Fin de partie pour le Luxe ?

Fin de partie pour le Luxe ?

En 2024, l’industrie du luxe n’a pas connu une année faste. Le ralentissement de la croissance chinoise et la stagnation de la zone euro ont stoppé net une expansion sans précédent. En 2023, les ventes mondiales de produits de luxe personnels avaient atteint 400 milliards de dollars, contre un peu plus de 100 milliards de dollars en 2000. La capitalisation boursière combinée des dix plus grandes occidentales du luxe avoisine les 1 000 milliards de dollars, contre environ 300 milliards de dollars en 2013. Au cours des 12 derniers mois, cette valeur a toutefois chuté de plus d’un dixième, marquant un retournement de tendance.

Le nombre de millionnaires en Chine est passé de 39 000 à 6 millions.

L’essor du secteur du luxe au cours des dernières décennies s’est construit sur la mondialisation et un marketing offensif. Pour continuer de croître, les grandes marques, qui s’adressaient initialement aux élites occidentales, se sont progressivement tournées vers les élites asiatiques. Le nombre de millionnaires en dollars en Chine est passé de 2000 à 2023 de 39 000 à 6 millions, soit plus que dans tout autre pays à l’exception des États-Unis. Ils sont deux fois plus nombreux en Chine qu’au Royaume-Uni, troisième pays en termes de nombre de millionnaires. Le marché chinois représentait environ 15 % des ventes mondiales de produits de luxe personnels en 2023, soit cinq fois sa part en 2000.

Les grandes marques ont également élargi leur clientèle en proposant des produits à des prix plus accessibles. Gucci, par exemple, vend des chaussettes blanches à 200 dollars, bien moins coûteuses qu’un sac pouvant atteindre des dizaines de milliers d’euros. De nombreuses marques, de Valentino à Armani, ont lancé des sous-marques moins chères, souvent axées sur des tenues décontractées. Selon le Boston Consulting Group, les consommateurs dépensant 2 000 euros ou moins par an en produits et services de luxe représentent près des deux tiers des ventes totales.

Les moteurs de croissance en panne

Les consommateurs de la classe moyenne occidentale hésitent à dépenser et préfèrent renforcer leur épargne de précaution. En Chine, les dépenses de luxe ont été freinées par la crise du logement et une campagne gouvernementale visant à limiter l’étalage ostentatoire de richesse. De nombreux jeunes Chinois transportent leurs affaires dans des sacs en plastique pour afficher leur frugalité et privilégient désormais les marques locales. Les dépenses de produits de luxe des Chinois dans leur pays auraient diminué de 26 % en 2024.

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Le luxe est également pénalisé par la hausse des coûts de production, répercutée sur les prix de vente. Selon HSBC, les produits de luxe étaient, en 2024, 54 % plus chers qu’en 2019. Par exemple, un sac Dior Lady de taille moyenne coûte désormais 5 900 euros, contre 3 200 euros en 2016.

Une consolidation plus qu’une crise

Le secteur du luxe est en phase de consolidation, mais parler de crise serait excessif. Si les Chinois achètent moins de produits de luxe dans leur pays, ils continuent à se rendre dans les boutiques des grandes marques à Paris, Milan, New York ou Londres. Avec un nombre croissant de Chinois voyageant à l’étranger, les dépenses en produits de luxe augmentent. Par ailleurs, le nombre de millionnaires devrait continuer à progresser dans les années à venir. Selon UBS, le monde comptera 86 millions de millionnaires d’ici 2027, contre environ 60 millions actuellement.

Le magazine Forbes a dénombré 2 781 milliardaires dans son édition 2024, battant le précédent record de 2021. Ces acheteurs fortunés sont peu sensibles aux fluctuations économiques et maintiennent leurs niveaux de dépenses. Brunello Cucinelli, par exemple, a enregistré une hausse de 12 % de ses ventes de pulls en cachemire à 6 000 dollars sur les neuf premiers mois de 2024. Hermès, fabricant des sacs à main les plus convoités au monde, a vu son chiffre d’affaires progresser de 14 % sur la même période.

Une réorientation stratégique

Les grandes marques, soucieuses de maintenir leur haut niveau de créativité, réalisent d’importants investissements. Bottega Veneta, Celine, Chanel et Givenchy ont récemment embauché de nouveaux directeurs artistiques. Les bénéfices d’une marque atteignent généralement leur apogée cinq ans après l’arrivée d’un nouveau directeur ou d’une nouvelle directrice artistique.

Par ailleurs, les entreprises du luxe révisent leur stratégie. L’élargissement de la clientèle, qui avait permis une croissance rapide, n’est plus d’actualité. Elles ont réalisé que cette approche pouvait nuire à leur image de marque. Le luxe repose sur des valeurs telles que la rareté et l’exclusivité. La priorité est donc désormais de préserver ces fondamentaux pour continuer à séduire une clientèle fortunée et fidèle.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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