Harcèlement scolaire, combat des écoles françaises à l’étranger

Harcèlement scolaire, combat des écoles françaises à l’étranger

Le harcèlement scolaire est un fléau mondial. Les écoles françaises à l’étranger tout comme les écoles de France métropolitaine et d’outre-mer sont touchées. Les conséquences sur les victimes sont dévastatrices, pouvant mener jusqu’au suicide. Il est urgent d’agir. Si le Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJ) a fait de la lutte contre le harcèlement scolaire sa priorité éducative de la rentrée 2023-2024, qu’en est-il du réseau des établissements français à l’étranger ? Quelles sont les mesures mises en place par l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) ? Quelles sont les initiatives déjà probantes et les solutions locales ?

Le plan « Climat scolaire »

Bien-être pour bien apprendre

Et si la prévention du harcèlement passait également par une amélioration du climat scolaire ? Cultiver le bien-être des élèves et des équipes éducatives pour prévenir les violences ? Déjà, en octobre 2022, dans une démarche proactive contre le harcèlement scolaire, la commission Education de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) avait étendu son champ d’action à la santé mentale des élèves. Un domaine de plus en plus préoccupant dans le contexte post-crise sanitaire. Les Conseillers des Français de l’étranger, jouant un rôle actif dans les établissements scolaires, avaient mis en évidence les problématiques de troubles comportementaux et mentaux chez les jeunes. Pour y remédier, l’AFE a initié une série d’audiences pour mettre en avant la nécessité d’adopter une approche globale et inclusive. L’enquête sur le climat scolaire montre que les relations sont majoritairement positives mais révèle aussi une préoccupation croissante de la pression scolaire et du harcèlement.

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Samantha Cazebonne, Sénatrice au Vietmam

Déploiement du programme pHARe

La rentrée 2023-2024 est marquée par l’annonce du Ministre de l’Education Nationale d’un plan prioritaire axé sur le bien-être des élèves ainsi que sur la lutte contre toute forme de discrimination et de violence. Cette annonce semble être le signe d’une prise de conscience collective de la gravité du fléau et un appel à la mobilisation générale. L’AEFE, avec ses 580 établissements scolaires et ses près de 395 000 élèves répartis dans 139 pays, est le relais des directives du MENJ mais doit intégrer la diversité des contextes locaux. Le réseau de l’enseignement français à l’étranger compte 68 établissements en gestion directe, 161 établissements conventionnés et 351 établissements partenaires.

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Mieux connaître, prévenir, détecter et traiter le harcèlement scolaire

Le plan « Climat scolaire » de l’AEFE de la rentrée 2023 place le programme pHARE au cœur de sa stratégie. Un programme consacré à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire. Ce programme cible trois axes majeurs : évaluer le climat scolaire, prévenir et gérer les cas de harcèlement. La réalité du mal-être des élèves français expatriés est méconnue. Une évaluation est donc nécessaire pour avoir une meilleure vision de la situation. La prévention est également essentielle pour sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’école au phénomène de harcèlement. En cas de harcèlement avéré, les modalités d’intervention doivent être claires. Elles doivent permettre la résolution du problème tant pour la victime que pour le bourreau.

Des effectifs à renforcer et des équipes éducatives à former

Si le SGEN-CFDT applaudit la reconnaissance du problème du harcèlement scolaire, il rappelle que des actions concrètes sont nécessaires. Pour la réussite du programme pHARe, il préconise notamment le recrutement significatif de personnels médico-sociaux. Le SNES-FSU rajoute que l’ensemble des équipes éducatives doivent être formées, y compris les personnels de droit local et les vacataires. Samantha Cazebonne, Sénatrice des Français établis hors de France confirme que l’ensemble de la communauté scolaire doit être sensibilisé au repérage des signes du harcèlement. Elle a elle-même vécu ce problème quand elle était proviseur en Espagne. Tout le monde avait vu la mise à l’écart d’une élève, mais personne ne pensait que c’était grave. Depuis, la Sénatrice a fait de la lutte contre le harcèlement scolaire son cheval de bataille. D’ailleurs, elle a mis en place avec l’aide de ses collaborateurs une plateforme collaborative dédiée à l’enseignement français à l’étranger, et notamment une carte qui répertorie l’ensemble des actions du réseau en faveur de cette lutte. 

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CNED et Phobie Scolaire

Évaluer le climat scolaire

Enquêtes locales de climat scolaire

L’AEFE propose aux établissements accompagnement et formation sur les trois volets du pHARe.  Cela concerne en particulier la réalisation d’enquêtes locales de climat scolaire (ELCS). Ces enquêtes vont permettre d’établir un diagnostic précis sur le climat scolaire afin de connaître le degré de bien-être des élèves et des personnels et d’estimer la qualité des relations au sein de la communauté éducative, notamment avec les parents. Les résultats sont attendus fin novembre.

Questionnaires pour les élèves

L’AEFE encourage une autoévaluation dès le primaire, permettant aux élèves de s’exprimer anonymement sur leurs expériences de harcèlement. Cela crée un espace où les élèves peuvent se sentir écoutés et en sécurité, contribuant ainsi à la détection précoce des cas de harcèlement. La distribution des questionnaires sur le harcèlement prévu le 9 novembre, journée de lutte nationale contre le harcèlement scolaire fait débat. Le SGEN-CFDT exprime des réserves quant à la clarté des questions, leur pertinence et le traitement des données recueillies. Le syndicat attend des clarifications sur la manière dont les résultats seront exploités.

Combattre le harcèlement scolaire à la racine

Samantha Cazebonne, Sénatrice des Français établis hors de France se félicite du déploiement dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger du programme pHARe, qui comprend une autoévaluation dès le primaire. Il s’agit d’une avancée majeure pour identifier et combattre le harcèlement dès ses premiers signes. Ce programme permet aux élèves de s’exprimer anonymement. On est ainsi sûr d’entendre et de considérer les voix des victimes et des témoins du harcèlement.

Impact positif des initiatives locales

Les écoles françaises à l’étranger s’efforcent d’adopter des mesures proactives pour assurer la sécurité et le bien-être des élèves. Elles doivent désormais implémenter des politiques et des programmes de prévention pour maintenir leur homologation. Des établissements sont récompensés pour leurs efforts. Cela montre l’impact positif d’une politique proactive, comme au Vietnam, aux Philippines ou encore au Togo. Parfois, les associations de parents d’élèves décident d’agir comme en Côte d’Ivoire, où ils ont déposé un projet permettant la formation des personnels pour lutter contre le harcèlement auprès des Conseillers Français de l’Etranger. Samantha Cazebonne, note : « dans ces établissements, il y a un climat beaucoup plus apaisé et on voit même parfois jusqu’à des harceleurs qui ont libéré totalement l’emprise qu’ils pouvaient avoir sur certains élèves et qui les empêchaient parfois, soit de travailler dans de bonnes conditions, soit même de venir à l’école tout simplement ».

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L'application 3018

Prévenir pour protéger les élèves

Des formations et des ressources adaptées

L’AEFE met en place depuis 2022 des temps de sensibilisation au climat scolaire, au bien-être et au harcèlement.  Des universitaires et des experts du MENJ interviennent devant des équipes d’encadrement, des personnels de direction, des directeurs d’école, des responsables administratifs et financiers des établissements à l’occasion de séminaires de zone. De plus, 32 formateurs « climat scolaire » sont présents partout dans le monde. Des ressources en ligne sont également disponibles. Par exemple, l’Association e-Enfance est le partenaire officiel du Ministère de l’Education nationale dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Le 3018 est le numéro national pour accompagner les jeunes victimes et aider leurs parents et les professionnels dans leur rôle d’éducation. Gratuit, anonyme et confidentiel, le 3018 est accessible sur 3018.fr par Tchat en direct, via Messenger et WhatsApp. Existe également l’application 3018.

Campagnes d’information dans les écoles

La sensibilisation de tous, élèves, familles et personnels, passe par des campagnes d’information au sein des établissements scolaires. L’occasion de valoriser les nombreuses actions menées par les élèves sous la responsabilité des enseignants, dans le cadre notamment de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire ou par la participation au prix « Non au harcèlement ». Ce prix vise à réaliser des affiches ou des vidéos sur ce thème. Par exemple, des collégiens du Lycée Français Saint-Louis de Stockholm ont créé une comédie musicale « Si c’était à refaire » avec leur professeur de musique et d’EPS. Elle raconte l’histoire d’un collégien, Éric, qui subit chaque jour des remarques et gestes désagréables de la part de ses camarades. Ses camarades se rendent alors compte qu’il s’agissait de harcèlement et se demandent comment ils auraient pu agir différemment.

Détecter pour intervenir en cas de harcèlement scolaire

Les élèves ambassadeurs : un rôle clé

Les élèves ambassadeurs sont essentiels pour détecter et contrer les actes de harcèlement au sein de leur établissement. Il s’agit d’élèves volontaires, formés pour repérer leurs camarades en détresse, victimes de harcèlement. Comme au Lycée Lyautey de Casablanca. Chaque jour, ils interagissent dans des espaces tels que les cours de récréation ou bien les cantines. Même hors des murs de l’école, leur rôle persiste, notamment à travers les interactions sur les réseaux sociaux. Leur mission principale est double : d’une part, réconforter la victime et, d’autre part, alerter un adulte de confiance sur la situation. Leur approche se veut bienveillante, cherchant à soutenir l’élève en détresse en lui offrant une épaule sur laquelle s’appuyer. Ils sont des relais d’alerte, des témoins actifs et impliqués dans la création d’un environnement scolaire sain et sécurisé.

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Lauréat du prix "Non au harcèlement scolaire" au Vietnam

Un protocole d’intervention clair

La mise en place d’une fiche de remontée des situations permettra désormais à l’AEFE de connaître tous les cas de harcèlement. Lorsqu’un cas est identifié, l’équipe de direction de l’établissement le traite au niveau local. Les établissements doivent créer leur propre protocole. Ils préviennent les incidents tout au long de l’année, ils recueillent les propos des enfants avec empathie et protègent le harcelé. Ils informent également la famille, organisent des rendez-vous médicaux et rédigent un compte rendu. Selon la gravité de la situation, ils informent les autorités judiciaires ou les services sociaux. Ils mettent en place un soutien pour l’élève, qui peut inclure un accompagnement psychologique ou des aménagements pédagogiques. Enfin, ils prennent des mesures pour renforcer la sécurité au sein de leur établissement et agissent envers le harceleur.

L’importance de protéger les victimes et d’éduquer les harceleurs

Pour aider les élèves harcelés à faire cesser les comportements qu’ils subissent, les psychothérapeutes soulignent qu’il est essentiel de se mettre à leur hauteur et de comprendre leur réalité. Une approche consiste à utiliser l’autodérision et l’humour pour déstabiliser le harceleur. En montrant que les attaques ne les affectent plus, les victimes peuvent changer la dynamique du harcèlement. C’est un travail long réalisé avec l’aide d’un psychologue afin d’armer le harcelé. Les sanctions contre le harceleur ne sont généralement pas efficaces. Les études montrent que la sanction n’a pas d’impact significatif. Expulser un harceleur déplace le problème. Au contraire, cela peut aggraver la situation en privant la victime de la possibilité d’apprendre à se défendre et à gagner le respect de ses pairs. Une autre approche est proposée.

Fait avec Padlet

L'Approche de la Préoccupation Partagée

La « méthode de la préoccupation partagée », inspirée du travail d’Anatol Pikas, un psychologue suédois préconise la mise en place d’une équipe dédiée dans chaque établissement. L’AEFE demande alors à chaque établissement de mettre en place une cellule d’écoute et de prise en charge pour accompagner les victimes tout en intervenant individuellement auprès des harceleurs. Le but ? Susciter une empathie envers la victime. Néanmoins, cette approche peut se révéler inefficace lorsque le harceleur cherche à maintenir son emprise sur la victime. Cette méthode ne fonctionne pas dans tous les cas, mais en Belgique, où elle est utilisée, 95% des cas de harcèlement sont résolus, note Stéphanie Stevens, correspondante en Belgique de l’association Phobie Scolaire.

Perspectives pour l’avenir

Tournée vers l’avenir, l’AEFE prépare d’ores et déjà des mesures renforcées. Au premier trimestre 2024, un conseiller technique sera recruté pour accompagner les établissements en situation de crise. De plus, un label « pHARe » sera créé pour reconnaître les établissements ayant déployé le programme. Cette labellisation sera accompagnée du développement d’un dispositif d’alerte renforcé. L’AEFE prévoit également la création d’un parcours M@gistere Climat Scolaire.

Le harcèlement scolaire est un fléau à combattre. Cette lutte exige l’engagement de tous les membres de la communauté éducative : chefs d’établissement, personnels, élèves et familles. Avec le programme pHARe, le MENJ affirme son engagement résolu pour garantir à chaque élève un environnement d’apprentissage sain et sécurisé. Espérons que la mise en place de ces nouvelles mesures et leur transposition par l’AEFE – mesure du climat scolaire, prévention et prise en charge des situations de harcèlement – constitue un pas décisif vers une scolarité sereine pour les élèves français expatriés. Et saluons les initiatives locales qui ont déjà fait leurs preuves dans l’amélioration du climat scolaire.

Le communiqué de presse sur la journée du harcèlement scolaire de l'AEFE

Auteur/Autrice

  • Elisabeth Marimbordes

    Elisabeth fut professeur du réseau AEFE dans plusieurs pays. Désormais de retour en France, elle exerce le métier de journaliste tout en développant sa maison d'édition et en s'adonnant à sa passion pour la photographie.

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