La France et le Maroc ont une densité de liens culturels et éducatifs sans équivalent dans le monde. Les chiffres sont éloquents. 50 000 élèves sont scolarisés dans le système d’enseignement français au Maroc et il existe une douzaine d’instituts culturels français présents dans toutes les villes d’importance. La politique de coopération est la plus importante en financement et en projets de tout le ministère des affaires étrangères.
En 2024, la programmation culturelle des instituts français au Maroc traitera du vivant
Sur le terrain, c’est le meilleur de la création artistique et intellectuelle des deux pays qui est mise en lumière pendant les 12 mois de l’année à travers des spectacles et conférences habituellement suivies par un public nombreux, citadin, éduqué et amoureux des deux cultures. En 2024 c’est à une sensibilisation sur les enjeux du vivant et sur la gouvernance climatique que ce public sera invité. Les deux pays font face à des défis communs, que l’on songe à la problématique de la préservation de l’eau ou à celle de nouvelles sources d’énergie.
Pour illustrer les liens entre les deux pays, deux professionnels donneront leur point de vue et analyses
Serge Faure, un des proviseurs les plus expérimentés de tout le réseau éducatif français
Serge Faure est une référence parmi les personnels qui ont dirigé des écoles et lycées français à l’étranger. Mexico, Prague, Valence et Lisbonne. Il a une expérience de proviseur très conséquente auprès de l’Agence pour l’Enseignement français à l’étranger (AEFE) et a dirigé au Maroc le lycée français de Rabat (1991-1997) et celui de Marrakech (de 2019 à 2024). Homme engagé, philosophe de formation, patron du syndicat national des personnels de direction (SNPDEN) pour l’étranger jusqu’au mois de septembre, il nous livre un regard sans fard sur la relation France-Maroc aux plans éducatifs et culturels.
Lesfrancais.press : Serge Faure, vous avez assumé pendant plus de dix ans la direction de lycées français au Maroc, à Marrakech et à Rabat. Pouvez-vous évoquer le rôle du réseau de coopération français au Maroc en matière éducative ?
Serge Faure : Le réseau de coopération éducative et culturelle au Maroc est un des plus dense au Monde avec 12 Instituts français et 2 Alliances françaises qui rayonnent dans 14 villes différentes du Royaume en œuvrant à la diffusion culturelle sur l’ensemble du territoire marocain et accompagnant la production de projets innovants dans les domaines artistique, numérique ou universitaire. Ce réseau, au-delà des nombreuses opportunités d’apprendre la langue française qu’il propose, de son très important maillage de médiathèques, est particulièrement présent dans le domaine du numérique, du cinéma et du débat d’idées même s’il peine à accueillir de nouveaux publics. C’est le plus grand établissement culturel français dans le Monde, preuve des liens historiques entre les deux pays.
Quant au réseau éducatif il est le deuxième plus gros réseau mondial talonnant le Liban avec près de 50 000 élèves, très majoritairement marocains, et 44 établissements scolaires dans 10 villes différentes. Ce dernier est cependant de plus en plus une alternative au système éducatif public et privé et rencontre beaucoup de difficultés à concilier son expansion et ses missions premières de coopération et de valorisation de la diversité linguistique et culturelle, créant en son propre sein une indéniable concurrence et privilégiant l’accroissement de ses effectifs au détriment d ‘une adhésion de ses parents d’élèves à ses principes et valeurs. Nombreux d’entre eux, qui ont vue l’offre doubler en 20 ans, se tournent dorénavant autant, à leurs yeux, vers des établissements scolaires de qualité à des coûts qui restent concurrentiels plutôt que vers la langue et la culture françaises. Une réflexion d’ampleur sur les missions même de ce réseau au Maroc s’impose de manière urgente en se détachant de l’injonction simpliste, et jamais questionnée, du doublement des effectifs et du Cap 2030.
Lesfrancais.press : Il y a aujourd'hui des homologations nombreuses de nouveaux établissements scolaires au Maroc preuve d'une forte demande locale pour accueillir davantage encore d'élèves qui suivront des programmes "à la française". Le syndicaliste que vous êtes - vous avez dirigé jusqu'à une date récente le syndicat des personnels de direction à l'étranger - voit-il cette politique expansionniste d'un bon œil ?
Serge Faure : « L’important, comme je l’évoquais à l’instant est bien de savoir qu’elle est la finalité de l’enseignement français. Pour moi le projet scolaire français à l’étranger a une vocation qui relève plutôt de l’universel. Ouvert sur la langue et la culture des pays qui accueillent ses établissements, mais aussi, et la chose est assez remarquable pour mériter d’être soulignée, ouvert à la diversité et à la différence scolarisant des élèves de toutes nationalités et confessions. École de la tolérance tout d’abord mais aussi de la différence, notre système éducatif à l’étranger se doit de former en effet des individus nourris à l’acceptation de l’autre. Dans ce mélange des cultures, on peut dire que l’esprit de l’enseignement français à l’étranger et notamment au Maroc est constitué, pour et par chaque identité, de ce que celui-ci a importé, échangé et traduit. Ce sont donc bien, en fait, les valeurs de la rationalité philosophique que doivent chercher à promouvoir nos établissements français au Maroc : pensée critique, analyse rigoureuse du réel et du langage, argumentation contradictoire et réfutable…La méthode, le sens critique, sont autant d’outils intellectuels qui permettent de poser un regard pertinent sur le monde qui nous entoure. Ces missions sont-elles compatibles avec l’ouverture de nouveaux établissements qui visent prioritairement à dégager des profits et peuvent-elles attirer toujours plus de familles marocaines dans le contexte géopolitique actuel ? J’ai quelques doutes. Inscrire un élève marocain dans un établissement français relève d’une adhésion à des valeurs du choix de la bi-culturalité et d’un projet familial, tout autant d’aspects qui ne me semblent guère compatibles avec la seule volonté de doubler les effectifs d’élèves scolarisés dans des établissements français. C’est particulièrement vrai au Maroc où beaucoup de ces nouveaux établissements sont bien éloignés des missions et valeurs fondatrices de l’enseignement français à l’étranger. »
Lesfrancais.press : L'enseignement à la française c'est aussi la diffusion de valeurs comme la laïcité. Comment ce sujet est-il abordé dans un pays musulman ?
Serge Faure : « En effet, si nos établissements sont par nature français, ils sont marocains par destination et fermement ancré dans le Royaume, et pour autant ils sont porteurs de principes fondateurs. Ces principes s’articulent autour de celui, fondamental, de laïcité, qui assure la liberté de conscience et l’égalité de traitement de chacun. Pour moi, la laïcité c’est d’abord un état, une situation du « je » de la subjectivité qui prend distance vis-à-vis de toutes ses croyances et de tous ses préjugés. C’est une exigence de neutralité mais qui s’incarne dans une posture de mise à distance, de suspension du jugement. Ce n’est donc pas, comme on l’entend souvent, une spécificité française mais la capacité de la conscience à prendre distance par rapport à ce qu’elle croit, à ce qu’elle juge, spontanément ou culturellement, vrai, juste, beau, acceptable ou incontestable…À ce titre, la laïcité est un principe qui a une valeur universelle car il est lié à la nature humaine, à l’essence même de l’homme.
Aussi, même dans un pays musulman comme le Maroc, ce principe doit être avancé comme ce qui fait l’essence même de notre système éducatif et compris ainsi il ne devrait pas être source de tensions. Encore faudrait-il que les personnels soient formés à ce que signifie la laïcité pour échapper aux poncifs colportés par les uns et les autres, et que les autorités françaises et notamment diplomatiques soient capables d’accompagner les établissements et leurs cadres, de donner des consignes claires et ne réduisent pas la question de la laïcité au port de tel ou tel vêtement dans une enceinte scolaire, plutôt que de se réfugier dans le « pas de vagues » qui tue dans l’œuf toute réflexion partagée, toute confrontation de vision du monde et de la complexité, ou bien encore, par exemple, de mettre à distance les élèves lors des commémorations en hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard. »
On voit bien que ces deux questions, au centre de l’évolution de l’enseignement français au Maroc, celle du développement du réseau et de l’ouverture de nouveaux établissements partenaires et celle des principes fondamentaux de l’enseignement français autour du principe de laïcité sont en fait intimement liées. En effet, comment dans cette volonté de marchandisation de l’enseignement français à l’étranger, de ne plus distinguer le public du privé, de ne pas mettre en avant comme critère incontournable de toute homologation les principes et valeurs fondamentales de l’enseignement français, de créer l’illusion d’une demande de scolarisation accrue en allant chercher des parents qui n’adhèrent pas à un système éducatif mais achète une offre concurrentielle…instaurer au sein de nos établissements un véritable dialogue interculturel et faire de ces derniers des lieux de culture de l’entre-deux, de coopération éducative et de formation qui s’inscrivent tout naturellement dans un cadre biculturel et qui privilégient, au-delà de la réussite scolaire, l’enrichissement personnel de tous les élèves et leur éducation au jugement critique dans un esprit de tolérance, de respect mutuel afin de s’engager dans une citoyenneté mondiale sautant allègrement au-delà de la francité. La responsabilité des acteurs de l’enseignement français est grande en cette période charnière et particulièrement au Maroc.
Lesfrancais.press : Au cœur de la relation franco marocaine il y a ces milliers d'élèves qui sortent avec le bac en poche et qui pour certains vont poursuivre leurs études en France. Ces "Alumni" qui sont marocains pour une large majorité forment-ils "des amis pour toujours" de la France ?
Serge Faure : « Je ne suis pas persuadé que cette question doit être abordée sous l’aspect du rapport à la France. Les élèves marocains des lycées français historiques du Maroc restent très attachés à leur langue et à leur culture et c’est tout à l’honneur de la formation qu’ils ont reçue dans ces établissements. Beaucoup s’engageront plus tard dans et pour leur pays. Ils partagent aussi un fort sentiment d’appartenance à une communauté qui s’incarne avant tout dans des lieux de vie (l’établissement), des histoires vécues et partagées, des personnels qu’ils ont côtoyés, des projets portés en commun, des personnalités marquantes de la société éducative, des moments de joie et de rigolade, de tristesse aussi, de tensions et de partage, de réussites et d’échecs. Ce sont avant tout des citoyens du Monde, avertis et engagés qui de fait, comme je le signalais plus haut, transcende allègrement la francité comme la marocanité. »
Nadia Larguet, franco marocaine, personnalité publique, s'exprime sur le sens des diffrents enjeux culturels de la relation France-Maroc
"La visite du président Macron marque une nouvelle ère de coopération "
Nadia Larguet, personnalité publique
Lesfrancais.press : Quelle appréciation faites-vous de la relation France-Maroc sur le plan culturel ?
Nadia Larguet : « Elle est riche et diverse. Il y a l’aspect institutionnel, avec des coopérations entre des organismes importants, comme la Fondation des Musées et l’Institut du Monde Arabe, ou encore la présence d’une douzaine d’instituts français au Maroc. Mais il ne faut pas oublier les initiatives individuelles, d’artistes et de professionnels de la Culture, qui s’emploient à la faire vivre au jour le jour. Ce qui explique avant tout le dynamisme de cette relation, c’est l’intérêt du public pour les manifestations culturelles proposées, généralement d’une grande qualité. »
Lesfrancais.press : Est-ce que le récent rebond des relations entre les 2 pays peut/doit donner lieu à une refonte du modèle culturel jusqu ici partagé ?
Nadia Larguet : « Je le crois. En tout cas, je l’espère vivement. Particulièrement en ce qui concerne l’ouverture du Centre culturel marocain à Paris, très attendue depuis des années, sur le boulevard Saint Michel. Cet institut culturel, annoncé sur une superficie de 1400 m2, sera une vitrine magnifique pour notre pays, au cœur de la capitale française, qui accueille des millions de touristes du monde entier. L’impact sera incontestable, j’en suis convaincue. Je vais postuler ! (sourire). »
Lesfrancais.press : Que vous inspire le choix du thème "Le vivant" de la nouvelle programmation culturelle de la France au Maroc ?
Nadia Larguet : « Cela veut tout d’abord dire que les liens entre les deux pays sont bel et bien vivants ! Le communiqué de presse est précis, il indique bien qu’il s’agit, dans un même temps, de parler des origines du Vivant, avec par exemple, de l’archéologie et de l’astrophysique, que des objectifs environnementaux que se sont fixés les deux pays.
Sur ce dernier point, je trouve particulièrement important que les effets dévastateurs de la sécheresse soient illustrés à travers des œuvres artistiques. Car, sur ce dossier, toutes les occasions sont bonnes pour rappeler qu’il s’agit d’une urgence pour le Maroc. »
Lesfrancais.press : Quelle projection culturelle feriez-vous de la relation France-Maroc sur les 20-25 prochaines années ?
Nadia Larguet : « Je n’ai pas de boule de cristal mais tout le monde sait que je suis une éternelle optimiste surtout quand il s’agit de fraternité ! En tout cas la visite du président Macron marque une nouvelle ère de coopération renforcée à plusieurs niveaux et cela est une excellente chose. »
Auteurs/autrices
-
Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.
Voir toutes les publications -
Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
Voir toutes les publications