Génies politiques

Génies politiques

Ah, les grands hommes ! Voici Trump sorti de son procès, Poutine de son palais, l’un se dégageant de l’homme bison, l’autre d’assassins manchots. Xi Jinping, lui, a fait reconnaitre son génie dans la constitution chinoise. Pourtant, les vrais génies ne sont pas là.

Génie suisse, antidémagogue. 

En Suisse, le 7 mars, les citoyens se prononceront sur trois sujets complètement différents, aussi techniques que controversés : l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, la carte d’identité électronique. Quand on regarde les résultats précédents, le résultat des « votations » est sérieux et cohérent : les citoyens sont moins enclins à la démagogie que les dirigeants. Les Suisses avaient rejeté deux semaines de vacances supplémentaires à 70% des votants. 

Rien n’échappe à la responsabilité des citoyens. Il devrait même y avoir un referendum sur « les lois concernant l’urgence sanitaire ». Et le niveau de vie suit : les Suisses sont plus riches que leurs voisins. Ce n’est pas que grâce aux banques et au blanchiment : le Panama, Chypre et Malte restent pauvres. Il faut reconnaitre un génie suisse, génie d’autant plus remarquable que la Suisse compte 20% de binationaux (1 million) et 25% d’étrangers (2 millions). Tant pis pour ceux qui croient que les étrangers sont cause de pauvreté.

Génie italien : le compromis.

Génie italien : Beppe Grillo et Berlusconi s’inclinent, Salvini se couche. Tous soutiennent Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque d’Italie, ancien patron de la Banque centrale européenne. Mario Draghi a constitué un gouvernement qui va de l’extrême droite aux anciens du PCI. Le Mouvement « 5 étoiles » a fait voté ses partisans en consultation express. 58% de oui. Seulement ? 85 % des Italiens soutiennent super Mario. Effet immédiat : les taux d’intérêt italiens deviennent négatifs. 

Comment une majorité anti européenne et anti élite se retrouve avec un pro européen ancien de Goldmann Sachs, jamais été élu de sa vie ? A la fin, on s’arrange. Il y a 220 milliards d’euros à la clé. Ce n’est pas aux Italiens qu’on apprendra quelque chose en politique, ils sont capables de tout, même du meilleur. Attention : ils ont cru au charme de Berlusconi ou de Beppe, ils peuvent déboulonner Draghi aussi vite qu’ils le portent aux nues. Mais peut-être annonce-t-il la fin du « populisme », lui qui n’a de compte ni sur Facebook, ni sur Twitter.

Génie néerlandais, la tradition libérale. 

Génie batave : L’administration ayant abusivement redressé des familles qui bénéficiaient d’aides sociales, le gouvernement a démissionné. A la fin, le droit des citoyens prime sur le droit de l’Etat. Mark Rutte est au pouvoir depuis dix ans, à la tête de coalitions différentes. Ce qui n’empêche pas les Pays-Bas d’avoir mené plus de réformes d’importance en dix ans que la France en vingt. Mark Rutte, seul dirigeant ouvertement libéral d’Europe, vit dans son appartement privé, fait ses courses à la supérette le week-end, refuse les gardes du corps, vient au bureau à vélo, mais n’a pas hésité à rompre les relations diplomatiques avec Erdogan quand il le fallait. 

Et un juge a stoppé la loi d’urgence qui sera examinée en appel la semaine prochaine. Tradition libérale : les Pays-Bas ont été le premier pays libre d’Europe, avant l’Angleterre. Tandis que la France se gargarisait de Versailles, Amsterdam inventait la Bourse, et tenait Louis XIV en échec. On votera aux Pays-Bas le 17 mars, Covid ou pas. Ce n’est pas là-bas qu’on annulerait des élections. Nul ne sait quelle coalition sortira des urnes, mais personne ne doute qu’elle reposera sur un équilibre délicat, un partage du pouvoir, et une politique sérieuse.

Mauvais génie en France : la concentration du pouvoir 

On pourrait continuer cette liste de pays, marqués non par leurs « grands hommes » mais par leurs traditions. Chercher le compromis, l’apaisement, marier les contraires, n’empêche pas de gouverner. En France, démocratie imparfaite, tout remonte au sommet. Ecouter l’adversaire serait faiblesse, décider par consensus indigne d’un chef. Aussi les manifs tiennent lieu de contre pouvoir, à moins que ce ne soit les juges (alors que la justice est si faible), ou les pétitions, ou les cercles d’influence, ou les sondages.

Comme le pouvoir est concentré, donc sourd et impuissant, chacun croit que sa colère est légitime. Quant aux débats, quoiqu’abreuvé de polémiques, ils se limiteraient à « Macron/pas Macron », « Le Pen/pas Le Pen », avec la complicité des intéressés.

Une République adulte

Pourrait-on imaginer, en France, voter en plein covid, changer de gouvernement, Le Pen et Mélenchon s’unir sous l’autorité de Christine Lagarde, décider par référendum des 35 heures, de l’identité électronique, l’e-administration, de la fiscalité, de la proportionelle? Dans une République adulte, ce serait normal. 

Les pays bien gouvernés sont aussi ceux qui s’en sortent le mieux. Pays-Bas, Irlande, Portugal, Costa Rica, Uruguay, Sénégal, Corée du sud, Nouvelle Zélande, Australie, sont aussi des régimes où l’équilibre des pouvoirs fonctionne, où le droit des citoyens est conforté, petit à petit, pas à pas. La liberté ne s’oppose pas à l’égalité : les pays libres sont aussi ceux où les inégalités sont les moins élevées, où les systèmes sociaux (publics ou privés) fonctionnent le mieux. Bref, il y a des modèles qui fonctionnent. Ils ne dépendent pas des dirigeants, mais d’un certain esprit public, du génie civique… des citoyens.

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