.

Quand l’enfer c’est l’école

La souffrance des victimes

Le harcèlement scolaire est bien plus qu’un simple comportement enfantin ou de simples taquineries entre élèves. Il s’agit d’un acte nuisible et persistant, d’une maltraitance physique et/ou morale. Le harcèlement scolaire peut entraîner des répercussions dévastatrices sur la vie des victimes. Les victimes ont alors tendance à garder le silence par peur, honte ou désespoir. Elles ne se sentent pas assez en sécurité pour en parler et ressentent une profonde douleur et angoisse. Savoir identifier les signes qui traduisent une situation de harcèlement est primordial, souligne la pédopsychiatre Hélène Denis, à la tête de l’unité RSA, Refus Scolaire Anxieux au CHU de Montpellier. Les harcelés redoutent le retour à l’école, se sentent impuissants, et cherchent à protéger leur famille de leur souffrance. Les premiers indices sont souvent la perte d’appétit au petit-déjeuner et les attaques de panique à chaque retour de vacances ou le dimanche soir.

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Définition du harcèlement scolaire

Les formes du harcèlement scolaire

Stéphanie Stevens, la correspondante en Belgique de l’association Phobie Scolaire, rapporte que le harcèlement scolaire peut prendre de multiples formes. On parle de harcèlement verbal quand le harcelé subit des insultes, des moqueries, des menaces. Qu’on propage à son égard des rumeurs blessantes. S’il s’agit de coups, de bousculades et d’autres formes d’agression physique, on parle de harcèlement physique. Le harcèlement social implique d’isoler une personne, de l’exclure de groupes d’amis, ou de l’humilier publiquement. Quant au harcèlement en ligne ou cyberharcèlement avec l’avènement des médias sociaux, il est devenu alors une menace majeure. Les agresseurs utilisent internet pour harceler leurs victimes. Souvent le harceleur navigue d’un type d’agression à un autre, impliquant par conséquent chez le harcelé une souffrance sempiternelle.

Profil des victimes, des harceleurs et des suiveurs

Stéphanie Stevens poursuit : « contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de profil type ni pour les victimes ni pour les harceleurs. Tout le monde peut être touché. Ce qu’on constate, c’est qu’en amont du harcèlement, il y a souvent une vulnérabilité chez la victime, repérable par une certaine posture ou façon d’être. La dynamique de groupe est un facteur essentiel à l’âge où la popularité compte le plus. Les jeunes sont dans une désirabilité sociale et ne font pas confiance aux adultes. Il est donc crucial de ne pas stigmatiser les victimes en se basant sur des caractéristiques superficielles. Quand on parle de harcèlement, il faut imaginer un trio : le bourreau, la victime, et les suiveurs. Ceux qui sont spectateurs et ne défendent pas la victime, ont peur eux aussi d’être agressé un jour, ils préfèrent alors être du côté du plus fort. Une situation sécurisante. »

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Les mécanismes psychologiques

Conséquences dévastatrices du harcèlement scolaire

Le harcèlement scolaire peut entraîner des conséquences désastreuses sur les victimes. Les effets à court et à long terme sont profonds et peuvent inclure des problèmes de santé mentale tels que la dépression, l’anxiété et même des pensées suicidaires. Les harcelés éprouvent des difficultés académiques. En effet, les victimes ont du mal à se concentrer sur leurs études et souffrent parfois de phobie scolaire. Ils vivent aussi un isolement social, car ils craignent de nouer de nouvelles relations par crainte de nouvelles agressions. Les harcelés souffrent de traumatismes durables qui affectent leur estime de soi et leur confiance en eux.

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Helene Denis, pédopsychiatre

Mal-être scolaire des élèves français expatriés : une réalité méconnue

Recensement imprécis des cas de harcèlement scolaire

À l’heure où les statistiques précises font défaut, l’ampleur du mal-être scolaire chez les élèves expatriés reste une énigme. L’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE) se heurte ainsi à la complexité de son réseau pour répertorier fidèlement les cas de harcèlement. Les incidents signalés à l’AEFE ne reflètent qu’une fraction de la réalité, beaucoup étant gérés et résolus au sein même des établissements. Néanmoins, le rapport de l’UNESCO, « Au-delà des chiffres : en finir avec la violence et le harcèlement à l’école », publié en 2019, fournit un aperçu des données les plus récentes. Dans 144 pays, près d’un élève sur trois dit avoir été agressé physiquement au moins une fois au cours de l’année. Malgré la libération de la parole sur ce sujet, beaucoup d’enfants taisent à leur entourage les violences dont ils font l’objet. La même source de l’UNESCO mentionne que jusqu’à un enfant sur dix peut être affecté par le cyberharcèlement.

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Complexité du cadre de l’éducation française à l’étranger

Samantha Cazebonne, Sénatrice des Français établis hors de France, particulièrement engagée dans la lutte contre le harcèlement scolaire note : l’enseignement français à l’étranger inclut non seulement les établissements gérés par l’AEFE, mais aussi ceux conventionnés et partenaires. Tous n’ont pas les mêmes moyens, mais tous, en théorie ont les mêmes obligations. (…) Le harcèlement scolaire est un sujet que j’aborde systématiquement dans tous mes déplacements. J’interroge à la fois des élèves, des parents d’élèves et la direction des établissements sur la manière dont ce sujet est appréhendé et je vois vraiment une grande disparité dans le traitement

Aucun établissement à l'abri

La lutte contre le harcèlement scolaire est désormais une condition sine qua non pour l’homologation d’une école française à l’étranger. Avec un contrôle systématique et la nécessité de démontrer l’application de mesures de lutte contre le harcèlement, selon les normes françaises. « Je suis fière de cette décision car je l’ai portée dans l’hémicycle », déclare Samantha Cazebonne. Cependant, il reste des défis, notamment la formation du personnel et l’adaptation aux cultures locales où la liberté d’expression n’est pas toujours une évidence. Malgré les progrès, Samantha Cazebonne admet que dans aucun établissement qu’elle a visité, le harcèlement n’est inexistant. À son avis, la prise de conscience et la mobilisation doivent être globales, impliquant tous les acteurs de la communauté éducative, y compris ceux des services périphériques comme la restauration et le périscolaire, puisqu’ils ont aussi les enfants en charge à un moment donné et que le harcèlement est insidieux.

Quand l’expatriation exacerbe les défis éducatifs

L’expatriation est un facteur de stress supplémentaire dans la vie des élèves. Elle intensifie les obstacles éducatifs, confrontant les enfants à un environnement culturel étranger, une langue nouvelle, et les plaçant parfois en marge de groupes sociaux déjà formés. Parallèlement, la pression exercée par des parents eux-mêmes en adaptation peut aggraver ce sentiment d’isolement, créant une pression insoutenable sur les épaules de l’élève. Dans le microcosme des écoles françaises à l’étranger, ces défis ne sont pas moindres. La fréquente mobilité des élèves engendre une dynamique distincte de celle d’écoles où les relations entre élèves et enseignants sont ancrées dans la durée, compliquant ainsi l’assimilation des nouveaux venus et fertilisant, malheureusement, le terrain propice au harcèlement.

La prise de conscience du fléau du harcèlement scolaire

Les harcelés brisent le silence

Louis, un jeune adolescent, raconte comment il a été harcelé verbalement et même physiquement au collège. Les insultes et les menaces étaient constantes, et cela avait alors un impact dévastateur sur sa vie. Lucas se sentait isolé, effrayé, et incapable de faire confiance à qui que ce soit. Souffrant de phobie scolaire, il a suivi les cours en ligne via le CNED. Élodie, une jeune fille, parle du harcèlement qu’elle a subi pendant deux longues années. Elle explique que la honte et la peur l’ont empêchée de parler de son calvaire à ses parents. Elle craignait les représailles et voulait protéger sa famille de sa souffrance. Cependant, les menaces constantes l’ont poussée à bout, et elle a fini par tenter de se suicider. Toute la famille expatriée est rentrée en France.

Le difficile rôle de parents

Le harcèlement scolaire est une souffrance pour les jeunes. Et une souffrance pour leurs parents quand ils en prennent conscience. Que leur enfant soit harcelé ou harceleur, il s’agit d’un véritable tsunami pour la famille. Les parents ne sont pas toujours lucides sur le comportement de leurs enfants. Et une fois les faits découverts, ils se sentent coupables de ne pas les avoir vus avant. La plupart des parents sont soulagés de savoir qu’il existe des ateliers de sensibilisation notamment sur le cyberharcèlement à l’école, ce qui permet à leurs enfants d’en parler entre eux plutôt qu’avec eux, car ils se sentent souvent dépassés.

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Stéphanie Stevens correspondante en Belgique de l'association Phobie Scolaire

Manque flagrant de ressources pour les personnels éducatifs

La pression s’accroît sur les personnels éducatifs qui, malgré leur vigilance et leur engagement, sont dotés de moyens insuffisants. Les directives du MENJ (Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des sports) tendent à déléguer aux établissements la responsabilité de lutter contre le harcèlement, sans leur fournir les outils nécessaires. Le SNES-FSU souligne le besoin criant de personnels spécialisés tels que des conseillers principaux d’éducation (CPE), des infirmières, des assistants sociaux et des psychologues de l’éducation nationale, dont l’absence dans de nombreux établissements rend difficile le travail de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement. Le SGEN-CFDT va dans le même sens à propos du déploiement de mesures de lutte contre le harcèlement. En effet, cela ne peut se faire qu’avec des équipes complètes, nommées, et présentes dans les établissements.

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Emma Pisartz psychologue spécialisée dans l'expatriation

Les associations et psychologues spécialisés, des relais puissants

Une aide à distance

« Les consultations s’intensifient souvent en période de rentrée scolaire ou après les vacances de fin d’année, périodes charnières pour les élèves », confie Emma Pisarz, psychologue spécialisée dans l’expatriation. Selon elle, l’expatriation en soi n’augmente pas forcément le risque de harcèlement. Cependant, les conséquences peuvent être plus sévères en raison de la taille restreinte de la communauté éducative française à l’étranger, où tout le monde se connaît et où les options alternatives d’établissement sont limitées. La consultation à distance, bien que parfois accueillie avec appréhension par les parents, est bien acceptée par les jeunes patients. Ces derniers, familiers des outils numériques, se sentent à l’aise avec ce format. De plus, pour les adolescents, l’avantage de la distance est d’avoir un professionnel extérieur à la petite communauté expatriée, ce qui garantit alors une certaine confidentialité. Emma Pisarz affirme aider des élèves français expatriés partout dans le monde.

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Affiche de l'association Phobie Scolaire
Des associations à l’écoute des familles

Stéphanie Stevens, la correspondante en Belgique de l’association Phobie Scolaire, souligne qu’en tant que parents, on est démuni quand son enfant est harcelé. Il faut du temps pour trouver les bonnes personnes. Ils ont besoin de soutien. « Nous les invitons dans un premier temps à examiner nos recommandations sur notre site web avec une feuille de route expliquant les démarches à suivre. Nous leur indiquons les dates des prochaines rencontres en visio de l’association. Dans un second temps, les parents peuvent nous contacter pour fixer un rendez-vous téléphonique avec un correspondant pour faire un point sur leur situation. »

Le harcèlement scolaire est un problème grave qui a des conséquences profondes et durables sur les victimes. Les écoles françaises à l’étranger s’engagent donc à affronter le défi du harcèlement scolaire, conscientes que la responsabilité est partagée et que la lutte nécessite un effort collectif. Malgré la complexité du réseau des établissements scolaires français à l’étranger, il est urgent de briser le silence, de sensibiliser et d’agir pour mettre fin à cette terrible réalité. Il est temps de protéger les élèves et de faire en sorte que l’école soit un lieu d’épanouissement, de découverte et de sécurité pour tous.

Le communiqué de presse sur la journée du harcèlement scolaire de l'AEFE

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