Joe Biden rencontrera Xi Jinping à Bali. Le Premier ministre chinois Li Quekiang était au sommet de l’ASEAN et a appelé à renforcer les liens avec le Japon et la Corée. Paroles apaisantes, bienvenues après la mise en garde de Xi Jinping : « La Chine ne renoncera jamais à l’usage de la force ». Emmanuel Macron s’envole pour Bali, où il rencontrera lui aussi Xi Jinping, et bien d’autres chefs d’Etat et de gouvernement. Pour calmer les alarmes de l’amiral Richard, un des chefs du Pentagone, qui explique que « l’Ukraine n’est qu’un échauffement », que le « grand conflit est à venir », il faut s’armer, sans doute, mais surtout parler.
S’il n’y avait eu des discussions, Kherson serait-elle intacte ?
C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Ukrainiens et les Russes à Kherson. S’il n’y avait eu des discussions, l’armée russe aurait-elle pu se retirer sans pertes ? Kherson serait-elle intacte ? Beaucoup se demandent depuis des mois s’il faut ou non négocier. Heureusement, Russes et Américains (et Français, et Turcs) n’ont jamais lâché le fil. Négocier n’est pas un aveu de faiblesse. En même temps, frapper et négocier. Plus on négocie, plus on frappe. Américains et Européens augmentent les aides à l’Ukraine tout en discutant avec les Russes.
Tant que les Ukrainiens auront l’espoir de reprendre tout le territoire, la guerre continuera, mais cet espoir ne peut s’entretenir qu’avec les munitions américaines et le soutien européen, des milliards de dollars et d’euros. Les Ukrainiens vont donc poursuivre leurs campagnes de communication dans les opinions occidentales pour qu’elles, à l’arrière, tiennent. Poutine espère l’inverse, il a été lâché par la Chine sur ses menaces nucléaires, il a moins de munitions, il lui faut tenir et montrer – avec l’hiver – que la contre-offensive ukrainienne n’avance plus.
Kherson n’est pas la fin de la guerre, peut-être le début de la fin
Mais son inquiétude est à Moscou : elle est la ville où les critiques, en sourdine, sont les plus fortes. Il ne va pas à Bali car il n’y ferait pas le beau, et qu’il ne serait peut-être pas sûr de retrouver le Kremlin en l’état où il l’aurait laissé. Kherson n’est pas la fin de la guerre, elle peut être le début de la fin, soit parce que les Ukrainiens peuvent espérer une victoire totale, soit parce que le Kremlin aura dans l’hiver qui vient un urgent besoin de paix.
Au G20, les appels à la paix ne vont manquer. Sur quelles bases ? Rappelleront-ils l’intangibilité des frontières internationales ? Que diront, cette fois, l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du sud, le Président du Sénégal, au nom de l’Afrique ? Emmanuel Macron avait demandé à l’Onu que les neutres s’engagent. La défaite russe de Kherson les délivrera-t-ils de leur timidité ?
L’agressivité de la Chine soude avec les Occidentaux plus de pays qu’elle n’en éloigne
L’accord russo-ukrainien sur les exportations de céréales a été maintenu, signe, une fois encore, qu’il faut parler, même sous le feu. Les Occidentaux, toujours capables de se quereller, par exemple sur les subventions nationales américaines dénoncées avec force cette semaine par les Européens, paraissent plus unis que jamais. Et l’agressivité de la Chine soude autour d’eux plus de pays qu’elle n’en éloigne. Vietnam, Indonésie, Thaïlande, Corée , Japon, Malaisie, l’Asie craint l’expansionnisme chinois, qu’il soit militaire ou financier.
Après Bali, après Narendra Modri (Inde), Xi Jinping (Chine), Joko Widodo (Indonésie), soit les chefs d’Etat qui représentent un tiers de la population mondiale à eux trois, Emmanuel Macron ira à Bangkok, à l’Apec (Forum de coopération économique Asie Pacifique, 21 pays, de la Chine au Chili, de la Malaisie au Canada) : la France sera le premier pays à y être invité. N’est-elle pas aussi un pays du Pacifique ? Ensuite il sera à Djerba, pour le sommet de la Francophonie, puis à Washington, le 1er décembre où il rencontrera un Biden conforté par la conservation du Sénat. Combien de temps un pays de 67 millions d’habitants gardera-t-il une influence sur les affaires du monde ? Tant qu’il a quelque poids, et quelque chose d’utile à dire pour les autres.
Il a raison, Zelensky, de dire que la victoire de Kherson est une victoire des pays occidentaux, dans lesquels l’Ukraine se compte désormais, non par sa puissance économique (elle est ruinée) mais par le modèle démocratique. L’échec de Poutine a renforcé l’alliance des démocraties, elle a aussi marqué l’échec de la guerre comme moyen de résolution des conflits.
Une victoire russe en Ukraine aurait libéré tous ceux qui estiment que les problèmes se règlent avec des chars
Une victoire russe en Ukraine aurait libéré tous ceux qui estiment qu’un char règle mieux les problèmes qu’un accord. Qu’il vaut mieux bombarder qu’échanger.
En Méditerranée, les Turcs auraient été encouragés à prendre les îles grecques, au vu des côtes turques, et déchirer le traité de Lausanne : « Votre occupation des îles ne nous lie en rien. Nous pouvons arriver subitement la nuit », menace Erdogan. En Afrique, sur le modèle Wagner, de nouveaux groupes mercenaires auraient vu le jour. Des dizaines de petits Prigogine auraient tenté leur chance ici et là. N’est-ce pas déjà le modèle de seigneurs de guerre qui pullulent en Afrique ? En Algérie, le régime aurait été tenté de se refaire une légitimité contre le Maroc, au nom du peuple sahraoui. Sagement, avec les déboires de Poutine, l’Algérie remballe son matériel russe et vend son gaz à l’Europe.
Bref, la défaite russe est une défaite de la guerre. Tout cela n’est pas fini, mais tout le monde a compris le sens de l’Histoire.
Il est normal que les militaires, en France ou aux États-Unis, alertent sur l’état des stocks, la faiblesse des ressources, la montée en puissance de la Chine. Mais se reposer sur les armes n’a pas plus de sens que de se reposer sur le seul doux commerce. La « nouvelle revue stratégique », présentée à Toulon, qui fixe le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, fait la part belle aux nouveaux domaines de la guerre : espace, cyber, etc. Cela est nécessaire, évident, sans être nouveau. Encore fallait-il le faire.
Ce n’est pas à une « guerre de haute intensité », qu’il faut se préparer, mais plutôt à la guerre hybride, guerre totale
En fait, ce n’est pas forcément à une « guerre de haute intensité », qu’il faut se préparer, comme le réclame l’ancien chef d’état-major de Villiers : avant que des chars ennemis ne soient sur le Rhin, il y aura quelques bouleversements antérieurs. C’est plutôt dans la guerre hybride, autre forme de guerre totale en temps de paix, qu’il faut investir.
Ce qui est nouveau, même si cela ne fait que quelques lignes dans la nouvelle stratégie, c’est l’attention accordée par les militaires à « l’influence ». Voilà un nouveau pilier de la défense. L’échec de l’opération Barkhane n’est pas dû aux militaires, ni au manque de moyens militaires, mais à la perte d’« influence », au discours.
S’armer, frapper, négocier, parler. A tout le monde. Tout le temps. Par tout moyen. Si tu veux gagner, frappe, peut-être, mais parle. A tes amis, à tes ennemis, aux neutres, aux durs, aux colombes et aux faucons. Encore faut-il savoir parler et avoir quelque chose à dire. Mais cela, c’est une autre histoire.
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