France - Maroc : Les enjeux économiques

France - Maroc : Les enjeux économiques

Alors que la France et le Maroc renforcent leurs liens économiques, la visite du Président Emmanuel Macron symbolise une nouvelle dynamique de coopération. Au cœur de cet échange, les enjeux d’un partenariat plus équilibré et la place stratégique du Maroc comme porte d’entrée vers les marchés africains. Deux voix clés, Abdelghani Youmni et Claudia Gaudiau-Francisco, nous éclairent sur les défis et opportunités d’une relation tournée vers l’avenir.

Abdelghani Youmni, Economiste, rapporteur de la radioscopie du Commerce Extérieur à l'Assemblée des Français de l'étranger, nous livre son analyse des enjeux économiques entre la France et le Maroc.

“Pour la France, le Maroc est le point d'accès aux marchés africains”

Abdelghani Youmni, Economiste, rapporteur de la radioscopie du Commerce Extérieur à l'Assemblée des Français de l'étranger
Abdelghani Youmni, Economiste, rapporteur de la radioscopie du Commerce Extérieur à l'Assemblée des Français de l'étranger
Lesfrancais.press : Beaucoup de monde s’accorde à dire que la première visite d'Etat du Président Emmanuel Macron sera essentiellement économique, qu’en pensez-vous ?

Abdelghani Youmni : « La visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Maroc intervient dans un contexte géopolitique et géoéconomique en ébullition et un monde en recomposition. Il faut dire qu’entre les deux pays, le politique a été en amont de l’économique avec la décision de la France, membre permanent du conseil de sécurité que le présent et l’avenir des provinces du Sahara s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine.

Dans cette relation d’amour et de raison, les relations sont dominées par des intérêts communs sur les dossiers économiques et de souverainetés. Et que dans un pays en perpétuels chantiers de constructions institutionnelles, sociales et économiques comme le Maroc, l’économie est le pilier central de l’émergence du pays. »

Lesfrancais.press : La France est déjà fortement présente au Maroc et ce dans de nombreux secteurs, faut-il s’attendre à plus d’investissement et d’engagement financier de l’hexagone ?

Abdelghani Youmni : « Le Maroc compte plus de 1300 entreprises françaises, elles emploient plus de 55 000 emplois, un stock de capital 8.1 milliards d’euros représentant 30.8% des IDE étrangers devant les Etats-Unis, l’Espagne et les Émirats arabes unis et un chiffre record en 2023 de 2.7 milliards d’euros.

L’intégration locale du Maroc dans les chaînes de valeur mondiale de l’aéronautique et de l’automobile a atteint 40 et 64%, elle se fait principalement avec la France. Dans le secteur de l’industrie automobile, les exportations ont dépassé 13 milliards d’euros en 2023 et plus de 700 000 véhicules produits pour les usines de Stellantis à Kenitra et Renault à Tanger.

Les échanges franco marocains ont atteint 14 milliards d’euros en 2023, La France est le deuxième client et le second fournisseur du Maroc avec 15,65% des échanges, le Maroc a été excédentaire de 687 millions d’euros, des résultats largement portés par des biens manufacturés industriels. »

Lesfrancais.press : Du côté du patronat marocain, on souhaite plus d’équilibre dans le nouveau partenariat économique, en clair, faire en sorte que la France ne soit plus le fournisseur du Maroc et que le Maroc ne soit plus le client de la France, qu’en pensez-vous ?

Abdelghani Youmni : « Il faut traduire les paroles en actes, l’équilibre et le partenariat gagnant-gagnant sont nécessaires pour l’avenir du Maroc et vitaux pour la relation bilatérale d’exception entre les deux pays et qui ne sont pas qu’économique mais économique, culturel et de voisinage euroméditerranéen.

Il suffit d’analyser les chiffres des IDE français pour constater qu’ils sont concentrés à hauteur de 27,3 % dans le secteur immobilier, 23.9% pour l’industrie de co-localisation partielle, 20.3% au commerce (20,3 %) et 10.5% dans les activités financières (10,5 %). Il faut rebâtir une nouvelle ère d’interdépendance industrielle et de valeur ajoutée partagée pour élaborer une vraie stratégie manufacturière d’interdépendance.

Cependant le patronat marocain doit faire l’inventaire des écosystèmes de l’économie marocaine fortement penchés vers les secteurs primaires et tertiaires et sans réels fleurons et locomotives industrielle et d’emplois productifs.

Un début de réponse est de construire des joint-ventures en parallèle avec du transfert de technologie et des formations professionnelles en mobilité, en association avec d’autres partenaires européens pour finaliser le trilemme financement, innovations technologiques et accès aux marchés.

Voyons maintenant les sentiers de la prospérité économique partagée entre les deux pays. Pour les atteindre, le Maroc est l’atout majeur, il est de plus en plus un point d’entrée géographique, linguistique et diplomatique pour accéder au marché africain.

Et pour cela, les secteurs porteurs sont nombreux : immobilier, agroalimentaire, construction navale, aéronautique transport et maintenance, logistique, économie numérique, hydrogène vert et production électrique et mobilité urbaine décarbonée. »

Lesfrancais.press : Depuis avril dernier et la visite de ministres français, une série d’investissements français ont été annoncés dans les Provinces du sud du Maroc, ce territoire constitue-t-il un nouvel enjeu économique pour les 2 pays ?

Abdelghani Youmni : « La décision de l’Etat français de faire partie du tour de table dans le financement par la filiale d’un câble électrique de 3 gigawatts reliant la ville marocaine de Casablanca à la ville de Dakhla et sur 1400 km n’est pas seulement un investissement qui contribue à relier les territoires du Sahara au reste du Maroc mais est un acte politique très fort de reconnaissance définitive de la marocanité des vastes trois régions. »

Lesfrancais.press : On annonce ici et là la signature de plusieurs accords commerciaux. Avez-vous des infos ?

Abdelghani Youmni : « Cette nouvelle ère qui s’est ouverte est marquée par le projet de construction d’une usine de dessalement d’eau de mer à Dakhla piloté par une joint-venture entre le marocain Nareva et le géant français de l’énergie Engie avec une participation de 23.46%.

Les financements sont portés par La Banque publique d’investissement, la BPI, et PROPARCO filiale de l’Agence française de développement autorisé à financer des projets français et européens et à élargir leur champ d’intervention aux trois régions du Sahara marocain, Guelmim-Es-Semara, Laâyoune-Boujdour-Sakia el Hamra et Dakhla-Oued Ed-Dahab. La société française Sade-CGTH est en charge du chantier du futur port de Dakhla Atlantique pour un montant d’un milliard d’euros.

En plus de la présence de dizaines d’EFE « Entreprises Françaises à l’Etranger » actives dans l’agriculture, la pêche et le tourisme, Les milieux d’affaires français au Maroc, où un millier de filiales d’entreprises hexagonales dont la quasi-totalité du CAC 40 sont très enthousiastes pour accompagner le Maroc dans le développement économique, social et humain des trois régions. »

Lesfrancais.press : Les échanges commerciaux France - Maroc est d’environ 14 milliards d’euros par an. Comment la nouvelle ère économique qui se dessine pourra booster ce volume ?

Abdelghani Youmni : « Pour le Maroc comme pour la France, le déficit commercial est structurel, la France mène le combat contre la désindustrialisation, le royaume du Maroc suit le chemin inverse pour accéder au club fermé des pays industrialisés. Plus précisément, les deux pays font face aux défis de l’emploi, de la croissance économique et de la souveraineté.

Si nous sommes tous conscients du fort dynamisme qui nourrit les relations économiques entre le Maroc et la France, à l’inverse les échanges commerciaux restent faibles et la marge de progression est très dense. À titre d’exemple, les échanges commerciaux entre la Tunisie et la France ont été de 8.9 milliards d’euros. Rapportés au PIB, les échanges représentent 18.3% du PIB tunisien et seulement 10% du PIB marocain.

Si les échanges du Maroc représentent 19.1% des échanges avec l’Afrique, cette lecture est trop étroite car le commerce entre la France et l’Afrique ne représente que 2% de sa balance commerciale.

L’inventivité des deux opérateurs du commerce extérieur des deux pays mènera probablement à des grandes avancées au sein d’une triangulation en direction de l’Afrique et en direction de l’Europe méridionale et la région MENA pour cause d’avantages comparatifs français et marocains parfaitement complémentaires et abrégeables. »

Claudia Gaudiau-Francisco, Présidente de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Maroc (CFCIM), présentée comme la force de frappe économique française au Maroc, s'exprime sans détour sur le rôle et la mission de l'Institution qu'elle préside.

" Nous sommes convaincus que cette visite apportera un nouveau souffle économique "

Claudia Gaudiau-Francisco, Présidente de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Maroc (CFCIM)
Claudia Gaudiau-Francisco, Présidente de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Maroc (CFCIM)
Lesfrancais.press : Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche de la venue du Président Emmanuel Macron au Maroc ?

Claudia Gaudiau-Francisco : « Ravis et enthousiastes ! Cette visite symbolise une nouvelle étape dans la relation entre la France et le Maroc, et nous sommes optimistes quant aux nouvelles opportunités et perspectives de coopération qui en découleront. »

Lesfrancais.press : Est-ce que cette visite d'État revêt un caractère particulier pour la CFCIM, présentée comme la force de frappe économique française au Maroc ?

Claudia Gaudiau-Francisco : « Absolument, cette première visite d’État du Président Emmanuel Macron est très significative pour la CFCIM. La dernière visite présidentielle remontant à 2018, principalement autour du projet du TGV, cette nouvelle étape intervient après une période de calme politique, mais avec une intensité économique marquée. Entre 2016 et 2024, les échanges économiques entre la France et le Maroc ont doublé, et cette visite ouvre la voie à de nouvelles collaborations stratégiques entre nos deux pays. »

Lesfrancais.press : En avril dernier, la décision d’accélérer la dynamique économique avait été prise avec la reconduction du mandat de la Team France Export pour 2 ans, qu’en est-il de la contribution de la CFCIM ?

Claudia Gaudiau-Francisco : « Le renouvellement pour trois ans de notre Concession de Service Public Business France illustre notre rôle clé. Nous représentons la Team France Export au Maroc, et chaque année, nous accompagnons 150 entreprises françaises dans divers secteurs stratégiques comme l’industrie, l’énergie, l’agriculture, la santé, la tech, etc…Parmi celles-ci, entre 20 et 30 finissent par s’implanter durablement au Maroc, contribuant ainsi à la dynamique économique bilatérale. »

Lesfrancais.press : Aux yeux de nombreux observateurs avertis, la visite devrait donner lieu à un nouveau modèle de partenariat économique France-Maroc, plus ambitieux, plus densifié, plus équilibré...Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Claudia Gaudiau-Francisco : « Nous sommes convaincus que cette visite apportera un nouveau souffle et donnera un nouvel élan à la relation politique, économique et d’amitié qui nous lie. Nous attendons tous avec beaucoup d’impatience les sujets de coopération qui seront décidés et annoncés par les deux chefs d’Etats et sommes certains que cela créera une dynamique et des opportunités pour les opérateurs économiques français et marocains dans de nombreux secteurs, nous pensons entre autres à l’énergie, aux infrastructures et à la santé. »

Lesfrancais.press : La France, premier investisseur au Maroc, est déjà fortement présente au Maroc avec les principaux acteurs du CAC 40, plus de 1200 filiales, est-il possible de faire plus...

Claudia Gaudiau-Francisco : « Oui, bien sûr. Le Maroc est un pays en plein développement avec des stratégies sectorielles et régionales ambitieuses. De plus, des projets majeurs, tels que ceux liés à la CAN et à la Coupe du Monde, offriront des opportunités dans des secteurs comme le BTP, les infrastructures et le tourisme. La position africaine du Maroc renforce son attrait pour l’investissement français qui pourra se positionner davantage selon les besoins du Maroc. » 

Lesfrancais.press : Comment la CFCIM compte-t-elle se positionner dans la perspective d’une nouvelle ère économique France Maroc ?

Claudia Gaudiau-Francisco : « Nous allons continuer à accompagner les entreprises françaises, notamment les PME, dans leur implantation au Maroc. La CFCIM s’engage aussi à soutenir le développement des Provinces du Sud, où nous sommes présents depuis 2017 à Laâyoune, 2019 à Dakhla, et depuis février dernier à Guelmim. Ces actions contribueront au renforcement de notre partenariat économique avec le Maroc. »

Auteur/Autrice

  • Rachid Hallaouy

    Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.

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