Les juges français ont-ils quelque chose à dire -et surtout à juger- sur des faits commis à l’étranger ? La réponse est oui. A partir du moment où des Français sont impliqués, comme victimes ou comme acteurs, les juges peuvent être saisis, voire se saisir d’eux-mêmes. C’est ce que nous explique Maître Alexandre Varaut, avocat à la Cour d’appel de Paris, ancien secrétaire de la Conférence, ancien membre du Conseil de l’Ordre.
– Pouvez-vous nous expliquer le traitement des infractions commises par des Français à l’étranger ?
– Le principe général est celui de la territorialité de la loi pénale. Si vous commettez une infraction en Angleterre ou en Arabie Saoudite, c’est la loi de ce pays qui doit s’appliquer. Les exceptions sont cependant nombreuses.
– Quelles sont les exceptions prévues par la loi ?
Un crime ou un délit puni d’emprisonnement, commis à l’étranger par un Français peut être poursuivi devant les juridictions françaises, ce qui est peu connu. Il faut cependant que le fait soit considéré comme délictueux dans le pays où il a été commis et en France. Il faut en plus qu’il y ait eu une plainte de la victime ou une dénonciation officielle des autorités du pays où l’infraction a été commise. C’est une hypothèse qui trouverait à s’appliquer, notamment dans le cas où une personne qui aurait commis un délit à l’étranger serait ensuite rentrée en France.
Dans la mesure où la France n’extrade pas ses propres ressortissants, la personne pourrait néanmoins être jugée par les Tribunaux français pour le délit ou le crime qu’elle a commis à l’étranger.
– La règle est-elle la même quand c’est la victime qui est française ?
Quand un crime ou un délit puni d’emprisonnement est commis à l’étranger, quelle que soit la nationalité de l’auteur de l’infraction, au préjudice d’un français, les juridictions françaises sont compétentes. Vous pourrez donc toujours comme victime déposer plainte. Bien sûr la difficulté peut être celle de l’enquête. J’ai eu à connaître d’une plainte déposée en France pour l’assassinat d’un homme d’affaires français en Lybie ou d’une plainte déposée également à Paris pour l’enlèvement d’un ingénieur dans le nord du Mali.
Dans la première affaire, les enquêteurs n’ont pas pu se déplacer en raison des conditions de sécurité extrêmement précaires à Tripoli ces dernières années. L’enquête a pu en revanche être menée au Mali en coopération entre les polices françaises et maliennes.
De manière générale, la bonne coopération de la police locale sera toujours un point crucial et parfois délicat dans certains pays.
– Existe-t-il des cas plus particuliers ?
La loi prévoit en effet que pour les infractions sexuelles commises sur un mineur à l’étranger par un français ou une personne résidant habituellement en France – ce que l’on appelle communément le tourisme sexuel – la personne pourra être poursuivie selon la loi française et devant les Tribunaux français, même sans plainte de la victime. De la même manière, les Tribunaux français seront toujours compétents quel que soit le lieu de l’infraction du moment que l’auteur se trouve en France pour les actes de terrorisme, d’atteinte à la sécurité aérienne ou maritime ou de corruption, selon divers traités internationaux.
– Que se passe-t-il quand les faits ont été commis en partie en France et en partie à l’étranger ?
Les tribunaux français ont développé une jurisprudence qui rend beaucoup plus facile la poursuite de délits transnationaux devant les juridictions françaises.
Il peut suffire qu’un fait, même mineur, ait été commis sur le territoire français, par exemple l’émission d’un chèque, pour que l’ensemble d’une infraction complexe relève de la justice française.
Il se peut aussi qu’une infraction entièrement commise à l’étranger soit en lien avec une infraction commise en France. Dans ce cas, les Tribunaux français n’hésiteront pas à se considérer compétents pour juger les deux infractions selon le mécanisme de la connexité. Deux exemples aideront à mieux comprendre.
Il y a quelques mois, la Cour de Cassation française a examiné le cas du fils d’une très célèbre personnalité politique française qui souhaitait jouer dans un casino marocain. Le jeu lui a été refusé car il avait des dettes. Il a fourni de faux documents établis à Marrakech pour faire croire à un virement au profit du casino depuis le territoire marocain. La loi française n’était a priori pas compétente puisque tout se déroule à l’étranger. Le casino n’avait pas déposé plainte. Cependant, la Chambre Criminelle va retenir que la France est compétente puisqu’il y a un faux commis au préjudice de la banque française laquelle a déposé plainte. C’est ainsi que cette personne sera jugée en France non seulement pour le faux au préjudice de la banque, mais encore pour l’escroquerie au préjudice du casino.
Dans une autre hypothèse, un assassinat avait été commis en haute mer, c’est à dire hors des eaux territoriales qui délimitent la compétence des juridictions françaises. Cependant, les assassins avaient poursuivi les témoins jusque dans les eaux territoriales pour les menacer et c’est cette deuxième infraction jugée indivisible de la première qui permettra à la Cour d’Assises française de juger le crime commis hors des eaux territoriales.
La rédaction avec Maitre Alexandre Varaut
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