Guerre morale, immorale

Guerre morale, immorale

« La morale n’est jamais une bonne politique, surtout en temps de guerre ». A priori, si l’on entend par politique la prise et la conservation du pouvoir, par guerre la continuation de la politique par la violence, difficile de contester ce principe, qui sonne juste. Et qui est faux. Qui se croit réaliste et reste borgne, se croit malin, marque des demi habiles, c’est-à-dire des faux malins, à qui il manque une béquille, un œil, le relief de la troisième dimension.

45 Etats membres de l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, dont la France, ont invoqué le 30 mars le « mécanisme de Moscou », mission d’experts pour enquêter sur les violations des droits de l’Homme en Ukraine, notamment la déportation de civils, d’enfants. L’OSCE est l’héritière de la Conférence d’Helsinki, forum Est-Ouest de la guerre froide, qui aboutit à l’Acte final d’Helsinki, signé, entre autres, par Brejnev. La question des « droits de l’Homme » proliféra dans les pays de l’Est à partir de ce moment. Brejnev et l’Urss étaient plus respectueux des traités que Poutine. La nouvelle doctrine de politique étrangère de la Russie, publiée cette semaine, la présente, rempart contre l’Occident, en gardienne des valeurs traditionnelles : « neutraliser les tentatives d’imposer des principes idéologiques pseudo humanistes et néolibéraux qui conduisent à la perte de la spiritualité traditionnelle et des principes moraux ». Morale contre morale, c’est dire si l’on peut s’en passer.

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Toute politique qui se définirait comme immorale n’aurait pas même la chance d’être proposée.  

Ce que l’on appelle morale est la distinction entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui est acceptable ou non, ensemble plus ou moins vague de règles communes qui régissent la vie en société. Que la politique les ignore serait un non-sens. On n’a jamais entendu un chef politique, de Gandhi à Pol Pot, en appeler à l’immoralité.

Aucun conflit récent ne fut gagné par la supériorité militaire

Quand on regarde les conflits les plus récents, aucun ne fut gagné par la supériorité militaire. Afghanistan, Vietnam, Algérie, ces guerres furent remportées par le militairement faible. Churchill est considéré comme un chef de guerre par sa capacité à mobiliser dans une guerre « juste » ? Guerre de civilisation, ce fut dit en 1914. Une guerre peut-elle être gagnée seulement par les armes ? Jamais. Un empire perse qui s’effondre en trois batailles, souffre d’un autre mal que d’un mal d’armée.

Réduire la politique et la guerre – à des conflits a-moraux- revient à en faire des wargames qui en ignorent la raison d’être. Alors les soldats s’évanouissent. Réduire la guerre à l’affrontement, la politique au pouvoir, c’est en ignorer l’esprit, les miracles, les complexités. C’est aussi vrai aujourd’hui qu’hier, au moment où l’information, vraie ou fausse, est instantanée, comme un missile. Au temps des guerres hybrides, la guerre ne peut être que « morale ».

Ce n’est pas une question théorique. Les soldats sans morale, sont aussi sans chef, puisqu’il leur manquerait une morale de soldats. Ce qui se passe chez les mercenaires Wagner : de même qu’ils tuent sans limites (c’est le cas au Mali ou en Centrafrique), ils se font tuer par ceux qui les envoient au combat. Même un Prigogine s’émeut (ou feint de s’émouvoir) pour une petite fille, Maria, séparée de son père emprisonné, parce qu’elle avait fait un dessin anti-guerre à l’école. Même les assassins ont une mère.

Le rêve d’un Staline, d’un Poutine, est que l’ennemi n’ait aucun idéal à défendre.

D’un côté Poutine mobilise au nom des « textes sacrés de la Russie », de l’autre, Biden prône l’alliance des démocraties. La Chine, elle, propose de vagues « principes de paix », au vague relent confucéen. 

Le mandat d’arrêt lancé par la Cour Pénale Internationale contre Poutine n’est pas seulement juridique, il est d’abord « moral ». Une arme à ce point puissante que Poutine a menacé les juges de bombarder le Tribunal. 

Si je ne me bats pas pour le bien, pourquoi me battrai-je ? Staline disait : « Les idées sont des armes, pourquoi donnerais-je des idées à mes ennemis ?». Le rêve d’un Staline, d’un Poutine, est que l’ennemi n’ait aucun idéal à défendre. Alors l’ennemi fond comme la neige, comme les Américains en Afghanistan ou l’URSS en elle-même. Les empires s’écroulent par démission, non par conquête.

La géopolitique qui ignore l’âme, l’émotion, le sens du bien et du mal est une cartographie morte, sans lumière ni relief.

Il est facile de mépriser le substrat idéologique, de jouer les cyniques, ne voir dans la morale qu’une arme. C’est au moins reconnaître qu’il est impossible de faire la guerre sans buts moraux, de même qu’il est impossible de faire de la politique sans buts de justice. Les hommes ne sont pas des pions de Go. La géopolitique qui ignore l’âme, l’émotion, le sens du bien et du mal est une cartographie morte, sans lumière ni relief, aveugle.

Selon la morale du temps, il est des guerres justes et nécessaires. Les Romains prenaient garde de ne faire la guerre que si elle était « justifiée » en droit. Quand un peuple ne veut pas être asservi (c’est le cas de l’Ukraine), quand il défend un certain mode de vie (c’est le cas de la démocratie). 

La façon de combattre s’en ressent. Les lois de la guerre interdisent de viser délibérément d’autres cibles que militaires. Après Dresde et Hiroshima, les démocraties se sont scandalisées elles-mêmes. C’est pourquoi, récemment, des soldats australiens ont été condamnés parce qu’ils avaient tué des civils en Afghanistan. Naïveté, hypocrisie ? L’interdiction de la torture, de l’esclavage, du travail forcé, des viols collectifs, du pillage, ne sont-ils pas des progrès « moraux » ?

Le droit est une belle cause. Oblige à une bonne politique, c’est même la seule : celle de constituer justement un état de droit, une société où règne la loi, non le Prince ou l’Etat. Une société sans droits du citoyen est une société en effet a-politique

Le but de la guerre d’Ukraine est de donner force au droit. Son objectif n’est pas tactique, économique, énergétique, militaire, il est fondamentalement politique parce que moral. 

Ne pas le comprendre, c’est accepter que la politique ne soit qu’un spectacle de lutte, l’oppression la loi commune. C’est l’inverse de ce que la France, et bien d’autres heureusement, essaient de construire, lentement, avec maladresse, parfois reniement, mais constance : une société de droit, y compris parmi les Nations.

Aujourd’hui, les seuls qui osent s’afficher en soutien de Poutine (et non du peuple russe) sont des dictateurs qui n’hésitent pas à torturer leurs concitoyens. Comme le dit Bachar el Assad, « Aucun gouvernement dans le monde ne tue son propre peuple, à moins d’être mené par un fou ». Bachar et Poutine ne sont pas des fous. De cyniques sanguinaires, des criminels tout court : Bachar n’est-il pas le plus grand narcotrafiquant du Moyen-Orient ? Le cynique se croit malin. Il sait détruire, à la fin, se détruit.  Ceux qui croient que la politique est au-dessus de la morale n’ont rien compris ni à la politique, ni à la guerre. Ni à la morale, évidemment.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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