Alors que la France est confrontée à une crise budgétaire mais aussi de valeurs, sans oublier les industries à la traine et les agriculteurs dans les rues, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou comme Premier ministre. Après Michel Barnier, c’est donc un autre enfant du baby-boom qui prend la tête du pays. Pourra-t-il apporter les réponses qu’exigent ce siècle et la mutation que vit notre pays tant sur un plan sociétal, économique qu’institutionnel !
Le centre mou
Certes, Bayrou coche quelques cases du moment : il a su flatter la Macronie sans jamais abandonner son camp d’origine, la droite parlementaire, non sans ménager la gauche et tout en maintenant des relations cordiales avec le RN. Il a émargé dans tous les partis de la droite et du centre depuis les années 90.
Hélas, il va tout de même manquer à notre Premier ministre de circonstance quelques détails infimes pour réconcilier une France inquiète. En effet, il faudrait d’abord à François Bayrou démontrer qu’il a le souci de la France, celui du peuple français. Or, le président du MoDem a longuement démontré qu’il avait, avant tout, le souci de lui-même et de sa carrière politique, de son destin, de sa personne. Il n’a jamais prouvé qu’il était prêt à sacrifier tout cela par souci de la France et des Français – bien au contraire.
Ainsi, ses opposants le font volontiers passer pour un homme certain de sa supériorité, doublé d’un amoureux du consensus plutôt que des changements d’ampleur. « Il est le génial inventeur du volontarisme d’atmosphère, une fumée que l’on sent toujours mais que l’on ne voit jamais », pointe dans son récent livre La Citadelle (Éditions Albin Michel) l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, qui l’accuse de choisir « le verbe plutôt que l’acte, l’apparence plutôt que la réalité, les joies de Narcisse plutôt que les travaux d’Hercule ».
Le touche à tout de la République
Ce père de famille nombreuse, qui fait le pèlerinage de Lourdes chaque année, n’a guère laissé le souvenir de ses combats sur le mariage pour tous, l’IVG ou le mariage homosexuel… En dehors de l’Europe, version régionale de la mondialisation destructrice des nations, on cherche en vain le fil rouge d’une carrière au centre mou.
Désormais grand-père, Bayrou a tout vu, tout fait. Il a été conseiller général des Pyrénées-Atlantiques, député, président du conseil général, ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997. Il a succédé au très centriste et très mou Pierre Méhaignerie à la tête du CDS, il a présidé l’UDF, fait un tour à Strasbourg comme député européen, occupé le ministère de la Justice sous Emmanuel Macron et Édouard Philippe (un mois et quatre jours !), occupé la mairie de Pau et le Haut-Commissariat au plan.
Un CV de touche-à-tout de la République, avec deux postes de ministre seulement. Bayrou a suscité davantage de méfiance que de fidélité. « Il a été un très médiocre ministre de l’Éducation nationale, tranche un proche d’Éric Ciotti, joint par l’AFP, qui a de la mémoire. Il sait se vendre mais ne travaille pas, contrairement à Bruno Le Maire ou à Éric Woerth. » Même bilan au Haut-Commissariat au plan. « C’est un outil qui peut être extraordinaire si on connaît finement l’État, un outil d’anticipation, poursuit notre élu : il n’a pas su le raccrocher à l’administration. Rien sur la décentralisation. Bayrou réserve son talent à ses lecteurs… ». Espérons que désormais depuis Matignon, que François Bayrou fera désormais passer les Français devant.
Matignon à tout prix ?
Désormais comme premier ministre, François Bayrou a la mission de réussir là où son prédécesseur a échoué. Il a été désigné un vendredi 13. Et un 13 décembre, jour où le roi Henri IV, Béarnais comme lui et sujet d’une de ses biographies, est né en 1553 dans sa ville de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Autant de signes pour ce catholique pratiquant, convaincu que ce sont « des étoiles mystérieuses qui nous conduisent » (SIC).
Pour arracher au Président de la République sa nomination, François Bayrou a vanté le scénario d’un « pacte de non-censure ». Pas d’utilisation de la méthode forte du 49.3 au Parlement, contre l’engagement d’un maximum de groupes à ne pas renverser le gouvernement. Un travail immédiat sur des sujets consensuels comme l’éducation, et un peu de temps pour traiter les thèmes les plus polémiques, comme les retraites et l’immigration.
Au Parlement, François Bayrou pense pouvoir rallier une partie de la gauche non-Insoumise à sa ligne « humaniste », pro-européenne et sociale-réformiste, malgré les attaques de plusieurs socialistes qui le dépeignent en « continuateur de la politique d’Emmanuel Macron ». Ou rappellent son approche conservatrice de plusieurs sujets de société, comme la légalisation de l’« aide à mourir », pourtant défendue avec convictions par le député MoDem des Français d’Europe central et des Balkans, Frédéric Petit.
Le démocrate-chrétien compte aussi amadouer Marine Le Pen. La patronne des députés du RN, qui s’est toujours sentie respectée dans leurs échanges, n’a pas oublié qu’il lui a accordé son parrainage pour la présidentielle de 2022, au nom du pluralisme. Ni qu’il a critiqué la peine d’inéligibilité à application immédiate requise par le parquet, dans l’affaire des assistants parlementaires d’eurodéputés RN.
François Bayrou et les Français de l’étranger
Hors de France, le MoDem, comme feu l’UDF, n’ont jamais été des acteurs très présents. Leur faible implantation locale le démontre. En effet, les Français de l’étranger n’ont jamais été une population ciblée par le parti centriste qui, comme son fondateur, est plutôt enraciné dans les terroirs français. Une situation que regrettent les militants du parti centriste. D’ailleurs, seul un député MoDem, Frédéric Petit, a été élu parmi les 11 circonscriptions des Français de l’étranger mais uniquement grâce à une alliance avec le parti présidentiel dont il avait reçu aussi l’investiture.
Dans le programme du MoDem, on ne trouve d’ailleurs aucune ligne sur les expatriés ou les Français nés hors de France. En fouillant sur le net, on peut découvrir une vidéo publiée par François Bayrou à l’occasion des Européennes, rien pour les législatives ou la présidentielle. Un désamour que lui rendent bien les Français de l’étranger, en effet, ils étaient moins de 500 à avoir regarder le message du chef de parti.
Quel gouvernement ?
Désormais, François Bayrou doit donc constituer un gouvernement. Une équipe qui pourra relever les défis et ne pas se faire censurer.
Alors qu’on attendait un geste du PS, dans un courrier adressé au nouveau premier ministre, François Bayrou, Olivier Faure appelle au renoncement du 49.3 en échange d’une non-censure et annonce qu’il « ne participer[a] pas à [son] gouvernement et demeurer[a] dès lors dans l’opposition au Parlement ». Le PS demande également dans ce courrier, adopté à l’unanimité par le bureau national du parti, « la garantie que [le] gouvernement ne se placera en aucune manière sous la dépendance du Rassemblement national, ni ne reprendra à son compte son programme xénophobe ». Alors que La France Insoumise a décidé de sortir immédiatement la grosse artillerie. En effet, Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, a annoncé quant à elle, que LFI votera bien la censure du nouveau Premier ministre dès sa prise de fonction. Une position que pourraient suivre les Ecologistes, comme l’indique la patronne des écologistes Marine Tondelier. Celle-ci a estimé ce vendredi sur BFMTV que ses députés n’auront « d’autre choix » que de censurer le gouvernement de François Bayrou s’il ne change pas de politique économique et s’il garde Bruno Retailleau à l’Intérieur.
Tandis qu’à droite, la relation conflictuelle entre François Bayrou plane. Les Républicains hésitent sur l’attitude à suivre mais en tous cas, ils ne lui feront pas de cadeau. Du côté du Rassemblement national, la nomination du chef du MoDem est « un prolongement du macronisme ». Pour Marine Le Pen, la nomination du Premier ministre « ne pourrait mener qu’à l’impasse ». Sur X, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale demande à François Bayrou « d’entreprendre ce que son prédécesseur – Michel Barnier – n’a pas voulu faire : entendre et écouter les oppositions pour construire un budget raisonnable et réfléchi ».
Alors dans quel vivier François Bayrou va-t-il pouvoir piocher pour constituer son équipe de choc. Car le nouveau gouvernement devra faire voter en urgence la loi spéciale pour permettre à l’Etat de fonctionner au-delà du 01 janvier, un vote qui devrait être consensuel. Mais derrière, il faudra rapidement proposer une loi de Finances pour 2024, mobiliser les Européens contre le Mercosur, s’atteler au dossier de l’immigration avant que la Commission européenne imposer son système européen, mais aussi bâtir une nouvelle alliance face au retour des impérialismes. Tout ça en menant tambours battants des réformes pour sauver notre protection sociale, relancer notre force créative, refonder notre diplomatie… Est-ce que François Bayrou, qui depuis sa nomination, fait appel à Mitterrand et à Henri IV pour signer sa gouvernance qui s’ouvre, pourra relever les défis de ce début de siècle. En tout cas, il ne faudra pas une réponse molle.
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