Guerre aux enfants, surtout aux filles

Guerre aux enfants, surtout aux filles

L’Iran, avec les bons offices de la Chine, a rétabli ses relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite. Un message apaisant ? Un moment curieusement choisi. En Iran, plus de 5000 jeunes filles ont été empoisonnées. Cet empoisonnement massif, planifié, ne peut se faire sans le soutien du régime. Des centaines d’écolières ont été intoxiquées dès le mois de novembre. Depuis, les empoisonnements se sont étendus à 230 écoles de filles. Ils gagnent l’université : à Ardebil, à la faculté des sciences, l’électricité a été coupée, puis le gaz a été libéré. C’est la guerre aux enfants !

Ahmad Vahidi, ministre de l’Intérieur, avait commencé par déclarer que « plus de 90 % des empoisonnements n’ont pas été causés par des facteurs externes, la plupart venaient du stress ». Puis le gouvernement reconnaissait avoir trouvé du gaz N2, un « empoisonnement délibéré ».

En Iran, empoisonner les filles et accuser les mères 

L’ONU a demandé une « enquête transparente ». Tout semble transparent : les jeunes femmes sont les ennemis, elles mènent la révolte contre les ayatollahs, mieux vaut les combattre dès leur plus jeune âge, les éloigner des écoles. 

Une jeune femme alitée à l’hôpital après des rapports d’empoisonnement dans un lieu non spécifié en Iran, image fixe tirée d’une vidéo du 2 mars 2023. PHOTO : VIA REUTERS / REUTERS TV

Khamenei ne disait-il pas en octobre, qu’il fallait « une petite punition » pour les jeunes qui descendaient dans la rue ? Heureusement, l’empoisonnement des écolières a provoqué des manifestations dans tout le pays, avec les parents, les jeunes, les enseignants. D’où la réaction, tardive, du pouvoir. Le Guide suprême a finalement appelé à punir les coupables : « Si quelqu’un est identifié et condamné comme l’auteur de ce crime, il n’y aura pas de pardon pour lui ».

Le Président iranien Raïssi explique : « Cela fait partie d’une conspiration plus large de l’ennemi visant à créer des troubles sociaux, à susciter la peur et l’anxiété publiques parmi les enfants de notre pays. » Il annonce, trois mois après les premières intoxications, « des mesures (…), dont vous verrez les résultats. » Des « mères », qui avaient participé aux « émeutes » ont donc été arrêtées, accusées d’envoyer leurs enfants avec du poison pour susciter des troubles.

« Le prochain à être empoisonné, ce sera vous » 

Les Pasdarans dispersent les parents qui manifestent, arrêtent les journalistes. Les vidéos se propagent malgré tout : « nous ne voulons pas de ce pouvoir tueur d’enfants », « Pasdarans, vous êtes notre Daech », « Le prochain à être empoisonné, ce sera vous ». 

L’attaque du régime iranien, de ses bras clandestins les plus extrémistes, correspond à celle des Talibans afghans contre les femmes. Interdites d’écoles, il leur est aussi interdit d’entrer dans les parcs, jardins, salles de sport et bains publics. «Confiner la moitié de la population du pays chez elle lors d’une crise humanitaire et économique parmi les plus graves au monde est un acte colossal d’automutilation nationale», dit l’ONU. La malnutrition gagne désormais trois millions d’enfants. Dans la guerre contre les femmes, les enfants paient. 

Faire peur aux femmes, qu’elles soient mères ou écolières, empêcher l’éducation, terroriser, marier de force, violer, c’est aussi l’action de Boko Haram. Ces gouvernements agissent comme les groupes terroristes, à moins que ce ne soit l’inverse. 

Des gouvernements qui agissent comme Boko Haram

Rares, dans l’Histoire, sont les régimes qui prennent pour cible les enfants. Les Nazis n’épargnaient pas les enfants juifs, les génocides, par définition, n’épargnent personne. Mais il est rarissime d’élaborer une politique qui vise particulièrement les enfants. En Argentine, en Espagne, le vol des enfants « orphelins » pour être confiés à de « bonnes familles », étaient « légitimé » pour assurer un « bon avenir » aux enfants, qu’il fallait retirer à des parents pervertis. Comme aujourd’hui en Ukraine. 

La Cour Pénale Internationale enquête sur la déportation d’enfants ukrainiens en Russie, afin de les « russifier » dans des familles ou dans des camps. Quarante-trois camps « accueillent » des mineurs ukrainiens. Des orphelins ou des enfants séparés de leurs parents sont proposés à des familles russes contre rémunération. Le Procureur ukrainien a réuni des éléments concernant 16 221 cas. Le gouvernement ukrainien et diverses ONG parlent de 200.000 enfants.

La CPI enquête sur les déportations d’enfants en Russie 

Le gouvernement russe, fièrement, de 307.000. Un décret a été pris par Poutine pour faciliter naturalisation et adoption de jeunes Ukrainiens. Il a confié à la Commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, cette « action humanitaire » pour protéger et « sauver » des enfants orphelins ou abandonnés. L’association française « Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre » avait lancé un signalement auprès de la CPI en décembre 2022. 

Ce type d’action mené par un Etat peut être qualifié de crime contre l’humanité, crime de guerre, génocide : selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le « transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe » fait partie des actes génocidaires, parce qu’un génocide vise à l’extinction du genos, la perpétuation d’un groupe humain.

A part le mythique massacre de saints innocents rapporté par saint Mathieu, l’Histoire ne rapporte pas de guerre contre les enfants. Sans doute est-ce parce que l’on atteint là le tabou le plus sacré : celui qui n’épargne pas les enfants est maudit. Celui qui les vise expressément qu’en est-il ?

Qu’espèrent ces régimes ? Il y a là comme un mur d’incompréhension. Empoisonner des gamines à l’école, déporter des bambins, est-ce une façon de proclamer sa toute-puissance, son impunité ?

Ce que le monde considère comme innommable, je le fais 

Le message serait : ce que le monde considère comme innommable, je le fais. Le tabou des enfants tombe. 

La Russie et l’Iran sont alliées. Elles sont toutes deux dans une démarche de chantage nucléaire. La première mène sa guerre en Ukraine avec la menace de la bombe ; la deuxième, parce qu’elle est proche de se procurer l’arme atomique ; très proche même, surtout avec l’aide de la Russie, qui vient de lui vendre ses avions Sukhoï, contre drones et missiles. 

Comment le monde, pas seulement les « Occidentaux », mais aussi la Chine, l’Afrique, les pays arabes, l’Inde, peuvent réagir ? Les tueurs d’enfants devraient être bannis, sur toute la planète. Au contraire, c’est le moment choisi par l’Arabie saoudite pour renouer avec l’Iran, sous le parrainage de la Chine. Les Etats-Unis sont hors du coup. La France n’en a été informée que la veille. La « non-ingérence dans les affaires intérieures » est un principe chinois qu’apprécient Saoudiens, Iraniens, et Russes, ce qui n’empêche aucun d’entre eux d’intervenir dans toutes les affaires internes d’Afrique, du Moyen-Orient et des démocraties. Il n’est donc pas sûr que l’accord sino-irano-saoudien soit un message de paix.

Terroriser les femmes et les enfants d’abord

Après avoir brisé le tabou de s’attaquer aux enfants, quel tabou résistera ? Terroriser les écolières, violer les femmes, déporter les enfants, brûler les livres, pendre des manifestants, torturer, raser des villes, bombarder les hôpitaux, ceux qui sont capables de cela s’arrêteraient-ils pour une bombe nucléaire ? Tel est le message qu’ils veulent faire passer. Terroriser les femmes et les enfants d’abord. Seraient-ils le seul rempart de l’Humanité ? En tout cas le premier. Il en faut d’autres. 

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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