Xi Jinping ne se déplace ni à Rome, capitale du G20, ni à Glasgow, haut fourneau de la COP 26. Ici et là, les chefs d’Etat et de gouvernement, leurs experts, après des centaines de réunions préparatoires, des milliers d’heures de hauts fonctionnaires, de dizaines de milliers de pages de contributions, élaboreront des communiqués et prendront des engagements irréversibles, contestés par les ONG. Pendant ce temps trop humain, Xi Jinping, maître d’une Chine responsable d’un quart des émissions mondiales de CO2, calligraphie ses engagements: la Chine poursuit la lutte contre le réchauffement climatique, qu’on se le dise.
Quelques milliards pour acheter des indulgences
Les mots sont francs : quand ils mentent, cela s’entend. Ainsi la lutte contre le réchauffement climatique, pour Maitre Xi, revient à atteindre le pic de pollution « avant » 2030. Après on redescend, promis. Chinois, Indiens, Brésiliens demandent aux « Occidentaux » de faire plus d’efforts que les autres puisqu’ils ont pollué avant les autres avec leur révolution industrielle. Les Européens, toujours en avance d’une faute, le reconnaissent volontiers, et s’apprêtent à dépenser quelques milliards pour acheter des indulgences, vieille tradition précapitaliste chrétienne.
Ils auraient pu rétorquer que Chinois et autres bénéficient sans payer, même écologiquement, des techniques et innovations que seuls les Européens avaient découverts à force de suie et de sueur. La diffusion du progrès polluant a été gratuite.
Mais la question du climat n’est pas celle de l’air, de la terre salie, ou des eaux flétries. Elle reste, pour Maître Xi et tant d’autres, un discours vis-à-vis de ses mandants. En Europe, l’élite est sensible aux thèses écologiques, aux Etats-Unis, moins, en Chine un peu, en Inde pas du tout. Chacun parle à ses ouailles. Elle est aussi un instrument de pression internationale, un jeu de masque des puissances.
La question du climat, un jeu de masque des puissances
Maitre Xi Jinping n’a donc pas rendu sa copie pour faire plaisir au monde : Il a repris son discours d’il y a quelques mois, devant le PCC, destiné aux 97 millions de membres du parti, l’élite qui dirige le pays et qui commence à étouffer dans les villes. Il a aussi limité les gratte-ciels. Là haut, ils chatouillent.
Xi Jinping a d’autres nuages à fouetter que ceux de Glasgow. L’immobilier menace, la croissance mollit et la censure bosse: de méchantes langues, inspirées de l’étranger, disent que l’épidémie repart et que le sinopharm serait à peine meilleur que le vaccin russe. Même le Maroc se plaindrait. Xi Jinping n’ira pas non plus au Sénégal lors du sommet Chine-Afrique. Son absence donne plus de prix encore à ce qu’aurait été sa présence, et restreint les dépenses.
Maître Xi a bien aimé que la France soit boutée de l’accord du Pacifique.
Il a eu Macron au téléphone. Un coup de fil, c’est déjà un lien privilégié. Maître Xi a bien aimé que la France soit boutée de l’accord du Pacifique. La France présidera l’UE dans quelques semaines, la flatter un peu adoucira les méfiances grandissantes des Européens, surtout que l’amie Merkel n’est plus là. De là à aller baiser la babouche du Pape comme le fait Biden à Rome, ou s’incliner poliment devant l’hirsute Boris à Glasgow au risque d’attraper un rhume de Hong Kong, il y a un risque de faux pas qu’on évite à léviter dans les nuages.
Le climat, ce n’est pas que la hausse des températures ; c’est la hausse des prix de l’énergie.
Xi Jinping se présente donc, de loin, comme un bon élève de la lutte climatique, mais un peu moins que lorsque Trump piétinait les accords de Paris. Il était un champion du multilatéralisme jusqu’à ce que Biden y revienne. Son ministre l’a dit clairement : « On ne peut dissocier la lutte contre le réchauffement climatique des relations sino-américaines ». Le multilatéralisme chinois actuel penche plutôt vers une coordination avec les Russes et quelques voisins sur l’Afghanistan et le Moyen-Orient. Il travaille d’établir avec l’Iran un accord du même type que celui -toutes proportions gardées- que celui des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite. Pétrole contre protection.
Le climat, ce n’est pas que la hausse des températures. C’est la hausse des prix de l’énergie; et celle des métaux rares. La Chine va construire dans les années à venir autant de centrales à charbon qu’en possède l’ensemble des Etats-Unis. Elle développe aussi son parc nucléaire à grandes enjambées. Elle a mis en route son EPR avant la France, développe les minicentrales, les parcs solaires et éoliens. Elle s’approvisionne en gaz russe et en pétrole iranien. Le prix du gaz flambe. Poutine non plus n’est pas là. La Russie ne risque plus l’’étranglement financier. Les Européens, au contraire, mesurent à quel point le manque de gaz, ou celui de semi conducteurs, les rend dépendants.
L’énergie reste la variable de la richesse et de la pauvreté
Le redémarrage de l’économie mondiale produit deux effets : D’une part, Le besoin d’énergie reste la variable de base des économies, c’est-à-dire de la richesse et de la pauvreté. D’autre part, les pays pauvres, ceux qui ne sont pas dans la boucle de l’économie immatérielle, même les ex-émergents, décrochent.
Maître Xi couve son empire comme un œuf de dragon. Maintenu trop serré il ne se développe pas. Trop lâche il se brise. Le bon gouvernement – la bonne démocratie- ne se résume pas pour lui à l’état de droit, les droits de l’homme et autres occidentâleries : la démocratie, c’est le bonheur du peuple. Vaincre la pauvreté, construire des logements sans que le système financier, par exemple, ne s’écroule. Seul le bien-être des Chinois limitera le bien-être des Chinois et les usines à charbon.
Les nuages d’une économie immatérielle
Il en est de même pour les États-Unis : la croissance américaine s’est appuyée sur l’exploitation du gaz de schiste, ce qu’ont refusé les Européens. Les sommes colossales qu’exige la transition énergétique ne seront octroyées qu’en fonction d’une rentabilité à venir. Les Européens voudront appliquer des normes écologiques aux importations, de fait protectionnistes, ce qui ne se fera pas au bénéfice des pays pauvres ou émergeants qui se verront interdire l’accès au marché européen. N’est ce pas le cas pour le Mercosur ? Oserait-on pour la Chine ?
Que les bourgeois et la jeunesse occidentale s’inquiètent des nuages de Glasgow, symbole du capitalisme du 19ème siècle, Xi Jinping est dans d’autres cieux : le capitalisme 4.0 chinois. Il n’a pas raison, bien sûr, mais il n’est pas certain qu’il ait tout à fait tort. Seul le dessin d’une économie immatérielle trace d’autres figures de nuages.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
Laisser un commentaire