Guerre commerciale, de haute intensité, de civilisation. Vraiment?

Guerre commerciale, de haute intensité, de civilisation. Vraiment?

Trois idées fortes font consensus dans les médias, entreprises, gouvernements. Trois consensus, trois menaces, qui sont en fait, trois contresens : la guerre commerciale, le retour des conflits de haute intensité, les chocs de « civilisation ».

Aujourd’hui, face à la menace du dumping chinois, États-Unis et Europe se raidissent. Voitures électriques, panneaux solaires, éoliennes et autres technologies rendraient les économies occidentales dépendantes de l’Empire. Aux subventions chinoises, les États-Unis répliquent par les subventions de l’IRA. Aux taxes protectionnistes de Trump s’ajoutent celles de Biden. Pauvre Europe ! Trop lente pour fermer son marché à l’invasion, trop timide pour subventionner ses industries, même si le Green Deal s’y essaie. Tant mieux : Vivent les timides ! Ils ne cèdent pas à l’affolement et aux excitations. Ils réfléchissent.

Dénoncer la naïveté européenne en matière de commerce est naïf.  

Car ce sont les Américains, pas les Chinois, qui paient les taxes protectionnistes de Trump : plus de cinquante milliards de dollars de pertes de pouvoir d’achat, 0,3% de croissance[1].  Et qui paient les subventions de Biden.

Dénoncer la naïveté européenne en matière de commerce est naïf. Le commerce de l’Union européenne est nettement excédentaire. Son important déficit avec la Chine est, en fait, sans importance. La dépendance est réciproque. Qui est le plus dépendant : Le fournisseur ou le client ?

Soit, il y a des domaines stratégiques.  La voiture électrique est stratégique. Comme le blé, les puces, le lithium, le pétrole, les roulements à billes, la grande distribution, l’agriculture, l’art et le petit commerce. Tout est stratégique. Une catapulte américaine manque sur le Charles de Gaulle ? Les Rafales restent à quai.

La leçon ? Pouvoir acheter ce qui manque; créer des produits nécessaires aux autres. Exemple : si l’Occident produit 99% des pneus (c’est le cas), les Chinois ne seraient-ils pas dépendants ? Ce ne sont pas les pneus, ni le lithium , qui comptent, mais la capacité financière.

Les Chinois nous agressent avec leur dumping sur les voitures. Profitons-en. Si les Saoudiens faisaient du dumping en baissant le prix du pétrole, n’en profiterions-nous pas ?  Cela permettrait d’allouer la différence de prix à d’autres produits, d’autres investissements. À financer le spatial, l’aéronautique, le nucléaire, la transition écologique, l’agriculture bio, l’éducation ou la santé.

Se livrer à une course à la subvention ne sert que les lobbies industriels. Si la Chine fait du dumping sur l’automobile, investir sur l’Intelligence Artificielle. C’est elle qui, demain, conduira la voiture, et l’usine.

Si la Chine fait du dumping sur l’automobile, investir sur l’Intelligence Artificielle.

Les Chinois sabotent notre industrie pour ensuite, relever les prix. C’est parier sur notre bêtise : Nous serions incapables de profiter des économies réalisées sur les voitures pour investir dans les batteries? Ah, mais « notre » industrie automobile ?  Elle est déjà mondiale. Pas une voiture au monde, pas même les Chinoises, n’est «nationale ». La voiture électrique est une batterie sur roue. Combien de temps a mis Elon Musk pour bâtir son industrie à partir de zéro ? Subventionner Renault et BMW produit-t-il des Musk ? Profitons des soldes chinois pour couvrir les bâtiments publics de panneaux solaires et se rendre moins dépendants du pétrole du Golfe.

Qui plus est : Pour régler les entorses à la concurrence, il y a un juge de paix pour la guerre commerciale : l’OMC. Quelle est la paralysie européenne qui fait que le premier marché mondial est incapable de renforcer l’OMC ? Peut-être y aurait il plus d’inconvénients que d’avantages à étaler nos propres subventions.

Siège de l’OMC à Genève ©OMC/WTO

C’est la puissance économique et financière de l’Europe qui a attiré l’Ukraine, comme il attire aujourd’hui la Géorgie et l’Arménie.  

La guerre économique n’est qu’une facette de la guerre tout court. Sauf que la guerre économique n’existe pas : ce qui existe, ce sont des échanges et des compétitions entre entreprises (et non entre pays, on l’oublie toujours, et cela fausse la réflexion). Le résultat, c’est la puissance financière qui est, elle, un volet des rapports de puissance et donc de la guerre. C’est la puissance économique et financière de l’Europe qui a attiré l’Ukraine à choisir le modèle européen, comme il attire aujourd’hui la Géorgie et l’Arménie. Et les Russes tentent de résister à cette attraction par la guerre, la vraie guerre.

La guerre ? Elle se rappelle à nous. Tous de rappeler que les Européens ont profité, naïvement encore, des dividendes de la paix, ignorant que le monde était dangereux. Naïfs que nous sommes, incapables de faire face à une guerre de haute intensité, alertent experts et généraux. C’est vrai. Mais quelle guerre de haute intensité pourrait bien survenir ? Dans quelle guerre aurions-nous besoin de chars et d’artillerie, alors que nous avons une force nucléaire ? Dans quel scenario combattrions-nous dans les plaines d’Europe centrale ?

De quoi manquons-nous le plus ? Comment les Russes nous attaquent-ils ? Avec des chars ou des espions, cyber ? Ils achètent politiques et fonctionnaires, faussent les campagnes électorales par des fake-news (comme l’élection américaine de Trump, celle du Brexit ou les … élections européennes).

La guerre de haute intensité, « informationnelle », que nous ne menons pas.

Soit, il faut reconstituer les munitions. Surtout pour l’Ukraine, pas pour défendre Strasbourg ou la Nouvelle Calédonie, stipendiée par des émissaires d’Azerbaïdjan. La guerre de demain, d’aujourd’hui, est plus insidieuse, plus complexe que le nombre d’obus ou d’avions. Il faut être en Chine, en Russie, en Iran, par les liens humains, les réseaux, et la maîtrise de l’information. Pourquoi ne sommes-nous pas capables d’attaques virales comme osent le faire impunément Russes et Chinois ? Là est notre faiblesse. Là est la guerre de haute intensité, « informationnelle », que nous ne menons pas.

Le Président de la République dit « espérer qu’on n’aura pas à faire la guerre ». « En Ukraine se jouent la souveraineté et l’intégrité du territoire de ce pays. Se joue aussi l’Etat de droit, nos règles communes ». Les dictateurs se donnent la main, Xi Jing Ping prend le thé sous la neige du Tourmalet avec Macron mais excite la Hongrie et la Serbie pour diviser l’Europe. Preuve de faiblesse : En être réduit à flatter la Serbie, pour l’Empire du Milieu ! Tous les moyens sont bons pour « Porter la confusion chez l’ennemi » et désunir l’Europe. Dans le conflit entre « autocrates » et « démocraties libérales »,  les alliances sont la clé. Qui vote contre l’Europe, à part les Chinois et les Russes, et quelques idiots utiles ?

Une guerre de civilisation ? En fait non. Il n’y a aucun modèle alternatif à la démocratie, comme pouvait l’être le communisme. Le « Rêve chinois » n’est partagé par personne. Il n’y a pas de modèle russe. Il y a un modèle iranien, mais l’islamisme révolutionnaire, chiite ou non, met l’Islam en crise plus que l’Occident. Aucun impact de la Charia dans le droit européen ou celui des Nations-Unies. Ni le « grand remplacement », ni le décolonialisme ne mettent pas en cause l’invention occidentale du droit des femmes. Aucune série télévisée islamiste concurrente à Taylor Swift. Fukuyama n’avait pas tout à fait tort : Il n’y a pas de contre modèle à la Démocratie libérale, il n’y a que des adversaires. Pas de conflits de « civilisation », contrairement à ce que disait Huntington, mais une crise de civilisation, mondiale.

Qui vote contre l’Europe, à part les Chinois et les Russes, et quelques idiots utiles ?   

« L’Occident », racine de cette civilisation mondiale, a toujours été en crise ; c’est son mode de fonctionnement depuis la peste médiévale. Nous vivons une révolution qui change toutes les relations sociales, tous les modes de production, notamment ceux du savoir. Comment les sociétés ne seraient-elles pas en crise ?

Le système démocratique lui-même est en crise et c’est bien normal. Les manifs estudiantines, à Science Po ou Harvard sont tristement éclairantes. Mais les jeunes Maos de 68 étaient-ils plus lucides ? Les Démocraties sont-elles pour autant obsolètes ? Par quoi les remplacer?  L’enjeu :  Quels seront les formes de pouvoir, les formes des Etats, des puissances publiques futures ?

La peur est un excellent moyen de mobilisation mais un mauvais guide. Ni le dumping chinois, ni la guerre de haute intensité, ni le choc de civilisations ne sont de vraies menaces. En revanche, nos illusions, nos raidissements, le sont. Dans l’art de la guerre, Sun Tzu est un maître, Bonaparte un génie : « La bataille se rit du code. Elle en exige un nouveau. Inventé par elle et pour elle et qui disparaît dès qu’elle est terminée. ».

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice des sites Lesfrancais.press et France Pay

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