Le 12 mai, l’Assemblée nationale examinera dans l’hémicycle un projet de loi très attendu et profondément clivant. Celui sur la fin de vie. Annoncé par le président de la République et porté par la ministre de la Santé Catherine Vautrin, ce texte vise à légaliser, sous conditions strictes, une forme d’« aide à mourir ». Le tout en rénovant l’approche globale de la prise en charge des derniers instants de vie. À l’image, entre autres, de la Belgique, de la Suisse ou du Canada, la France semble prête à franchir une étape historique dans sa législation.
Une réponse à une demande sociétale
La réflexion française sur la fin de vie ne date pas d’hier. Le projet de loi actuel s’inscrit dans la continuité d’un processus de maturation amorcé en 2022 avec l’avis favorable du Comité consultatif national d’éthique. Celui-ci s’est prononcé pour une « aide active à mourir » strictement encadrée, à condition de renforcer parallèlement les soins palliatifs.
Dans la foulée, la Convention citoyenne sur la fin de vie — composée de 184 citoyens — a, en avril 2023, appuyé cette évolution législative, en réclamant « des soins palliatifs pour toutes et tous et partout » et « l’ouverture d’un droit au suicide assisté et à l’euthanasie. Les citoyens ont estimé que « le cadre législatif actuel était insuffisant ».
L’ADMD : Une association engagée en faveur du droit à l’aide active à mourir
Parmi les acteurs les plus engagés dans le débat autour de la fin de vie figure en première ligne l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), fondée en 1980. Avec plus de 80 000 adhérents, elle représente aujourd’hui un véritable lobby citoyen en faveur du droit à l’aide active à mourir. L’ADMD milite depuis plus de quarante ans pour que chaque individu puisse choisir librement les conditions de sa propre fin de vie, y compris en ayant recours à l’euthanasie ou au suicide assisté, dans un cadre légal strictement encadré. L’association soutient que le droit de mourir dans la dignité est un prolongement naturel des droits fondamentaux, au même titre que le droit à la vie ou à la liberté de conscience.
Au fil des années, l’ADMD a multiplié les campagnes de sensibilisation, les tribunes publiques, les pétitions et les interventions auprès des parlementaires pour faire évoluer la législation française, jugée trop restrictive au regard des attentes de la société. Elle a également contribué activement aux travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, en apportant des éléments d’information, en relayant les témoignages de patients et de familles, et en soulignant les lacunes du dispositif actuel. Elle considère que le projet de loi actuellement débattu constitue un pas décisif, tout en restant attentive à certains points sensibles. Comme l’effectivité de l’accès à l’aide à mourir sur l’ensemble du territoire ou le respect strict de la volonté du patient, y compris lorsque celle-ci a été exprimée par anticipation.
L’ADMD insiste aussi sur la complémentarité entre l’aide à mourir et le développement des soins palliatifs, dénonçant l’idée d’une opposition artificielle entre les deux approches. Pour l’association, la liberté de choisir sa fin de vie ne saurait être réelle que si toutes les options sont accessibles, dans des conditions de dignité, de soulagement et d’égalité. À l’heure où le Parlement débat d’une réforme historique, l’ADMD continue d’appeler les élus à inscrire ce droit dans une perspective résolument humaniste et respectueuse de l’autonomie individuelle.
Le texte de loi en faveur de soins d’accompagnement pour une nouvelle culture de la fin de vie
L’une des innovations majeures du texte gouvernemental réside dans l’introduction du concept de soins d’accompagnement, plus englobant que celui des soins palliatifs. Ce changement sémantique traduit une volonté d’élargir la réponse médicale et humaine aux besoins des patients. Soutien psychologique, nutritionnel, musicothérapie, massages, mais aussi accompagnement des proches aidants.
Le texte prévoit également la création de « maisons d’accompagnement », structures médico-sociales intermédiaires entre domicile et hôpital, conçues pour accueillir les patients en fin de vie lorsque le maintien à domicile est impossible. Inspirées des modèles belges ou canadiens d’hospices communautaires, ces maisons seront cofinancées par l’Assurance maladie et les bénéficiaires via un forfait journalier.
Directives anticipées : mieux anticiper, mieux accompagner
Le texte ambitionne également de faciliter la rédaction et la prise en compte des directives anticipées. Désormais, si le texte est adopté tel quel, toute personne pourra intégrer ces directives dans l’espace numérique de santé, les associer à un plan personnalisé d’accompagnement, et en donner l’accès à un proche. En Suisse, ces directives sont juridiquement contraignantes depuis 2013, et le Canada a également renforcé leur portée via les lois provinciales, notamment au Québec.
L’aide à mourir : des conditions strictes
Le second pilier du projet porte sur l’aide à mourir, définie comme la mise à disposition, sous certaines conditions, d’une substance létale. Celle-ci pourra être administrée par le patient lui-même, ou — si ce dernier est incapable de le faire — par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire.
Dans le texte de loi proposé sur l’aide à mourir : « il faudra être majeur, résider de manière stable en France, être atteint d’une maladie grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme »
Aujourd’hui, dans le texte de loi en discussion, les conditions d’accès sont strictes. Il faudra être majeur, résider de manière stable en France, être atteint d’une maladie grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme, et souffrir de douleurs réfractaires ou insupportables. La personne devra en outre être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. Une clause de conscience est prévue pour les professionnels de santé réticents, qui devront néanmoins orienter la personne vers un confrère. Une commission nationale sera chargée de recenser les volontaires et de contrôler l’ensemble du dispositif.
Vers une extension du droit à l'euthanasie ?
Lors des débats en commission le 11 avril dernier, les députés ont approuvé un amendement d’Élise Leboucher (LFI) qui autorise la personne concernée à choisir entre l’auto-administration ou l’administration par un soignant, élargissant ainsi la portée du dispositif. Dans le texte initial, cette seconde option n’était envisageable que si la personne n’était « pas en mesure physiquement d’y procéder ». Le rapporteur Olivier Falorni (MoDem) a émis un « avis de sagesse », estimant que ce changement « ne bouleverserait pas l’équilibre du texte ».
Mais pour Patrick Hetzel (LR), c’est un glissement fondamental : « On est dans un encadrement juridique qui n’est plus de même nature, avec un texte de suicide assisté et d’euthanasie, et non plus de suicide assisté et d’exception euthanasique dans un certain nombre de cas limités. ». Les députés ont en revanche rejeté les amendements permettant de recourir à l’aide à mourir via les directives anticipées lorsque le patient ne peut plus exprimer sa volonté.
Et pour les Français vivant à l’étranger ?
Nombreux sont les Français résidant dans des pays qui ont déjà légalisé l’aide à mourir. Mais peuvent-ils y accéder au même titre que les citoyens locaux ? La réponse varie selon les pays ; ici trois exemples :
Pays | Résidence requise ? | Euthanasie ou suicide assisté ? | Français résidents éligibles ? | Français non-résidents éligibles ? |
---|---|---|---|---|
Belgique | Oui | Euthanasie (et suicide assisté) | ✅ Oui | ❌ Non |
Canada | Oui (résidence ou citoyenneté + couverture santé publique) | Euthanasie et suicide assisté | ✅ Oui (sous conditions strictes) | ❌ Non |
Suisse | Non | Suicide assisté uniquement | ✅ Oui | ✅ Oui |
Une avancée historique en suspens
Plusieurs points ne sont pas encore tranchés, et le débat parlementaire devra y répondre. Il y a notamment la question de la définition exacte du « moyen terme » dans l’évaluation du pronostic vital. Catherine Vautrin a annoncé l’avis imminent de la Haute Autorité de Santé sur ce sujet sensible.
« Dans une démocratie moderne, qui peut légitimement décider du moment et des conditions de sa propre mort ? »
Derrière les débats techniques, juridiques et médicaux, c’est une interrogation éminemment existentielle qui traverse le projet de loi. Dans une démocratie moderne, qui peut légitimement décider du moment et des conditions de sa propre mort ? En apportant sa voix au débat, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) rappelle que la fin de vie n’est pas uniquement une affaire de soins. Mais aussi une question de liberté fondamentale, d’égalité d’accès aux droits, et de reconnaissance de la dignité humaine jusqu’au dernier souffle.
Ce projet de loi, s’il venait à être adopté, constituerait une avancée historique pour la France, la rapprochant des législations de pays comme la Belgique, le Canada ou la Suisse. Mais pour qu’il ne demeure pas une réforme de papier, les regards se tournent aussi vers la mise en œuvre de ce futur texte et les demandes. Notamment en termes de formation des soignants, de maillage territorial en soins palliatifs et de structures d’accompagnement, respect scrupuleux du libre arbitre des personnes concernées, ainsi que de l’encadrement rigoureux des procédures.
L’ADMD et d’autres acteurs de la société civile soulignent également le risque d’un droit théorique inapplicable pour des raisons budgétaires, culturelles ou idéologiques. Ils insistent sur le fait que la liberté de choisir sa fin de vie ne saurait se réduire à une option offerte à quelques-uns, dans certains territoires, mais qu’elle doit être garantie pour toutes et tous, dans le respect des convictions de chacun. Alors, ce texte deviendra un droit réel et accessible à tous.
Comment la fin de vie est-elle abordée dans votre pays de résidence? Partagez vos expériences ou vos attentes dans les commentaires.
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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